Mourir peut attendre !
Publié le 5 décembre 2017
Depuis quelques mois, je me sens frappé d’obsolescence, sous le rappel constant des administrations française et québécoise qui se liguent contre moi pour que je planifie mes vieux jours. Une bonne occasion pour jeter un regard rétrospectif sur ma vie. Question de faire le point avant la dernière ligne droite...
Les sexagénaires de ce troisième millénaire naissant font mentir l’image de vieux grabataires que nous entretenions dans notre jeunesse à l’égard des personnes du troisième âge. Une époque où retraite rimait souvent avec fin de vie. Au mieux, avec solitude et ennui mortel. Selon de nombreuses études, ces « sexados » (contraction de sexagénaire et adolescent) vivraient un nouvel âge d’or. Ils se lancent en affaires, se mettent au sport, voyagent, retombent en amour. Ils vivent quoi !
Si je me fie aux statistiques sur la hausse de l’espérance de vie des hommes en occident, il me reste environ 22 ans à vivre. C’est beaucoup et peu à la fois. Assez pour espérer. Mais espérer quoi au juste ? Une nouvelle vie ? Quelques années de plus en forme afin de continuer à faire de la moto sans ralentir ? Un jardin à Saint Cucufa pour y planter des choux ? Quand je vois la vitesse à laquelle les 60 dernières années ont filé, celles qu’il me reste à vivre prennent des allures de sprint.
Malgré cela, j’ai encore plein de projets en tête. Mais, j’ai peur de manquer de temps pour les réaliser. J’aimerais, encore une fois, suivre le cirque du MotoGP en live pendant une saison complète. Partir en voyage à moto, seul, pendant des mois. Faire une saison de courses de motos classiques, en France, avec mes potes du Challenge Honda 125, mais aussi en catégorie GP/SBK. Disputer le Bol d’Or Classic ou le Bol d’Argent. Écrire un livre. Passer du temps avec ma famille et mes amis… La liste est longue et le temps qu’il me reste insuffisant. Surtout qu’il faut vivre entre tout ça.
Quand je regarde tout ce que j’ai accompli au cours de mon existence, les événements auxquels j’ai assisté ou participé, les gens que j’ai rencontrés — personnalités publiques, célébrités ou illustres inconnus — et avec lesquels j’ai tissé des liens, ainsi que les nombreux voyages que j’ai faits, je considère avoir une vie bien remplie. Pas de regrets ! Pas de remords ! Ce qui ne signifie pas pour autant que je sois pressé de partir les pieds devant.
Dans toute existence, il y a des moments clefs qui la subliment. Des moments où, en équilibre sur un fil, on se sent vivant. Indestructible. Au sommet du monde. Le plus important d’entre eux, c’est le jour où j’ai fait la connaissance de ma femme, il y aura 40 ans l’été prochain. C’était en 1978, sur le ferry entre Algésiras et Ceuta. La plus belle aventure de ma vie, avec la naissance de mon fils, 16 mois plus tard. Et puis, en 1984, il y a eu ma rencontre avec Jean-Pierre Belmonte, alors éditeur de l’ancien Moto Journal (édition québécoise) — le vrai, celui qui avait une âme, une éthique, une mission — qui a mis ma carrière professionnelle sur les rails. Enfin, il y a eu la découverte des deux roues. J’avais 12 ans. C’était en 1970. Ma mère venait de recevoir une Motobécane Cady en cadeau, pour faire ses courses et se balader. Un matin alors qu’elle dormait, j’en ai profité pour sortir la Cady subrepticement du garage, en prenant garde de ne pas la réveiller. J’ai poussé la mob sur quelques centaines de mètres pour la démarrer et aller au collège, fier comme Bar-Tabac. Ce jour-là, j’ai vécu mes premiers émois mécaniques en plus d’être la star absolue de l’école. Mon arrivée au collège a été triomphale — je n’avais pas l’âge légal de conduire un cyclomoteur — comme mon retour à la maison, sous bonne garde. Quand j’ai vu mon paternel, accompagné du proviseur, arriver dans la cour de l’école durant la pause du midi, marchant d’un pas ferme et décidé — il avait son air des mauvais jours —, j’ai compris que j’allais passer un sale quart d’heure. Mais c’est ce jour-là qu’est née ma réputation de rebelle et de délinquant auprès de mes amis d’enfance. Et que les filles ont commencé à s’intéresser à moi. J’étais James Dean dans « La fureur de vivre », Elvis Presley dans « Jailhouse Rock » !
Depuis ce jour, la passion de la moto ne m’a plus quitté ni ne s’est émoussée. Aujourd’hui encore, je ressens le même plaisir, la même excitation quand j’enfourche une moto. La passion n’a pas d’âge, pas de rides. Pas question pour moi d’y mettre un terme. « On n’arrête pas de faire de la moto parce qu’on devient vieux, on devient vieux parce qu’on arrête de faire de la moto ! »
Selon le fameux adage anglo-saxon, « Life begins at 60! », la vie commence à 60 ans (ou à 60 miles à l’heure, au choix). Il faut donc avancer avec la même ardeur et la même conviction. Vivre pleinement. La poignée dans le fond, sans ceinture de sécurité, ni Air Bag, ni clim. Sans limites, ni contraintes, ni obligations. Vivre intensément en se concentrant sur le moment à venir. Anticiper. Le prochain virage. La prochaine accélération. Le prochain obstacle. Assumer ses rêves. Ne pas baisser les bras. Le renoncement est la pire des défaites. On ne s’en relève jamais. Quand on a un talent, si minime soit-il, on ne doit pas le gâcher. Par respect pour soi et pour les autres. Aller au bout de sa passion pour voir où elle nous mène.
Je vais donc m’élancer dans cette nouvelle aventure avec détermination et enthousiasme. Toujours rebelle. Toujours délinquant. Je veux vivre ma vie. Respirer la vie ! Être la vie ! Ça vous dit de faire un bout de chemin avec moi ?