Une histoire d’amour
Publié le 22 septembre 2022
J’ai rencontré la moto à 14 ans. Depuis, nous ne nous sommes plus quittés. Qui a dit que la passion était éphémère et destructrice ?
La moto est une maîtresse exigeante qui m’accompagne depuis ma jeunesse. Ça fait un bail, maintenant. Même si nous n’avons jamais signé de contrat ni publié de faire-part, je lui suis resté fidèle. Manque d’imagination ou passion dévorante ? Exclusive ?
Je lui ai tout donné. Elle m’a tout pris. Ma jeunesse, mes rêves, mes illusions, mes amis. Mais elle m’a tout donné aussi. Les expériences, les rencontres improbables, les amitiés durables et des souvenirs inoubliables qui continuent à alimenter mes rêves nocturnes et mes flâneries éveillées.
Grâce à elle, j’ai découvert le monde et passé ma vie à errer sur les routes d’Europe, d’Afrique, d’Amérique du Nord et d’Australie. Mes mains et mon dos en portent aujourd’hui les stigmates. Arthrite, arthrose, discopathie, lombalgie, autant de mots savants et de maux invalidants. Insupportables. Et pourtant… je roule. Toujours
Quand je l’ai rencontrée, j’étais jeune, curieux, naïf, insolent et joyeux. Drôle, comme les enfants qui font des mots d’auteur sans le savoir. Romantique aussi, comme le Jeune Werther de Goethe. Je défiais la mort à la façon d’un torero qui provoque le taureau dans l’arène. Pour le frisson. Pour la gloriole. Je la sentais me frôler, puis je m’éloignais dans un grand coup de guidon. Sublime passe de cape. Pied de nez au destin. J’étais fort et audacieux. Arrogant. Indestructible. J’avais neuf vies. Comme un chat. Aujourd’hui, je suis incapable de dire combien j’en ai brûlées au fil de mes pérégrinations. Une chose est sûre cependant, il ne m’en reste plus beaucoup en réserve et j’ai bien l’intention de les vivre pleinement. Je voudrais rouler encore, loin et longtemps, caresser l’asphalte de la pointe de mes bottes encore une fois, ultime révérence à la route.
Cette passion est une histoire d’amour qui se vit dans l’instant et s’écrit au présent depuis près de 50 ans. Mais les mots d’amour voyagent mal. Ils quittent nos lèvres à la vitesse du son et mettent des années, des décennies à revenir à nos oreilles et à notre cœur, chargés d’odeurs et de saveurs exotiques, portés par le vent de la nostalgie. Boomerangs paresseux lancés au loin comme autant de bouteilles à la mer et qui reviennent sans réponse ni solution.
Malgré le poids des ans et la lourdeur de mes bagages, je pars le cœur léger. La tête pleine d’envies et de rêves. Je sais que je ne suis que de passage et je ne m’attarde pas au-delà du raisonnable. Je m’arrête, le temps de reprendre mon souffle, mais aussitôt reposé, je repars. J’ai déjà hâte de négocier la prochaine courbe et de poursuivre l’horizon fuyant. Inaccessible. Insaisissable. Le jour où je le rejoindrai, ça sera la fin. Mais je ne suis pas pressé. J’ai encore le temps. Demain ou un autre jour. Tant que je suis en mouvement, je suis vivant.
Ce soir, un sublime soleil rouge embrase la vallée, route déserte, moto endormie dans un garage aux portes grandes ouvertes, prête à prendre la route. Partir. Encore et toujours. « On the road again »…