Vivre pour rouler, écrire pour survivre
Publié le 28 mars 2016
Si je roule à moto pour ne pas vieillir, pour découvrir le monde et les gens, j’écris pour survivre plus que pour laisser une trace. Ou alors à moi-même, afin de ne pas oublier.
Depuis une décennie, je perds irrémédiablement la mémoire et je m’en rends compte. Même si mon entourage et mes amis essaient de me rassurer en me disant qu’ils sont dans la même situation…
À mon avis, un écrivain* se parle à lui-même plus qu’il ne parle à l’autre. Il s’invente, il se crée et s’inscrit dans une certaine forme d’éternité, souvent contre son gré.
Dans mon cas, écrire est une façon de me soulager de moi-même, de briser le silence et de sortir de mes soliloques, lesquels peuvent devenir envahissants, sclérosants si je ne les couche pas sur le papier. Il s’agit d’une manière d’exister qui ne réclame pas forcément d’auditoire ni d’approbation. Si j’écris à l’occasion pour communiquer ou pour partager — dans le cadre de mon travail de journaliste —, ce n’est pas la raison première de mon besoin viscéral d’écrire.
Parfois — et c’est là que l’acte d’écrire est magique —, il arrive que mes divagations parviennent au regard de l’autre et provoquent chez lui une réaction. Le fait d’écrire agit sur le monde et fait interagir l’auteur avec ce dernier.
Chaque écrivain est propriétaire de ses mots même si ceux-ci appartiennent à la communauté humaine. Et il doit les défendre. C’est ce qu’on appelle le droit d’auteur. Lorsque ses mots provoquent chez vous une réflexion, une prise de conscience ou une forme aiguë d’émotivité, il exerce alors son droit de hauteur.
Cependant, une fois qu’un texte est publié, l’auteur en est dépossédé. Il devient la propriété de chaque lecteur qui l’interprète avec son vécu, ses références, ses obsessions. Et sa compréhension propre. Ce qui fait que parfois, il y trouve des idées ou des arguments que l’auteur n’a pas mis.
Lire est un exercice exigeant, comme le soulignait l’écrivaine et journaliste Madeleine Chapsal : « La lecture est un art et tout le monde n’est pas artiste ». En effet, il y a des lecteurs professionnels et des lecteurs dilettantes. Des gens qui lisent pour travailler, pour se distraire, pour s’informer, pour comprendre ou pour s’évader. Ce qui explique qu’un même texte puisse être interprété différemment selon la personne qui le lit. Et les raisons pour lesquelles elle le fait.
Et puis, il y a les pamphlétaires. Ceux qui lisent plus pour répondre que pour comprendre, pour critiquer que pour apprendre. Quand je suis confronté à ce genre d’individus qui s’apparentent aux trolls sur Internet, il en résulte parfois des quiproquos amusants ou des malentendus fâcheux. Tout dépend de l’interlocuteur auquel je fais face, et de mon état d’esprit au moment de l’échange. « Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ».
Enfin, il y a les prosélytes. Ceux qui veulent avoir raison à tout prix et pensent à leur prochaine réplique avant même d’avoir lu ou entendu votre réponse. Ceux-là sont insupportables. Et pourtant nombreux.
Les mots ont une force incroyable. Et peuvent blesser plus sûrement qu’une chute à moto par exemple. Dernièrement, lors d’une discussion animée, un ami m’a fait une insulte en forme de compliment. Je ne sais pas s’il l’a fait à dessein, ou s’il ne s’en est pas aperçu. Peu importe ; le résultat est le même en fin de compte. « Parle-nous de tes enthousiasmes, de tes beaux voyages et de tes belles rencontres et tu n’auras que des amis — ou des jaloux. » Une façon de me réduire au silence sur tout autre sujet. De me dire poliment « Ferme ta gueule ! » Le jour où j’écrirais pour me faire des amis — j’en ai plus qu’il ne m’en faut pour être heureux — ou pour faire des jaloux —, il sera temps que je raccroche mon clavier.
Quand l’émotivité se substitue à la logique et à la réflexion, on s’expose à une forme d’anesthésie de l’esprit critique qui me dérange. Tout écrit n’est pas matière à débat. Et ne demande pas forcément une réponse. Un fait indubitable n’est pas une opinion qui elle même n’est pas forcément un jugement de valeur. Il faut savoir faire la distinction et ne pas tout mettre sur le même niveau.
En ce qui me concerne, je vais continuer à écrire. Sur mes enthousiasmes, mes beaux voyages, mes belles rencontres et sur tout le reste aussi. Pas pour faire plaisir à untel, ou séduire unetelle, pas pour avoir le dernier mot, mais pour rester vivant. C’est un besoin vital.
* Dans cet article, j’utilise le terme « écrivain » dans son sens étymologique, qui signifie celui qui écrit. Je n’aurais jamais la prétention de me prendre pour un écrivain au sens moderne du mot.