« Éditos

Ou les tribulations d'un motard vagabond

Photos © Didier Constant, Dave Beaudoin, Nathalie Renaud, Patrick Laurin, Hélène Ginollin, DR

Dernièrement, en sélectionnant des photos réalisées au cours des 30 dernières années, en vue de publier un livre d’images de voyages, sorte de roadbook photographique illustrant mes pérégrinations, j’ai réalisé que ma vie ressemblait à un road movie, inspiré de «Sur la route», le roman de Jack Kerouak, livre culte de ma jeunesse ou de «Carnets de voyage», le superbe film de Walter Salles sur la traversée de l’Amérique du Sud à moto, en 1952, par le jeune Ernesto Guevara et son compagnon Alberto Granado. Le premier deviendra le «Che», figure légendaire de la révolution cubaine alors que le second, biochimiste réputé, fondera l’École de médecine de Santiago de Cuba.

Ces deux œuvres fondatrices évoquant des voyages initiatiques m’ont profondément marqué, à deux époques clefs de ma vie. La première au sortir de l’adolescence, quand j’ai réalisé que je n’étais pas doué pour la sédentarité, que le nomadisme était inscrit dans mon ADN, héritage génétique provenant de ma mère aux origines métissées bretonne et tzigane. La seconde à l’approche de la cinquantaine, quand j’ai décidé de fonder motoplus.ca et de tenter l’aventure de la publication sur Internet.

En 1981, j’ai délaissé le confort d’un poste permanent au sein de la fonction publique française et la promesse d’un avenir tracé au cordeau pour venir tenter ma chance au Québec, la terre de ma femme. Changer de pays et tout recommencer à zéro. Faire table rase du passé. L’aventure ultime en quelque sorte! Découvrir de nouveaux paysages, une nouvelle culture, une nouvelle langue, se faire de nouveaux amis. Depuis, je mène une vie d’expatrié, le cul entre deux chaises, entre deux continents, entre deux familles, entre deux cultures. Une vie d’errance, une vie d’erreurs, une vie de bonheur. Une existence bien remplie dans laquelle l’amitié et le partage ne sont pas de vains mots, mais constituent une façon d’être, de vivre, mais surtout mon véritable ancrage faute de terre dans laquelle planter mes racines.

Au fur et à mesure que les images défilent sur mon écran, en ordre chronologique, les souvenirs me submergent et me ramènent vers le passé avec vigueur, comme tiré vers le fond de l’océan par les tentacules d’une pieuvre géante. Je revois chaque périple en flashbacks, redécouvrant des lieux sublimes et des visages familiers sortis des méandres de ma mémoire. Je retrouve des sons, des odeurs que je croyais oubliés à jamais. Des sensations qui me rajeunissent d’une quarantaine d’années et me font revivre des moments magiques. Ceux de ma jeunesse, quand j’étais fort et beau. Insouciant!

Montréal, Québec, 2006

Montréal, Québec, 2006

Je me rappelle mes premières sorties à moto au guidon d’une Honda CB125S 1972 poussive, chargée comme une mule, qui me faisait l’effet d’une bombe à l’époque. Les balades avec les potes chevauchant eux aussi des engins aux performances anémiques qui nous feraient sourire aujourd’hui, mais nous comblaient en ce temps-là. Nous mettions une journée entière pour parcourir les 400 kilomètres qui nous séparaient d’une concentration sur le plateau du Larzac, ou d’une course nationale au fin fond de la cambrousse, nous arrêtant des dizaines de fois pour faire le plein, fumer une cigarette ou casser la croute en chemin. Une miche de pain, un saucisson sec et une tablette de chocolat constituaient alors un festin de roi. Que l’on arrosait avec une bière tiède insipide, mais ô combien rafraichissante! On portait des Barbour huileux, des bottes de motocross frottées à la graisse de baleine pour les imperméabiliser et des casques Cromwell surmontés de lunettes d’aviateur. Nous étions jeunes, passionnés, avides d’aventures. Nos motos étaient notre passeport vers l’indépendance et la liberté. Même quand elles tombaient en panne sur le bord d’une départementale déserte. On savait quand on partait, jamais quand on arriverait. Mais on arrivait toujours. Avec quelques heures de retard, parfois quelques jours, l’important n’étant pas de parvenir à destination, mais de prendre la route.

Dans les années 60-70, la moto était le véhicule de l’évasion par excellence, dans tous les sens du terme. Elle donnait accès à un paysage sauvage, loin de la ville et des contingences du monde moderne. Elle constituait le symbole ultime de la liberté individuelle pour toute une génération de motocyclistes. Pourtant, elle a très vite été contrôlée et réglementée par l’État au point d’être aujourd’hui complètement dénaturée. De la liberté des premiers jours, il ne reste que des images floues qui s’effacent dès qu’on branche un GPS, outil de l’asservissement de l’Homme par la technologie. Un outil d’une efficacité redoutable pour savoir en tout temps où l’on est et où l’on va, sans jamais se perdre. Mais en demandant aux satellites américains de tracer notre route, nous perdons notre âme, notre indépendance, notre liberté. Comment se trouver si on ne s’égare jamais?

Aujourd’hui, à l’ère des radars automatiques et des mouchards électroniques, il faut aller sur les circuits ou dans les sentiers pour retrouver un semblant de liberté, pour donner libre cours à notre passion sans entraves. Ou bien voyager dans des contrées éloignées dans lesquelles Big Brother ne sévit pas encore, à tout le moins pas sur les routes.

À défaut de pouvoir assouvir ma passion sur les routes d’ici, je trouve mon plaisir ailleurs. Et ça me convient tout à fait. J’adore voyager. J’en ai même fait ma profession… de foi!

Daytona, Floride, 1988

Daytona, Floride, 1988

 Galerie

11 réponses à “Sur la route, encore et toujours”

  1. Sylvain Duhamel

    Encore une fois de magnifique photos.

    Merci pour ce voyage virtuel.

    Répondre
  2. Nicolas Tremblay

    Didier, tes photos sont magnifiques et inpirent à partir. Mais qu’est-ce que je fou dans cette job de bureau moi!!! 😛

    Répondre
    • Didier Constant

      Merci pour le compliment Nicolas. Quant à ta question, il n’y a que toi qui puisse y répondre 😉

      Répondre
  3. Jean Meunier

    Didier,vraiment aimé ton Éditos: sur la route, encore et toujours
    On vivait vraiment l’aventure dans les années 60/70 et de liberté, même si la moto n’était pas aussi fiable et l’habillement pas des plus technique, on n’avait le plaisir de monter notre tente le soir venu à l’endroit ou cela nous convenait le mieux, que ce soit le bord de la route (Laconia)
    On ne se connaît pas, mais j’aime bien lire tout t’es écrit.
    Jwing

    Répondre
  4. Guy Gariépy

    J’ai bien aimé ta question,< comment se retrouver si on ne s'égare jamais?
    Pour ma part,je n'ai pas le sens de l'orientation et pourtant mes compagnons de motos veulent que je soi le chef de file, et ils ont bien du plaisir à me voir m'égarer à chaque sortie en moto.
    Ces peut-être le goût de l'aventure qu'ils recherchent sans le savoir. Bye bonne route.

    Répondre
  5. Flo

    Merci pour ces moments d’évasion Didier, tu es notre Thalassa à nous! 😉
    Gros bisous

    PS: tu es toujours fort et beau! 😉

    Répondre
  6. Anne

    Bien d’accord avec Flo !
    Bisous

    Répondre
  7. Robert Dionne

    Didier…,on s’est parlé avant que tu débutes ta conférence à Québec en février 2015 au salon de la moto. Ta capacité d’établir dans notre échange une qualité relationnelle avec moi qui ne te connaissait pas auparavant était vécu par moi comme saisissante .Dans ton présent texte , ta façon de disséquer un constat de situation en y rattachant tes sentiments , impressions et réflexions en allant toujours un peu plus loin dans ce qui peut surgir d’idées prévisibles, tantôt imprévisibles émanant de ton cerveau—comme à moto—-. Cela fait de toi assurément un artiste dans ton rapport à la vie en général. Tes propos sur la liberté y font écho. Tu écris ce que tu es et vice versa. Heureux de t’avoir connu. Merci pour ce que tu es.

    Répondre
    • Didier Constant

      Merci Robert pour ce très joli compliment. Il me va droit au cœur. Au plaisir de te revoir. 😉

      Répondre

Laisser un commentaire