Ou comment se forge la passion !
Publié le 25 août 2016
Dans la région de Chaudières/Appalaches, à la sortie ouest de Saint-Jean-Port-Joli, se trouve une grange qui abrite La Bigorne, une forge artisanale combinée à une boutique d’antiquités, sorte de caverne d’Ali Baba sur laquelle règne Clermont Guay, un personnage hors norme qu’il faut rencontrer à tout prix. Pour cela, il suffit de faire un détour par la route 132 et lui rendre visite dans son antre.
Photos : © Didier Constant/PPI inc.
Clermont Guay est un homme hors du commun. Par son physique — c’est un gaillard de 1,90 m pesant près de 100 kilos —, mais aussi par sa personnalité. Affable, aimable, charismatique. Droit dans ses bottes !
Clermont est un ancien homme des bois. Il a exercé le métier de technicien forestier durant près de 30 ans. En 1997, il prend sa retraite et ouvre la Bigorne (le nom désigne une enclume d’orfèvre à deux cornes), sa propre forge artisanale, située à l’extrémité ouest du village touristique de Saint-Jean-Port-Joli. Dans une grange qu’il a lui-même bâtie, avec l’aide de sa famille (son frère, son père, son fils) et des gens de la place. Ils étaient 60, dont le charpentier du village, à porter chacun une des grosses épinettes qu’il avait choisies et débitées lui-même, une à une, avec soin, pour ériger sa grange qui fait aujourd’hui partie du patrimoine culturel et historique de la région.
Clermont est un forgeron autodidacte, comme il se plait à le raconter. « Le métier, je l’ai appris dans les livres, à la bibliothèque du coin. Rien ne me destinait à devenir forgeron. Mais une fois que tu es devant la forge et que le feu rougeoie, il faut chauffer le fer et le battre. Il est trop tard pour reculer ! »
Le ferronnier philosophe a les racines bien ancrées dans la terre féconde de son coin de pays. Et des convictions affirmées haut et fort. À une époque où tout le monde consomme et jette, lui, il récupère. Il fait du neuf avec du vieux. Il retape. Il entrepose. Il expose. En un mot, il crée. Une multitude d’objets hétéroclites — enseignes publicitaire en tôle, outils rappelant les métiers d’autrefois, meubles en bois restaurés — s’entassent dans sa boutique. Rangés avec ordre et méthode. Tout un bric-à-brac qui constitue un véritable musée ethnologique dédié à la région de Chaudières/Appalaches.
Entre deux histoires, Clermont vous raconte sa vie, ses passions — et il en a plus d’une — ainsi que sa ferveur indépendantiste. Avec ses amis, il essaie de bâtir un pays, avec le même acharnement qu’il met dans la fabrication de ses girouettes. Et comme elles, il ne perd pas le Nord. Clermont déclame ses histoires à la façon d’un Fred Pellerin. Et des histoires, il en a des tonnes à raconter.
Avec ses bottes de travail délacées, son tablier de cuir noué autour de la taille, sa casquette de conducteur de train et sa chemise à carreaux, Clermont impose le respect, comme tous les gaillards de son gabarit. D’autant que sa voix grave porte et impose le respect.
Ce motocycliste expérimenté et passionné, aujourd’hui dans la soixantaine, est un aventurier avant l’heure. Sur sa BMW R1100 GS 1998 qui totalise plus de 100 000 km au compteur, il a fait quatre fois la route du Labrador, avant que celle-ci ne devienne une autoroute pour baroudeurs du dimanche. Lorsque Richard et moi l’avons rencontré, à la mi-août, à l’occasion d’une balade à Tadoussac et à Kamouraska, il se préparait à partir pour le Maine avec un de ses amis, propriétaire d’une BMW F800GS. « Avant, ma femme m’accompagnait dans mes expéditions. Mais, aujourd’hui, ça lui tente moins. Elle aimerait que j’achète une décapotable pour rouler cheveux au vent. Tu me vois, moi, dans une convertible. J’aurais la tête dans la capote et le cou rentré dans les épaules. Mais surtout, je me ferais chier. Du coup, je roule avec mon chum. Et on a du fun ! »
Malgré ses mains grandes comme des pagaies, Clermont travaille avec minutie. On est surpris de sa dextérité quand on l’observe. C’est un artisan au sens noble du terme. Un amoureux de la « belle ouvrage bien faite ». Il peut passer des heures à travailler sur une pièce pour atteindre la perfection.
Tout en gossant le cuivre à coups de marteau, il accueille les clients dans son atelier/boutique avec une chaleur typique des gens du cru convaincus de leurs origines et de leurs valeurs. « Si tu voyais ce que les gens jettent, tu serais étonné. Le problème, au Québec, c’est qu’on n’a pas conscience de notre histoire. Pas de respect non plus. Alors on jette. Ça prend des gens comme moi pour récupérer tout ça et essayer de redonner une seconde vie aux objets. Leur redonner leur histoire ! »
Chaleureux, Clermont aime les gens et ça se voit. Il aime leur parler et les écouter aussi, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il accueille les clients qui entrent dans sa forge comme s’il les connaissait depuis toujours. Certains, comme moi, viennent le voir à chacune de leurs visites dans le coin. D’autres arrêtent parce qu’ils ont entendu parler de l’endroit par des connaissances. D’autres encore viennent par hasard, en apercevant les enseignes colorées de loin.
Et quand une jeune famille arrive dans une Volkswagen Coccinelle de 1961 retapée avec goût et minutie, Clermont embarque dans une discussion technique qui laisse le propriétaire pantois. Une vraie encyclopédie de la mécanique, aussi bien auto que moto.
Clermont Guay est un authentique personnage de film. Exubérant, plus grand que nature, chaleureux. Le genre de personnes qui vous redonnent goût à la vie et espoir en l’humanité. Même s’il est une force de la nature, il est d’une gentillesse étonnante. Et d’une patience que je lui envie. J’aimerais faire preuve de la même diplomatie avec les importuns, être capable d’envoyer promener ceux qui m’énervent avec une telle politesse qu’ils repartent le sourire aux lèvres, comme s’ils venaient de recevoir un compliment.
« La prochaine fois que tu passeras dans l’bout, avertis-moi. On ira rouler ensemble ! », me lance-t-il alors que je m’éloigne. Comme il est occupé avec une cliente de Québec qui a l’air intéressée, je ne réplique pas, mais je prends note. La prochaine fois, je l’appellerai.
Richard et moi sommes repartis vers Montréal et ce n’est que quelques kilomètres plus loin que j’ai réalisé que j’avais oublié de lui acheter une girouette pour mettre sur mon terrain. Question de toujours savoir dans quelle direction souffle le vent. Ça me fait une bonne raison de revenir lui rendre visite… En plus, c’est au coin de la rue. À peine 400 km de chez moi.