Ou comment semer la pagaille dans un championnat en transition...
Publié le 19 novembre 2019
La semaine dernière, l’annonce du départ à la retraite de Jorge a surpris le microcosme du MotoGP et a causé une véritable onde de choc dont on a ressenti les contrecoups dans toutes les écuries, jusqu’en Moto2.
Fidèle à sa réputation, « Por Fuera » a une fois de plus agi de façon unilatérale, prenant sa décision au dernier Grand Prix de l’année, sans réellement donner de préavis à ses employeurs. L’équipe Honda Repsol s’est alors retrouvée devant le fait accompli et a dû réagir dans l’urgence, à trois jours du test de Valence. La blessure de Nakagami et le retrait de Lorenzo laissaient deux Honda RC213V sans pilote à la veille de ce test crucial pour préparer la campagne 2020. Il fallait prendre une décision. Et vite. Ce que Honda Repsol a fait. Au meilleur de ses intérêts.
Johann Zarco ou Alex Marquez ?
Dès l’annonce de Lorenzo, deux noms se sont retrouvés sur toutes les lèvres. Ceux de Johann Zarco et d’Alex Marquez. Deux pilotes talentueux offrant un potentiel et des garanties de succès différents. Surtout en termes de retour sur l’investissement.
Depuis l’embauche de Johann Zarco pour les trois derniers Grands Prix de la saison par LCR Honda, en remplacement de Nakagami, blessé, la plupart des observateurs lui promettaient ce siège qui n’était pas encore libre. Le double Champion du Monde de Moto2 a fait de son mieux dans les circonstances, mais ça s’est avéré insuffisant. Malheureusement pour lui, il n’a pas su se rendre incontournable. Malgré ses déclarations, il n’a pas concrétisé les espoirs placés en lui et n’est pas parvenu à s’approcher d’une place parmi les cinq meilleurs, comme il l’avait annoncé. Pire encore, il a chuté deux fois en course.
Depuis sa séparation avec son mentor et gérant Laurent Fellon, au milieu de la saison dernière, Johann va de mal en pis et prend des décisions qui le desservent. Il s’est d’abord retrouvé chez KTM, une équipe qu’il n’a pas choisie de son plein gré et dans laquelle il ne se sentait pas chez lui. Pire, il était aux commandes d’une moto en laquelle il n’avait pas confiance. Durant son séjour dans la structure autrichienne, Zarco a fait preuve d’un manque d’enthousiasme flagrant, mais il s’est surtout montré négatif et incapable de s’adapter à la RC16 et au staff technique KTM. Par ailleurs, il n’a pas hésité à critiquer vertement l’usine qui l’employait. Ce dont se sont sûrement souvenus les pontes du HRC au moment de choisir le remplaçant de Lorenzo. Le pauvre Zarco hantait le paddock avec un air de chien battu qui faisait pitié à voir. Au point où il a décidé de rendre son tablier. Un geste qui n’a certes pas plu à KTM qui l’a remercié en cours de saison, laissant le Français sans véritables options. Son avenir était noir et bouché, jusqu’à l’appel de Lucio Cecchinello, le boss de LCR.
Dans le même temps, Alex Marquez remportait enfin le titre Moto2 qu’il convoitait depuis son arrivée dans la catégorie intermédiaire, en 2015. Après avoir gagné le championnat Moto3 en 2014, tous les spécialistes lui prédisaient une consécration rapide et sans appel en Moto2. Mais il a mis cinq ans pour y parvenir. Zarco était couronné deux années de suite (2015-2016), suivi de Franco Morbidelli (2017) et Francesco Bagnaia (2018). Incidemment, les trois évoluent aujourd’hui en MotoGP. Le titre Moto2 apparaît donc comme la voie royale vers la catégorie reine, qu’on le veuille ou non.
Compte tenu de cette récompense fraîchement acquise et du fait que son frère Marc se retrouvait soudainement sans coéquipier, il était logique que le HRC fasse confiance à Alex. Mais pour une saison seulement, comme vous l’aurez sûrement remarqué. À la fin de la prochaine campagne, les contrats de la plupart des pilotes de MotoGP arriveront à échéance et, sous la pression des jeunes loups issus des catégories inférieures, on risque d’assister à un jeu de chaises musicales impitoyable. Place aux jeunes !
Mafia espagnole ou logique économique ?
La décision du HRC d’engager le cadet des frères Marquez a causé une vague de mécontentement, particulièrement en France. Certains amateurs crient au favoritisme, à la magouille et dénoncent la main mise de « la mafia espagnole » sur le championnat qui est géré par Dorna Sports, une entreprise internationale sise à Barcelone, certes, mais dont les principaux actionnaires sont des fonds gérés par Bridgepoint Capital (un investisseur paneuropéen, filiale de Moneycorp) et l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada (RPC).
Dorna Sports est le détenteur exclusif des droits commerciaux et télévisés de plusieurs championnats de la FIM (MotoGP, WorldSBK, CEV Repsol, MotoE) et des séries de promotions Idemitsu Asia Talent Cup, British Talent Cup et Red Bull MotoGP Rookies Cup. En un mot comme en cent, Dorna Sports contrôle le sport motocycliste sur la scène mondiale. Il n’est donc pas recommandé de se la mettre à dos, surtout quand on est pilote.
Cette accusation de collusion est de bonne guerre, même s’il s’agit d’une réaction chauvine et partisane. Car autant Zarco que Marquez Le Jeune sont légitimes et méritent un guidon d’usine en MotoGP. Le second encore plus quand on prend en compte les impératifs économiques en jeu.
En effet, l’Espagne est, avec l’Italie et la France, l’un des principaux marchés moto en Europe. On y retrouve quelques constructeurs de niche (Bultaco, Derbi, GasGas, Montesa Honda, Ossa, Sherco, Rieju, Sbay, Volta) qui apportent un peu de diversité dans un marché dominé par les Japonais, mais aussi par les Européens (Aprilia, BMW, Ducati, KTM, Moto Guzzi, MV Agusta, Triumph, etc.).
Sur le plan sportif, l’Espagne et l’Italie investissent massivement dans la formation des jeunes pilotes depuis des années, ce qui explique les succès que ces derniers remportent. Depuis 2001, les Italiens, avec Rossi, ont remporté sept titres MotoGP et les Espagnols neuf (Marquez 6, Lorenzo 3), ne laissant que des miettes aux autres pays (Casey Stoner, 2 — Nicky Hayden, 1). Même chose en Moto2 (Espagne : 5 — Italie : 2 — France : 2 — Allemagne : 1) et en Moto3 où l’Espagne a remporté quatre titres en huit ans (Maverick Vinales, Alex Marquez, Joan Mir, Jorge Martin), les quatre autres allant à l’Allemagne (Sandro Cortese), au Royaume-Uni (Danny Kent), à l’Afrique du Sud (Brad Binder) et à l’Italie (Lorenzo Della Porta).
En Italie, parallèlement aux efforts de la Fédération italienne pour promouvoir le sport motocycliste, Valentino Rossi prépare la relève avec son écurie Sky Racing Team VR46 présente en Moto3 et Moto 2, mais surtout avec la VR|46 Riders Academy qui encadre les meilleurs jeunes pilotes italiens dont Franco Morbidelli et Francesco Bagnaia en MotoGP, Luca Marini, Marco Bezzecchi, Stefano Manzi, en Moto2, mais aussi Andrea Migno, Celestino Vietti et Niccolò Antonelli en Moto3. D’autres comme Lorenzo Baldassarri, Nicolò Bulega, Dennis Foggia et même Romano Fenati ont bénéficié de l’aide de l’académie à leurs débuts en Grand Prix. Tous ces pilotes suivent des stages au ranch de Valentino Rossi à Tavullia et peuvent s’entraîner avec Vale. La VR|46 Riders Academy reçoit le soutien des sponsors de Rossi (Dainese, AGV, Monster Energy, Sky Italie, VR|46, Yamaha…) lequel supervise toutes les opérations. Cette structure professionnelle est unique au monde et elle produit des résultats puisqu’elle a déjà formé plusieurs Champions du Monde en Moto2 notamment, avec Franco Morbidelli (2017) et Francesco Bagnaia (2018).
Dans le cas de l’Espagne, sa domination s’explique par la vitalité de son championnat national et celle de ses filières, dont le championnat mondial Junior Moto3 CEV Repsol, l’antichambre des Grands Prix. Une série dont est également issu le Français Fabio Quartararo, l’une des étoiles montantes du MotoGP qui, jeune, n’a pas hésité à s’exiler en Espagne pour asseoir sa carrière.
L’autre force de l’Espagne c’est de pouvoir compter sur des sponsors dynamiques et puissants (Repsol, Movistar, Estrella Galicia, Reale Seguros) capables de rivaliser avec les Red Bull, Monster Energy, Ecstar et Petronas de ce monde.
Enfin, il ne faudrait pas oublier les investissements en termes d’infrastructures consentis par l’Espagne qui compte pas moins de quatre circuits homologués FIM (Barcelone, Aragon, Jerez, Valence) et une demie douzaine d’autres de haut niveau (Albacete, Alcarras, Almeria, Ascari, Calafat, Cartagena, Monteblanco, Navarra…).
Toute cette structure est soutenue par des médias puissants et en bonne santé financière, à tous les niveaux : presse écrite, télévisée et numérique. Ajoutez à cela un public fervent de moto et vous comprenez mieux le « miracle » espagnol.
Parler de « mafia espagnole » est compréhensible, dans les circonstances, mais abusif. Car l’Espagne récolte les fruits de son implication. Ce qui est normal.
La France et les États-Unis qui ont dominé le Continental Circus dans les années 70 et 80 font désormais partie du folklore, n’ayant pas su pérenniser leurs filières ni leurs bailleurs de fonds, surtout depuis la mise au ban des cigarettiers et de l’industrie de l’alcool. L’industrie française du luxe et de la mode, malgré sa puissance financière, n’a pas pris la relève, pas plus que les pétrolières hexagonales comme Total, Elf, Antar ou Yacco. Seul Motul s’implique un peu, mais pas suffisamment pour permettre aux rares pilotes français de haut niveau de percer en MotoGP. Même constat pour les États-Unis, terre d’accueil des grandes multinationales (Amazon, Apple, Coca Cola, Costco, Exxon Mobil, Ford, GE, GM, IBM, Mc Donald, Microsoft, Pepsi, Walmart…), qui n’encouragent pas l’industrie motocycliste. À l’exception de Monster Energy et de Rockstar Energy.
La Grande-Bretagne qui compte huit pilotes en WSBK peine à soutenir les siens en Grand Prix. Seul Cal Crutchlow en MotoGP, Sam Lowes et Jake Dixon en Moto2 ou encore John McPhee en Moto3 parviennent à défendre fièrement l’Union Jack. Là encore, le constat est le même. Pas de filière, pas de sponsors, donc peu d’élus et pas de champion.
L’avenir du championnat
Aujourd’hui, en dehors de Valentino Rossi et, à un niveau moindre de Marc Marquez, peu de pilotes ont le potentiel de populariser la course motocycliste et le MotoGP, encore moins de leur assurer une audience internationale. C’est pour cette raison que Dorna et Yamaha encouragent Vale a prolonger sa carrière encore un an ou deux. Les départs récents de champions comme Lorenzo, Pedrosa ou Stoner nous peinent, sur le coup, mais ils ont peu ou prou d’influence sur la popularité du sport à l’échelle planétaire. Et, personnellement, je ne vois pas des pilotes comme Viñales, Rins, Dovizioso ou Miller porter l’avenir du MotoGP à bout de bras. Quartararo ? Peut-être ? Bien qu’il soit Français. Sa popularité est croissante et il est éminemment talentueux, en plus d’être sympathique. Espérons que certains, parmi les jeunes qui émergent en Moto3 et en Moto2, auront ce charisme et cet impact.
Quant à savoir si Honda a bien fait d’engager Alex Marquez, l’avenir nous le dira. Pour information, lors de la première journée du test de Valence (mardi 19 novembre), les deux frangins ont plié deux RC213V 2020, dont une est irréparable. Elle fera au mieux office de sculpture d’art contemporain. Une première journée qui coûte cher à Honda, d’autant que Cal Crutchlow et Stefan Bradl les ont imité…
En ce qui concerne Zarco, on attend toujours qu’il prenne une décision et qu’il choisisse entre l’offre de l’écurie Reale Avintia, avec le soutien de Ducati et celle de Marc VDS Racing Team, en Moto2, où il remplacerait Alex Marquez. Sacrée désillusion quand même pour un pilote que l’on voyait parmi les cadors du MotoGP il y a seulement deux ans et à qui on prêtait un avenir prometteur… Sinon, il lui reste toujours l’option d’être pilote de développement pour Yamaha. Que fera l’Avignonnais ? Réponse bientôt ?
Enfin, disons un grand merci à Jorge « Chupa Chups » Lorenzo pour cette intersaison mouvementée alors que nous nous dirigions tranquillement vers un hiver long et monotone. Sans surprise.