« Éditos

Petit traité sur les vertus de l'inanité

Photos © Didier Constant

Dans un univers où il faut absolument être productif, efficace et rentable, j’ai fait le choix de l’inutilité. Faire les choses que j’aime par plaisir ou par besoin impérieux : rouler à moto, voyager, écrire, photographier, aimer ! Autant d’occupations de saltimbanque. De dilettante.

Malgré la passion qu’exerce sur moi la moto et qui me pousse à parcourir près de 40 000 kilomètres par année, sans autre raison que de satisfaire mon envie d’ailleurs, force est de reconnaître que c’est l’un des moyens de locomotion le moins pratique que je connaisse. Surtout quand on l’ampute de ses principaux avantages — comme c’est le cas en Amérique du Nord —, c’est-à-dire sa capacité à se faufiler dans la circulation et son extrême rapidité, qualité aujourd’hui diabolisée par les autorités et élevée au rang des péchés capitaux. Il suffit qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il fasse froid pour se rendre compte de l’incapacité de la moto à vous protéger adéquatement. De visiter des endroits magiques casque à la main, blouson sur le dos en pleine canicule et bottes de moto aux pieds ou encore de vouloir voyager à plus de deux ou lourdement équipé pour réaliser que la moto n’est pas pratique. Elle est foncièrement ludique. Donc inutile pour un grand nombre de non-initiés. Et c’est ce que j’aime en elle.

Vue sur le col du Lautaret à partir du col du Galibier

Vue sur le col du Lautaret à partir du col du Galibier

La moto me permet de parcourir le monde d’une façon inédite. Elle me procure des sensations et des sentiments que je ne ressens pas quand je voyage en auto par exemple. Avoir l’impression de faire corps avec ma monture, la route, l’environnement. Être un élément vital du monde qui m’entoure. Faire partie intégrante du voyage. L’aventure n’est pas alors un élément extérieur, mais une partie de moi.

À moto, je ressens l’existence comme un cadeau. La vie, la mort ne sont plus des obsessions, mais des buts. Bien vivre pour profiter pleinement des joies et des plaisirs que ce monde peut nous offrir et, le cas échéant, bien mourir. Sans amertume. Sans regret. Le bonheur est dans l’enchantement. Dans l’émerveillement.

Je suis heureux partout, n’importe où — de préférence dans des endroits paradisiaques, il va de soi —, mais ce n’est pas la beauté des lieux qui conditionne mon bonheur, mais la simplicité de l’existence et l’authenticité des sensations que j’éprouve,  même si la beauté reste un élément sine qua non du bonheur. Le fait de pouvoir aller où je veux, quand je veux. De rencontrer des gens merveilleux chemin faisant. De pouvoir changer d’itinéraire sans préavis et parfois sans raison. De faire un détour de plusieurs centaines de kilomètres pour découvrir une route sinueuse qui serpente dans des paysages enchanteurs. De caresser le bitume de la pointe de ma botte, pour bien sentir que je suis en relation intime avec la route. Que je suis bien vivant !

Au col de la Bonette avec les amis. De gauche à droite : Richard, Patrick, Didier et Claude

Au col de la Bonette avec les amis. De gauche à droite : Richard, Patrick, Didier et Claude

Écrire découle du même besoin d’inutilité. Ça ne sert pas vraiment à grand-chose si ce n’est à aider l’auteur à vivre, à exister aussi bien matériellement que métaphysiquement. Quand on écrit, on n’a pas nécessairement besoin d’auditoire, même si c’est flatteur d’être lu par des gens intelligents, compréhensifs, admiratifs. L’important c’est de dire. De raconter. De parler. D’abord à soi-même. C’est une autothérapie efficace, un baume sur l’âme que la sécurité sociale devrait rembourser au tarif syndical.

« L’inutile et le superflu sont plus indispensables à l’homme que le nécessaire », prétend René Barjavel. Une maxime que je professe depuis des lustres et qui, au fil des ans, est devenue mon credo. Au grand dam de mon banquier !

Inutile, mais fichtrement beau !

Inutile, mais fichtrement beau !

Mais exceller dans l’inutilité est un exercice difficile. Ça prend de l’humilité, de la pugnacité, du métier. Ne s’impose pas dilettante qui veut. C’est le travail de toute une vie. Un travail qui ne souffre ni approximation ni laxisme. Il faut s’y donner cœur et âme. Comme disait Paul Valéry : « En toute chose inutile, il faut être divin. Ou ne point s’en mêler. »

6 réponses à “Être inutile, à quoi ça sert ?”

  1. Anne B.

    J’envie ta philosophie de vie autant que ton écriture … Et même, tu sais quoi ? Dans une autre vie je me mettrai peut-être à la moto ! (les motards c’est déjà fait). Alors continue d’être « indispensablement inutile », pour toi bien sûr, mais aussi pour nous, tes amis.
    Bisous.

    Répondre
  2. Didier Constant

    Merci Anne. Je vais faire de mon mieux !

    Répondre
  3. Alain Paquin

    J’aime particulièrement ce bout de texte: « De rencontrer des gens merveilleux chemin faisant. De pouvoir changer d’itinéraire sans préavis et parfois sans raison. De faire un détour de plusieurs centaines de kilomètres pour découvrir une route sinueuse qui serpente dans des paysages enchanteurs. De caresser le bitume de la pointe de ma botte, en courbe, pour bien sentir que je suis en relation intime avec la route. Que je suis bien vivant ! »

    Répondre
  4. Denis G

    il n’y pas si longtemps, relativement parlant dans l’histoire de l’Homme (Nord-Américain), les colons parcouraient les océans contre vents et marées, puis les terres à pieds, en découpant des sentiers, en canotant pour des semaines, en chevauchant. Quoique un « besoin » était en arrière de tout cela, je ne peux pas imaginer que tout ces déplacement ne se faisaient autrement qu’en les « vivant » à fonds, par la force même des choses, par leur nature. Certes, tous n’étaient pas coureurs-des-bois, mais même ceux qui ne le faisaient que peu, ou avec répulsion, devaient Vivre le moment! Je crois que c’est dans nos gênes, par choix au départ, puis par sélection-naturelle ! Aujourd’hui, C’est étouffé par quelques générations où ça n’a plus sa nécessité, voir son sens, mais ça demeure « dedans » beaucoup de gens. L’équivalent, mais du côté de l’activité-physique; il y des « gyms » pour faire passer le « méchant »… Pour ce qui est de la conduite, de de déplacer avec ferveur, vigueur, réalisation de sois.. Comme vous dites si bien= …La conduite ludique… a été « diabolisée par les autorités et élevée au rang des péchés capitaux » On peut comprendre que dans la « masse », où le métro-boulot-dodo prévaut, une conduite sportive peut vite devenir accablante pour les « autres ». Mais à mon sens, pas nécessairement, c’est une question de perception, de savoir ! En toute franchise, même inconsciemment, je crois que il y aussi que d’être « castré »… ben on envie alors ceux qui ont encore leur couilles, lol.

    Répondre
  5. Gab

    Didier, je n’ai pas de mot tellement que tes écrits rejoins tout mon être!!
    Comme c’est Merveilleux!
    Grand Merci!

    Répondre

Laisser un commentaire