Ou petit traité de l’errance intérieure
Publié le 31 mai 2016
Aujourd’hui, j’ai profité de ce que la température était idéale — ça arrive si peu souvent dans un été — et de ce que j’avais une moto neuve à dévierger pour partir sur un nowhere. Sans but. Sans destination. Juste pour le plaisir de rouler. Mais ça implique quoi d’aller nulle part ?
Pas besoin d’essence pour aller sur un nowhere ! La solution à la pénurie ?
Partir sur un nowhere c’est se perdre en chemin parce qu’on ne trouve pas sa destination. Où qu’on aille, on est toujours quelque part. Nulle part n’existe sur aucune carte routière. Ne se trouve avec aucun GPS. Et la route qui y mène est parsemée de mystères. S’y rendre est un défi digne de Ionesco.
Quelle route prend-on pour un tel but ? Et quand on arrive à la croisée des chemins, que fait-on ? On tourne à gauche ? À droite ? On va tout droit ? Encore faut-il qu’il y ait une route qui y aille. Habituellement, les chemins que je suis sont tortueux. Rarement rectilignes. Ils vont toujours du point A au point B parce qu’il est difficile de faire autrement, mais en faisant mille circonvolutions. Mille détours. Mille retours en arrière. Aucun chemin ne m’a encore mené à Rome et ce n’est pas faute de vouloir y aller.
Partir sur un nowhere et en revenir. Mais en revient-on vraiment ? Ou est-ce une voie sans issue ? Une issue incertaine ? Fatale ? Ou la seule possible ? Ou une issue de secours peut-être ?
Partir sur un nowhere, c’est partir seul. Forcément. Car, dès qu’on est deux, on va quelque part. On va vers l’autre. Vers un avenir meilleur. Ensemble. C’est du moins ce qu’on se dit. L’inconvénient de partir seul c’est que du coup on s’emmène avec soi et qu’il faut se supporter tout le long du voyage. Écouter ses soliloques intérieurs. La solitude n’a pas que des avantages.
Partir sur un nowhere, mais pour combien de temps ? Connaît-on en partant la durée du périple ? Ou part-on à l’aventure, sans idée de retour, sans échéancier ? « Ce n’est pas l’homme qui arrête le temps, c’est le temps qui arrête l’homme ! » disait François René de Chateaubriand. Mais cela suppose-t-il de rouler jusqu’à la fin ? Même si partir c’est renaître, cela justifie-t-il de tutoyer la mort pour tester sa propre éternité ?
Partir sur un nowhere c’est se découvrir en revenant à soi. S’apercevoir qu’on est toujours au même endroit, s’attardant encore là depuis la dernière fois. C’est faire des milliers de kilomètres et ne pas bouger vraiment. C’est changer de lieux et d’idées. C’est regarder avec de nouveaux yeux des paysages observés mille fois. Les réinterpréter pour les rêver à nouveau. Inédits. Intacts.
L’homme est pluriel, c’est ce qui fait sa singularité, mais il est aussi unique, c’est ce qui fait son universalité. Et il y a des hommes qui ont un cœur immense comme un continent. Ceux-là sont éternellement en voyage. C’est leur maison, leur univers, leur raison d’être. Ils sont chez eux partout, mais aussi nulle part. C’est pour cela qu’ils partent. En faisant l’école buissonnière de préférence.