Tranche de vie — Mon Bol d’Or avec Yvon
Publié le 17 août 2021
Une légende de la moto s’est éteinte. Yvon Duhamel, l’un des plus grands pilotes moto que le Canada ait connus est décédé ce 17 août 2021, à l’âge de 81 ans. Véritable légende québécoise, Yvon était avant tout un passionné et un homme d’une grande humanité. Aujourd’hui, je pleure l’ami autant que l’idole de ma jeunesse.
Photos © Didier Constant
Je pourrais retracer l’immense carrière d’Yvon Duhamel pour vous, partager son palmarès et les souvenirs qu’en gardent ses proches ou ses anciens compétiteurs. Mais ça, d’autres le feront mieux que moi. En ce qui me concerne, je veux juste partager un moment fort de mon histoire commune avec Yvon. Sa participation au Bol d’Or avec ses fils Mario et Miguel au sein de l’écurie Honda Winners/Ipone. C’est ma façon de lui rendre un dernier hommage.
Au milieu des années 70, auréolé de ses deux victoires à la course de 250cc de Daytona (1968-1969) et de ses excellentes performances dans le championnat AMA (American Motorcyclist Association), Yvon vient courir en Europe, en Grand Prix, notamment dans le championnat Formula 750 de la FIM. En 1975, il remporte la victoire à Assen. Il participe également à des épreuves sur invitation comme les « Match Race Series », opposant les meilleurs pilotes américains à leurs homologues britanniques, mais aussi le Moto Journal 200 où il termine deuxième, en 1975, derrière Giacomo Agostini et devant Patrick Pons. En 1976, il finit troisième derrière Johnny Cecotto et Steve Baker.
Mais c’est surtout en endurance qu’Yvon bâtit son mythe. En 1975, associé à Jean-François Baldé, « Super Frog » termine troisième du Bol d’Or sur une Kawasaki KZ1000 préparée par Godier-Genoud et rentre dans la légende du sport moto en France où l’endurance est cultissime.
C’est à ce moment précis qu’Yvon devient mon idole. Pour son pilotage fougueux et son talent fou, mais aussi pour sa gentillesse, sa grande disponibilité et sa légendaire bonne humeur. En 1975, un poster géant de lui sur sa fameuse Kawasaki KR750 orne ma chambre d’adolescent de 17 ans.
À mon arrivée à Montréal, en 1981, j’ai la chance de le rencontrer lors du Grand Prix du Canada, à l’île Notre-Dame, qu’il remporte avec brio. On établit le contact et on se croise à quelques reprises par la suite, notamment lors des courses du championnat canadien RACE — l’ancêtre du CSBK — dans lequel ses deux fils Mario et Miguel courent avec succès.
Puis, en décembre 1987, alors qu’il est âgé de 48 ans, je lui propose un projet fou : disputer l’édition 1988 du Bol d’Or, au circuit Paul Ricard du Castellet… avec ses deux fils. Une première dans l’histoire du sport moto. Il m’invite chez lui pour en discuter et en septembre 1988, nos deux familles se retrouvent au Castellet pour les essais privés Honda France en préparation du Bol d’Or. Avec mon épouse et mon fils, nous passons un mois avec toute la famille Duhamel — Yvon, sa femme Sophie, ses fils Mario et Miguel et sa fille Gina, mais aussi ses brus — dans une grande villa surplombant Sanary-sur-Mer, sur la Côte d’Azur, louée par notre commanditaire principal, le pétrolier français Ipone.
Nous profitons de l’occasion pour nous préparer pour le Bol d’Or, bien entendu, mais aussi pour faire du tourisme dans la région et apprendre à nous connaître. Un mois fantastique. Pour moi, le fan d’Yvon, c’est la consécration. Et l’un des moments les plus mémorables de ma carrière. Pouvoir non seulement côtoyer mon idole de jeunesse, mais l’engager pour courir avec ses fils dans mon équipe reste un accomplissement personnel et un magnifique souvenir.
La course rentrera dans l’histoire. Nous nous qualifions septième et première équipe privée et nous terminons la course septième à la suite de l’interruption de l’épreuve en raison de violents orages. Deux tours plus tôt, alors que nous étions en cinquième place, nous avons effectué un relais qui s’est avéré superflu au vu de la suite des événements. Mais ça, nous ne le savions pas à ce moment-là.
La superbe performance de Miguel, qui venait juste de passer Pro au Canada — il était l’un des pilotes les plus rapides pendant ses relais de nuit — et de Mario, leur a valu d’être engagés dans l’équipe Honda France, championne du monde d’endurance en titre, l’année suivante et de faire une belle carrière en Europe. Miguel a même couru en Grand Prix pour l’écurie française Yamaha-Sonauto, en 1992. Avant de devenir le pilote émérite que l’on connait tous, surpassant même son père en terme de palmarès.
Dans les années qui ont suivi, j’ai rencontré Yvon et sa famille à plusieurs reprises, au Canada, à Daytona, aux Coupes Moto Légende. Nous sommes restés amis, même sans nous côtoyer régulièrement. Et il est demeuré mon idole absolue, aux côtés d’autres pilotes légendaires comme Freddie Spencer qui est également devenu mon ami, Kevin Schwantz que j’ai côtoyé à plusieurs occasions et Barry Sheene. Des gens qu’il appréciait et respectait sûrement.
Mais ce Bol d’Or d’anthologie restera à jamais gravé dans ma mémoire, jusqu’à mon dernier souffle. C’est le souvenir d’Yvon que je continuerai à chérir.
Bon voyage Yvon ! À bientôt !