Une question à laquelle il n’est pas toujours aisé de répondre
Publié le 27 octobre 2017
Aujourd’hui, je ne vous parlerai pas de moto, ou alors de façon détournée, par ellipses. Non, je vous parlerai de moi, de philosophie, de métaphysique, de bonheur. Tout un programme. Si vous quittez maintenant, je ne vous en voudrai pas.
Photos © Didier Constant
Au fur et à mesure que j’avance en âge, je m’isole involontairement des autres — à moins que ce soit les autres qui s’isolent de moi, allez savoir —, et pourtant, je suis un animal éminemment social. Cette tendance à se recroqueviller — physiquement et mentalement — comme pour se protéger de la solitude et des vicissitudes de la vie, est largement répandue chez les aînés, même si c’est une erreur. En effet, rien n’est plus dangereux que de rester seul quand on est vieux. Rien n’est plus sclérosant. Il faudrait au contraire s’ouvrir au monde, s’entourer de sa famille et de ses amis. S’en faire de nouveaux. Vivre replié sur soi est une petite mort et « quand on est mort, c’est pour longtemps ». Sans retour possible.
Pour moi qui suis athée et rationnel, il est difficile d’admettre l’importance qu’exerce sur moi l’éducation judéo-chrétienne que j’ai reçue de mes parents, mais aussi de la société dans laquelle j’ai grandi. J’ai du mal à accepter cette dichotomie qui me fait nier l’existence d’une force surnaturelle qui régirait mon destin et à la fois craindre ses foudres. Je me surprends à redouter d’être heureux de peur d’attirer le regard divin sur moi et devoir en payer le prix un jour. Vous avouerez que c’est bête pour quelqu’un qui se prétend intelligent, libéré, saint d’esprit, hédoniste.
Ainsi, quand je reçois des fleurs, j’attends toujours le pot. C’est plus fort que moi. Ce qui explique ma méfiance innée à l’égard des compliments, des flatteries et des honneurs. Le bonheur est suspect, condamnable même. En tout cas, quand je suis heureux, je me sens coupable, comme si ça n’était pas mérité. Le bonheur rend paradoxalement la peur — du malheur, de la maladie, de l’accident, de la solitude, de la mort — omniprésente.
Quoi que je fasse, j’ai toujours le sentiment que mes actions, bonnes ou mauvaises, me poursuivront dans ma vieillesse ou dans une autre vie. Sauf que je ne pense pas qu’il existe d’autres vies, à part celles dont on rêve et qui ne se matérialisent jamais. Je doute que la grande majorité des hors-la-loi, des salauds et des profiteurs aient à payer le prix de leurs infamies. Pas de leur vivant en tout cas. Tout juste doivent-ils apprendre à vivre avec leur conscience, ce que certains n’ont aucune difficulté à faire. Demandez aux politiciens comment ils s’en sortent. Je doute également que le mérite soit récompensé. Il n’y a pas de justice, seulement de la chance.
L’homme est le seul être vivant sur Terre qui s’étonne de sa propre existence et cherche à lui donner un sens. Parce qu’il est un animal métaphysique, comme le disait Arthur Schopenhauer, il veut des réponses aux questions existentielles qu’il se pose. L’ironie, c’est que moins l’homme est intelligent, moins l’existence lui semble mystérieuse et moins il se questionne. Toute chose lui paraît porter en elle-même l’explication de son pourquoi et son comment. Théorie également développée par Descartes et synthétisée par Coluche : « L’intelligence est la chose la mieux répartie chez l’homme parce que quoi qu’il en soit pourvu, il a toujours l’impression d’en avoir assez vu que c’est avec ça qu’il juge. »
Le sens de la vie ou l’interrogation sur l’origine, la nature et la finalité de l’existence ne cesse de tarauder l’esprit humain. C’est la base de la métaphysique. « Donner un sens à sa vie, » comme l’exposa Nietzsche à la fin du 19e siècle est une interrogation millénaire, mais elle débouche souvent sur un constat d’impuissance, d’absurdité. Comme l’affirme le Dalaï-Lama lui-même : « La vie n’a pas de sens, mais il faut donner un sens à sa vie ». Ce que je m’efforce de faire au quotidien, mais pas toujours avec succès.
Contrairement à Nietzsche qui disait que « la vie ne vaut d’être vécue que si on a des buts à atteindre », Albert Camus prétend que les âmes lucides et entraînées peuvent trouver un sens à leur passage sur terre et jouir dans cette plénitude. « Le monde est beau, et hors de lui point de salut ! »
En fait, je me demande s’il n’existe pas des prédispositions génétiques à éprouver le plaisir et le bonheur. Pour tout dire, je suis intimement convaincu que certains individus sont physiologiquement programmés pour être moins sensibles à la souffrance, aux maladies, au vieillissement. Que certains sont imperméables à l’empathie, à l’altruisme ou aux scrupules.
Selon les jours et mon humeur volatile, j’oscille entre ces dispositions d’esprit. Parfois immodérément optimiste, parfois dérisoirement pessimiste, la plupart du temps froidement réaliste. Quelques fois, quand je suis fatigué d’être moi, j’aimerais devenir un autre qui aurait moins de difficulté à porter la joie de vivre en soi. Qui serait plus léger. Plus patient. Une maxime affirme que deux choses nous définissent dans la vie : la patience dont nous faisons preuve quand nous n’avons rien et l’attitude que nous affichons quand nous avons tout. Mon problème c’est que bien que je sois patient, je ne le suis pas longtemps.
Aujourd’hui, je sais plus clairement ce qui me rend heureux, en dehors de partager mon temps avec ceux que j’aime. J’ai des petits bonheurs : la moto, le ski, le badminton. Des activités qui me font apprécier la vie et passer le temps plus vite, plus agréablement. Et puis j’ai des enchantements. L’écriture, la photographie. Des passions qui donnent un réel sens à ma vie et me convainquent de traîner les pieds un peu plus longtemps sur Terre avant de partir. « L’art permet à l’homme d’échapper à sa finalité, de devenir éternel et de s’inscrire dans l’immortalité, » disait André Malraux. À moi donc de faire de ma vie un art et de l’apprécier pleinement. De m’en émerveiller. De faire toujours ce qui me rend le plus heureux. Le bonheur, c’est ici et maintenant. Voltaire ne déclarait-il pas : « Le paradis terrestre est là où je suis » ?