Hommage à mes chers disparus, à tous ceux qui sont partis trop tôt
Publié le 20 avril 2015
La superbe photo qui illustre ce billet est de Florence Roche. Vibrant hommage à Don Quichotte et à l’Homme à la moto, les deux entités qui se battent en moi, mais aussi à tous mes chers disparus, elle constitue une belle allégorie du temps qui passe malgré nous, malgré nos passions.
Quelle idée as-tu eue de partir si vite? Pendant que j’avais le dos tourné. Là-bas, de l’autre côté de l’Océan où tu n’as pas eu le temps de venir me rendre visite. J’attendais que tu me montres à jardiner, mais tu es allé « planter tes choux à Saint-Cucufa ». Je voulais que tu m’enseignes à vieillir en beauté, mais tu es parti dans la fleur de l’âge tandis que moi je commence à courber le dos sous le poids des ans. Aujourd’hui, je suis plus vieux que tu ne l’étais lors de ton départ et je n’ai aucune idée de ce à quoi je ressemblerais dans 10 ans, dans 20 ans, dans 30 ans, si par mégarde je vis aussi longtemps. Tu m’as quitté avant que j’aie eu le temps ou la sagesse d’apprendre à te dire « Je t’aime ». Même si je sais qu’un jour j’aurais toute l’éternité pour te le dire, ça ne me console pas. Ça n’aura pas la même saveur. Aujourd’hui, tu me manques et je ne peux plus te le chuchoter à l’oreille. Elle est pleine de terre et ton cerveau est rongé par les asticots. Quand tu me parles, c’est en rêves. Des rêves que je souhaiterais éternels parfois.
Quelle idée as-tu eue de partir doucement? Sans crier gare. En t’endormant sur le billard comme si c’était le lit d’un palace parisien. Me laissant d’un coup complètement orphelin. Sans épaule sur laquelle déposer ma tête quand le chagrin m’assaille. Sans sourire pour égayer mon spleen. Tu aurais pu t’éterniser un peu. Me bercer dans tes bras en me racontant des histoires à dormir debout, les soirs d’insomnie. Tu aurais pu musarder. Faire la mort buissonnière et traîner les pieds en prenant le chemin le plus long pour te rendre à ta dernière demeure. « Partir pour l’autre monde par le chemin des écoliers » comme le chantait Brassens. Au lieu de cela, tu t’es éteinte sans un mot. Sans une plainte. Sans un souffle. Ton cœur s’est arrêté de battre. Tout bêtement. Comme si ton cerveau lui avant dit : « Arrête de lutter! Ça n’en vaut pas la peine. Tes meilleures années sont derrière toi. Devant il n’y a que misère et vieillesse! » Et moi dans tout ça? Je fais quoi? Je n’aurais même pas eu le temps de te fredonner « Une chanson douce », à mon tour. Pas le plaisir de te gâter ni de te chouchouter, comme tu l’as fait pour moi, enfant.
Quelle idée as-tu eue de partir, seul, vers une destination où je ne peux te rejoindre qu’en sortant de la route? Toi si talentueux, si fougueux, si joyeux, si vivant. Tu aurais pu vivre encore un peu, mon ami. Avoir la décence de me laisser partir le premier. Moi qui suis ton ainé et ai suffisamment vécu pour deux. Au lieu de cela, tu m’as abandonné, me laissant seul avec mes doutes, mes chagrins, mes regrets et mes souvenirs. Tu aurais pu m’accompagner encore un instant. Nous aurions entrepris tous ces voyages que nous avions planifiés ensemble. Essayé toutes ces motos exotiques dont nous rêvions. Fait la course sur ces magnifiques pistes que nous adorions, en Europe, en Océanie, en Asie, en Afrique ou en Amérique. Au lieu de cela, tu t’amuses sur des circuits célestes avec mes potes « Les motards vagabonds », eux aussi partis trop tôt.
Et moi? Je traîne ma carcasse, comme un Don Quichotte déchu qui n’aurait plus de moulins à combattre. Même Rossinante est las aujourd’hui. C’est un étalon décharné et maigre. Souffreteux. Qui n’est plus l’ombre de lui-même. Qui n’a plus d’ombre même. J’ai parfois l’impression d’être un imposteur. De vivre nos rêves communs par procuration. De n’avoir comme talent que celui que vous m’avez légué en héritage. Lourd à porter. J’ai le sentiment de ne pas mériter la femme qui m’aime et dont je suis éperdument épris. Le fils génial et talentueux que j’adore. Les amis en or qui passent leur temps à m’encourager et à me supporter (c’est difficile, je le reconnais, je n’y parviens pas moi-même par moments). Même le métier que je pratique, une carrière taillée sur mesure pour moi, que j’ai façonnée à force de sacrifices, de renoncements et que beaucoup m’envient, me semble usurpée parfois. Comme si d’autres plus méritants y auraient droit avant moi.
Vous qui m’avez quitté, mon père, ma mère, mes amis, vous auriez pu vous attarder un peu. Prendre le temps d’un dernier verre. D’un dernier repas. D’un dernier coucher de soleil sur l’horizon. D’une dernière embrassade. Vous auriez pu avoir la délicatesse de ne pas m’obliger à rédiger ces lignes qui me font regretter l’insouciance du temps passé, la douceur des jours heureux. Même si l’écriture est mon métier, il y a des mots qu’on préfère ne pas avoir à coucher sur le papier au sujet de ceux qu’on aime. Alors, à vous que je chéris et qui sont encore vivants, de grâce, soyez patients et attardez-vous sur Terre. Vous savez combien je suis paresseux quand vient le temps de prendre la plume. Et combien je suis bien en votre compagnie.