No future !
Publié le 27 octobre 2016
En cette période de salons internationaux, plusieurs concepts et quelques déclarations passées quasiment inaperçues laissent planer un doute sérieux sur l’avenir de la moto dont le visage risque de changer drastiquement à très court terme. Au point où l’on peut se demander si la moto, telle qu’on l’a connue, a encore un futur.
Cette semaine, deux nouvelles venues d’Allemagne m’ont amené à réfléchir à cette question. La première est l’adoption par le Conseil fédéral allemand d’une résolution visant l’arrêt de la production et de la circulation des véhicules propulsés par un moteur à combustion interne * d’ici 2030. Dans 13 ans à peine, donc. Autant dire demain !
Bien sûr, l’accord n’a pas encore été ratifié par le parlement allemand ni par la Commission européenne. Et les coûts énormes qu’engendreraient une mutation rapide vers le tout électrique à la grandeur de l’Europe pourraient retarder de plusieurs années, voire de plusieurs décennies la mise en place d’une telle mesure. D’autant qu’on n’a toujours pas développé de technologie de remplacement réellement écologique, fiable et bon marché. Car, quoi qu’on en dise, les moteurs électriques, à l’hydrogène ou encore l’utopique moteur à eau sont loin d’être arrivés à maturité et rien n’assure que les problèmes qui s’opposent aujourd’hui à leur diffusion massive seront résolus à temps pour la mise en œuvre de cette mesure. Néanmoins, la menace pèse et il faut être vigilant.
À ce sujet, il est intéressant de noter que malgré des incitations fiscales démesurées de 1,2 milliard d’euros (environ 1,7 milliard de dollars, soit près de 5 600$ par véhicule mis en marché) de la part du gouvernement fédéral allemand, l’objectif de mettre 300 000 véhicules électriques en circulation d’ici 2019 est loin d’être réaliste, si on se fie à un article paru dans le quotidien allemand Der Spiegel. Ce qui montre bien la résistance de l’industrie, mais surtout des consommateurs au concept du tout électrique.
L’autre nouvelle, plus pernicieuse à mon avis, est l’annonce du projet Vision Next 100 de BMW. La présentation faite par le constructeur bavarois prête à sourire par son côté futuriste et par sa vision candide ; la machine de synthèse montrée dans le vidéoclip promotionnel ressemble étrangement à la moto du film Tron : Legacy, tout comme les vêtements portés par le sublime mannequin qui la chevauche. Mais, si on en croit le message véhiculé par ce clip, les motocyclistes de demain n’auraient plus besoin de porter de casque, car la moto ne pourrait plus chuter. Ni le vent souffler ni la pluie tomber d’ailleurs. Pas plus que les insectes ne voleraient et ne viendraient s’écraser sur le visage angélique de la conductrice.
Cependant, en dépit du côté risible de ce vidéo et du ridicule de la machine qui semble avoir été réalisée par un ingénieur junior sous l’effet de psychotropes puissants, c’est le recours à de nombreuses technologies automobiles — affichage tête haute (grâce à des lunettes connectées), connectivité « Cloud », prise de décision par le véhicule en cas de danger imminent — qui effraie dans le sens où cela marque une dépossession progressive et rapide du contrôle de la moto par le pilote au profit du véhicule.
On peut dès lors se poser la question de la pertinence ou de l’intérêt de conduire une moto autonome qui contrairement aux autos du même type présente peu d’avantages (on peut difficilement se livrer à d’autres activités que la conduite sur une moto).
Le plus symptomatique dans cette histoire c’est le peu de cas que les décideurs font de l’opinion des gens qu’on ne consulte pas sur des enjeux pourtant majeurs pour leur avenir, ou qu’on n’écoute tout simplement pas quand ils se prononcent. Aujourd’hui, nos sociétés sont sclérosées, soumises aux impératifs économiques de l’ultra libéralisme. On n’y respecte plus la voix du peuple (cf. le référendum sur la constitution européenne, en France) ni celle des nations (passage en force du traité de libre-échange CETA entre le Canada et l’Europe).
Au nom de la sécurité à tout prix, l’industrie va nous imposer des machines dont ne nous voulons pas et qui sont l’antithèse même de notre passion pour la moto. Le rapprochement de plus en plus grand qui s’opère entre les industries automobile et motocycliste se fait à notre détriment. La moto doit déjà beaucoup à l’auto. Trop diront certains. La prolifération rapide des aides électroniques désormais omniprésentes — pour ne pas dire envahissantes, voire castratrices — sur les motos récentes en est l’illustration parfaite. Elle signe, à court ou moyen terme, la mort de la moto. Surtout que nous sommes devenus apathiques, incapables d’improvisation, de rébellion ou de subversion. L’esprit punk est mort. Il ne reste que sa devise pour nous rappeler des jours meilleurs. No future !
* Petit rappel historique : le moteur à combustion interne a fêté ses 150 ans dans la plus grande indifférence en 2009. Il a en effet été créé en 1859 par le Français Étienne Lenoir, le concepteur du moteur deux temps. Huit ans plus tard, c’est-à-dire en 1867, l’Allemand Nikolaus Otto, le père de Gustav Otto, cofondateur de BMW avec Karl Rapp en 1917, inventait le moteur quatre temps. Quant au diesel, il a été mis au point en 1893 par un autre Allemand, Rudolf Diesel.