Pour un avenir en haute définition
Publié le 3 janvier 2017
Quoi de plus naturel pour un photographe que de prendre de hautes résolutions au Nouvel An ? N’est-ce pas là le meilleur moyen de croquer un avenir parfaitement défini et plus lumineux ? En haute définition ?
Photos : Didier Constant, Denis Vayer, Andrew Wheeler, Joe Salas, Kevin Wing
La saison est celle des résolutions. Personnellement, j’en prends peu, mais je m’y tiens. Elles sont facilement réalisables. Je m’arrange en fait pour qu’elles ne me demandent pas un effort de volonté surhumain. À quoi serviraient des résolutions trop ambitieuses que l’on ne tiendrait pas ?
Au cours des dernières années, j’ai ainsi arrêté de fumer (la meilleure décision que j’ai prise), modifié ma diète, consacré plus de temps au sport (badminton, ski), cessé de conduire des customs, boycotté les chaînes de restauration rapide ainsi que les pétrolières qui affichent un mépris évident à l’égard des motocyclistes. J’ai également cessé de parler aux cons — « ça les instruit ! », disait Michel Audiard — et j’essaie de ne pas me faire de souci avec les choses sur lesquelles je n’ai aucun contrôle (je dois encore m’améliorer sur ce point).
Pour 2017, mes résolutions sont au nombre de trois, d’ordre intime et social. Mais ne vous inquiétez pas, elles n’engagent que moi. Je ne vous demande nullement de les suivre.
Retour à la réalité
Comme certains d’entre vous, je réalise que je consacre trop de temps aux réseaux sociaux. Et, par le fait même, j’accorde une importance exagérée aux relations virtuelles. On est loin des amitiés romantiques (Achille et Patrocle), littéraires (Montaigne et La Boétie) ou artistiques (Wagner et Nietzche) qui ont marqué notre culture.
Par moments, l’omniprésence des réseaux m’effraie. Ils tendent à remplacer la vie réelle et favorisent un décorum factice où le sentimentalisme et les prises de position péremptoires tiennent lieu de pensées et de discours. L’amitié mérite mieux que ça, vous en conviendrez. Mieux que ce simulacre de connivence auquel on a droit quotidiennement sur Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat, Tumblr ou sur les plateformes participatives du type Airbnb, Uber, Blablacar, Communauto, quand ce n’est pas dans les séries télévisées ou les magazines.
Malgré ces réticences, je ne renie pas mes interactions virtuelles, car elles m’ont permis de rencontrer des personnes extraordinaires (elles se reconnaîtront, j’en suis sûr) que je n’aurais jamais eu l’occasion de croiser autrement et qui sont devenues de véritables amis avec lesquels je passe d’excellents moments, aussi souvent que je le peux.
Ce faisant, j’avoue que j’ai un peu négligé mes vieux amis. On a parfois tendance à prendre nos potes et nos proches pour acquis. Shakespeare ne disait-il pas « Qui néglige les marques de l’amitié, finit par en perdre le sentiment » ? En effet, l’amitié, ça se mérite et ça s’entretient. C’est un cadeau que l’on fait à l’autre autant qu’à soi-même. Ça se partage donc, mais ça ne s’explique pas, autrement que par la célèbre formule de Michel de Montaigne à propos de son ami Étienne de La Boétie : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
Conscience et cohérence
Avant le Siècle des Lumières, François Rabelais se questionnait déjà sur la place de la science dans la vie sociale de son époque et sur le rôle qu’elle pouvait jouer dans l’évolution de la pensée humaine en faisant, entre autres, contrepoids à la religion et à l’obscurantisme. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivit-il dans Pantagruel, afin de mettre ses contemporains en garde contre certaines dérives de la science. Aujourd’hui, sa maxime est toujours d’actualité, mais je serais tenté de la compléter par une citation de mon cru en forme de paraphrase : « Conscience sans cohérence n’est que ruine de l’âme. »
Il est de bon ton aujourd’hui d’afficher des positions altruistes et sociales, de professer à qui veut l’entendre qu’on défend la veuve et l’orphelin, que l’on se soucie de la Planète, de la Nature, des damnés de la terre et des forçats de la faim. Autant de positions louables auxquelles j’adhère tant qu’elles sont appuyées par des actes tangibles et ne sont pas que postures philosophiques.
Nous vivons dans une société de consommation. Nous sommes nombreux à le déplorer, mais malheureusement c’est un état de fait. Dans ce système, le seul réel pouvoir que nous ayons encore, c’est celui de choisir ce que l’on achète, ce que l’on consomme, mais surtout ce que l’on n’achète pas, ce que l’on ne consomme pas.
Personnellement, j’ai décidé de favoriser les produits et les entreprises dont les pratiques commerciales ou les valeurs sont conformes aux miennes et à l’éthique. J’ai également pris la décision de ne plus voyager dans les pays qui ne respectent pas les droits élémentaires (droit des femmes, des enfants, des minorités), érigent la religion en système ou supportent le terrorisme. Il suffit de constater la situation qui prévaut aujourd’hui en Égypte et en Tunisie pour réaliser l’efficacité du boycott touristique.
J’ai surtout choisi de boycotter les pays qui pratiquent encore l’esclavage : la Mauritanie, l’Inde, la Chine, la Russie, le Pakistan, le Nigéria, l’Éthiopie, la Thaïlande, la République démocratique du Congo, la Birmanie, le Bangladesh, la République dominicaine ou le Qatar, pour ne nommer que les pires.
Cette liste n’est malheureusement pas exhaustive. En effet, selon l’ONG australienne Walk Free, plus de 46 millions d’humains sont soumis à une forme ou une autre d’esclavage dans le monde en 2017. Un esclavage aux formes multiples (travail des enfants, trafic humain, esclavage sexuel) que l’on cautionne de facto en achetant des produits bon marché, en visitant des destinations « paradisiaques » à prix d’aubaine et en finançant indirectement des dictatures par le biais de nos activités touristiques et commerciales.
Ce faisant, je réduis le spectre des pays que je pourrais visiter, mais, selon moi, aucune plage de sable fin, aucune montagne majestueuse, aucun panorama aussi sublime fut-il ne justifie de sacrifier des vies innocentes pour en jouir.
Je suis intimement convaincu qu’on ne peut pas moralement critiquer la pédophilie ni le tourisme sexuel si l’on voyage sciemment dans des pays qui cautionnent de telles pratiques, même si on ne s’y adonne pas personnellement. Chaque dollar, chaque euro que l’on dépense dans ces pays finit d’une façon ou d’une autre par asservir les populations locales qui se retrouvent dans un dénuement moral, financier et physique indescriptible.
Malheureusement, notre conscience s’accommode facilement de ces incohérences quand notre plaisir et notre confort y trouvent leur compte.
Mais d’aventure en aventure
Conscient de mon âge (adolescent, j’avais prévu de mourir avant 30 ans), j’ai décidé de profiter au maximum de la vie, à l’intérieur du cadre moral décrit plus haut. D’accumuler les rencontres, les expériences et les souvenirs quand la majorité des gens préfère accumuler les ans, sans forcément avoir d’autre but que de durer. Vivre jeune (même longtemps) ou mourir vieux, il faut choisir.
En 2017, je saisirai donc toutes les occasions de voyager à moto qui s’offriront à moi, que ce soit pour le travail ou pour mes loisirs. De passer du temps avec mes proches et mes amis, de partager de bons moments avec eux. Aucune richesse ne vaut ces instants magiques. Les premiers que l’on regrette au moment de faire le bilan et de partir.
Sur une note plus légère, je vous souhaite tous, amis réels et amis virtuels, une magnifique saison de moto 2017. Profitez-en au max, en toute conscience… Au plaisir de vous rencontrer sur la route!