ou les errements d’un vagabond immobile
Publié le 16 novembre 2016
Il y a 15 jours à peine je roulais encore en blouson d’été. Au guidon de ma BMW S1000XR. Depuis, j’ai rendu cette moto à son propriétaire légitime et la nature s’est mise à greloter et à pleurer. Méfiez-vous ! Si elle se met au diapason de mes humeurs et de mes états d’âme, je vous prédis un hiver froid et lugubre.
La moto est une maitresse exigeante. « Je lui ai donné mon cœur, mais elle voulait mon âme ! » comme dirait Bob Dylan, prix Nobel de littérature controversé, dans « Don’t think twice, It’s all right! ».
Quand je ne peux pas rouler, cloué au plancher de mon bureau, je plonge dans une profonde mélancolie. Ma vie perd son sel et je me console en relisant les textes sublimement mélancoliques des poètes maudits : Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire, Guillaume Apollinaire, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé. J’essaie de vaincre le mal par « Les fleurs du mal. »
« Chanson d’automne » de Paul Verlaine est un autre de mes textes préférés. Il a été magnifiquement mis en musique par Léo Ferré qui en a fait une saudade à la Française qui vient me chercher au plus profond de moi chaque fois que je l’écoute.
Cette année, novembre est encore plus sinistre que d’habitude. Même les anniversaires joyeux qui soulignent les deux plus beaux jours de ma vie — mon mariage et la naissance de mon fils — ne parviennent pas à chasser les nuages noirs qui flottent au-dessus de mes pensées. Entre les commémorations du 11 novembre et celles des attentats du Bataclan, je n’arrive pas à retrouver le sourire. La légèreté. L’insouciance.
Jadis, la poésie, la littérature et la philosophie parvenaient à donner un sens à notre vie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Beaucoup d’entre nous ont délaissé la réflexion au profit de la réaction instantanée. Répondre et convaincre est désormais plus important que comprendre et débattre. Il faut reconnaître qu’on a développé des outils bigrement puissants pour partager des vues et des commentaires sans intérêt, sans consistance, avec des gens qui n’écoutent pas vraiment et qui s’en foutent. Ergoter et anéantir les arguments des autres est un sport ou un art, selon celui qui le pratique. On appelle ça la rhétorique, l’éloquence ou la persuasion. Ça n’a rien à voir avec l’intelligence. Encore moins avec la compréhension du monde ou la philosophie. Et puis, il y a l’ignorance et la bêtise, deux corollaires de l’intolérance et du sectarisme.
En novembre, l’obscurité recouvre les villes et les campagnes, le froid nous glace le sang et les os. Cette année, plus que jamais. Le vent d’obscurantisme qui souffle du sud jette sur nos espoirs d’une vie meilleure une lourde chape de plomb. Un clown sinistre et psychopathe devient l’homme le plus puissant du monde alors qu’un immense poète/chanteur s’éteint. « Hallelujah ». Mais lequel regrettera-t-on le plus ?
L’automne est une période triste et cruelle. C’est un ami qui vous déçoit et vous trahira avant l’arrivée des beaux jours. C’est une flamme qui s’éteint et vous laisse seul dans le noir et le froid. C’est le temps où certains animaux hibernent — je les envie parfois — en attendant le retour du printemps. C’est la saison des morts. La victoire du déclin. La revanche de la vieillesse.
En regardant la pluie tomber sur les vitres de mon bureau, je cherche des traces tangibles de mes aventures récentes ou lointaines, comme pour me rassurer. Me dire que je suis bien vivant. Bien éveillé. « Je me souviens des jours anciens et je pleure. » Parfois, mes souvenirs et mes rêves se mêlent les uns aux autres dans un amphigouri mnémonique surréaliste. Impossible de dire si j’ai vécu mes rêves ou rêvé ma vie. Il reste des sensations vagues, des images floues, des impressions étranges. Et un vide immense, amplifié par le fait de vivre entre deux continents, entre deux solitudes. Hors de France, je m’ennuie de ma terre natale, de sa culture, de sa cuisine, de ses paysages grandioses, des souvenirs qui m’y rattachent. Mais quand je quitte le Québec, je perds mon confort, mes habitudes adultes, mes repères. Et une certaine douceur de vivre.
En fait, mon vrai pays c’est les gens que j’aime ; ma femme, mon fils, mes frères, ma sœur, mes amis. Là où ils sont, je suis chez moi. Ici, ailleurs, partout ! Avec eux, je suis bien, même si l’inverse n’est pas toujours vrai. Mais sans eux, je suis plongé dans un état de langueur persistant. C’est le spleen cher à Baudelaire.
Puis le téléphone sonne comme un appel surgi des ténèbres. Au bout du fil, c’est le représentant d’un constructeur qui m’invite à un lancement, en Californie, en plein mois de décembre. Soudainement, j’oublie mes tracas, mes motos qui s’enrhument dans le garage, les longs mois d’inactivité motocycliste qui m’attendent, le blues de l’hiver qui ne va pas tarder à m’envahir. Et je compte les jours avant mon départ. La Californie, c’est dans l’hémisphère nord ?