Hippie, hipster ; même combat ?
Publié le 28 mai 2018
En une petite décennie, le mouvement hipster a changé la face du monde motocycliste. Comme le nez de Cléopatre dans l’antiquité ! La barbe et les tatouages auront-ils la même influence sur la société que les cheveux longs et les chemises à fleurs des hippies à une autre époque ? S’agit-il d’un mouvement durable ou d’un épiphénomène alimenté par les marketeurs ? Et pourquoi de vieux babas cools prétendument sains d’esprit succombent à cette mode, se laissant attirer du côté sombre de la Force ?
Photos : Didier Constant, Dave Beaudoin, Pierre Desilets, Denis Vayer, Yamaha, Deus Ex Machina, DR
Hipstérie et bobologie
Quand je suis allé chercher ma BMW R nineT Urban G/S chez Moto Internationale, au début du printemps, j’ai réalisé que les principaux membres de motoplus.ca — tous dans la soixantaine — avaient subrepticement succombé au chant des sirènes du Rhin. Claude roule en nineT Pure, Richard en nineT Scrambler et Pierre en nineT « Black Storm Mettalic Vintage ». Comme si nous étions atteints d’hipstérie collective. Babas devenus bobos. Même bibi…
Pourtant, philosophiquement, rien ne nous relie au mouvement hipster, en dehors de l’amour des motos classiques, particulièrement les « Youngtimers », ces machines des années 80-90 qui ont bercé notre adulescence, laquelle n’est pas vraiment terminée, malgré notre âge canonique.
Les termes « hippie » et « hipster » partagent une racine commune. « Hip ». Cri d’enthousiasme, de joie, de victoire. Ou encore déformation du mot anglais « hype » se traduisant par « décontracté, branché, dans le coup ».
Deux termes aux mêmes origines pour qualifier deux contre-cultures antinomiques. La première, libertaire, aux accents d’anarchisme ou de socialisme utopique, basée sur la communauté et le partage, sur l’antimatérialisme et l’anticonsumérisme ; la seconde — du moins dans sa version renouvelée des années 2000 — axée sur l’individualisme, le look — barbe, tatouages, chemises à carreaux, jeans à revers soigneusement roulés, bottes de travail —, le marketing et la bobo attitude. Le rétro comme symbole de coolitude, de renouveau ; le style hip comme niche culturelle. Stéréotype ancré dans une logique postmoderniste, qui emprunte à l’ironie et au pastiche, et ce, dans une prétention esthétique. Avec tous les travers que cela comporte.
Hipstérésie
Pourtant, chercher à opposer ces deux contre-cultures est une hérésie dogmatique. Car en fait, même s’ils s’affirment différemment, ces deux mouvements puisent leur raison d’être aux mêmes sources : rejet de la société traditionnelle, recherche de valeurs authentiques, envie de se démarquer, besoin d’évasion.
À ce sujet, cet impératif d’aventure a la même prégnance dans les deux courants alternatifs. Il diffère simplement dans son mode d’expression. Chaque génération définissant ses propres idéaux et ses propres règles. Chaque génération les exprimant dans un mode subjectif. Avec ses codes et ses icônes.
Pour les jeunes motards des années 70, la rébellion s’est exprimée par le rejet des motos de la génération précédente et par l’adoption massive des motos japonaises et de certaines Européennes mythiques : BMW, Ducati, Moto Guzzi, MV Agusta. Aux États-Unis, les bikers de l’époque ont quant à eux créé les customs et les choppers pour répondre à leur besoin de différenciation.
Chez les hipsters, la révolte se caractérise par le désintérêt des motos modernes — exception faite des néo-rétros — au profit des motos classiques des années 50 à 90, surtout les Café Racers et les Scramblers, des machines revisitées au goût du jour, avec un parti-pris affirmé pour la personnalisation. L’individualisme appliqué à la moto.
Dans notre cas, quand nous modifiions nos montures, c’était afin d’accroître leurs performances, ce qui n’est pas forcément le but recherché aujourd’hui. L’important, c’est avant tout le look. La cohérence mécanique et l’efficacité ont cédé le pas au « swag »*. Avec pour conséquence que certaines préparations actuelles sont des « artrocités »*, voire des motos carrément dangereuses à conduire. Ou comment faire d’une pierre deux couilles !
Il y a donc là des différences aux allures de similitudes. Tout est question de sémantique. D’interprétation.
Même si certains aspects de la culture hispster me barbent ou me font dresser les poils sur bras — spécialement au niveau capillaire et de la pilosité faciale (jalousie de chauve ?) —, je me retrouve dans plusieurs de ses idéaux.
Je rejette l’élextronique, la modernité à tout crin et l’uniformisation (attention cependant, l’anticonformisme, quand il se généralise, devient un conformisme). Dans un article paru dans le magazine Slate, en 2014, le mathématicien et neuroscientifique Jonathan Touboul, du Collège de France, démontrait, grâce à l’utilisation des statistiques, que le désir permanent de se démarquer pousse finalement les hipsters à être tous les mêmes. Il a même créé une formule mathématique (ci-dessous) pour l’illustrer.**
Comme beaucoup de passionnés — et parmi eux certains hipsters — j’ai une relation symbiotique avec ma moto. Elle fait partie de moi autant que je fais partie d’elle. Sur la route, nous ne formons souvent qu’une seule et même entité.
De plus, je ne conçois pas de rester en place très longtemps. Il faut que je bouge. Que j’aille explorer l’inconnu. Que je m’évade de cette geôle qu’est la vie quotidienne. Que j’assouvisse ma faim de découverte. Comme le dit Paulo Coelho : « Si vous pensez que l’aventure est dangereuse, essayez la routine… Elle est mortelle ! »
Même combat !
Hippies et hipsters réconciliés ? Frères d’armes ? Hip hip hip hourra ! Pourtant entre le beatnik psychédélique des années 60/70, bohème chimérique perdu dans ses paradis artificiels et le jeune bobo hyper trendy, « sapiosexuel »* et « nomophobe *, il y a un monde. Marqué par plus d’un demi-siècle d’évolution. Par l’échec d’une utopie humaniste et l’avènement d’une dystopie orwellienne qui, personnellement, me glace le sang. Un monde qu’il faut vivre à fond cependant ! On verra bien ce qu’il en adviendra… YOLO* !
Notes
* termes empruntés au jargon hipster
** Cette formule exprime le fait que dans un groupe de n individus, la tendance observée par l’individu numéro i à l’instant t dépend du poids de l’influence de chacun des autres membres du groupe sur lui (ce sont les Jij), mais également du type de hipsters présents (ils peuvent être plus ou moins modérés, ce qu’expriment les vecteurs sj) et du temps mis par le hipster i avant de réaliser que chacun des hipsters qui l’entoure est en train de commencer à lui ressembler sur tel ou tel point.