La SAAQ emboite le pas aux compagnies privées
Publié le 2 février 2015
Si vous êtes de ceux qui souriaient d'incrédulité en regardant la campagne de publicité «Ajusto» de Desjardins Assurances, préparez-vous à pleurer maintenant.
Photo: Didier Constant/PPI
À compter de 2016, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) mènera un projet pilote visant à installer un mouchard électronique sur le véhicule des usagers qui voudront se prêter à l’expérience afin de déterminer leurs habitudes de conduite et établir leur prime d’assurance en conséquence.
En sautant dans le train de la technologie, la SAAQ nous prépare à payer selon notre type de conduite. Une version «new-look» de la politique «utilisateur-payeur» chère aux gouvernements libéraux appliquée à l’assurance automobile.
Dans le domaine de l’assurance privée, l’Industrielle Alliance a incité ses assurés à installer des traqueurs électroniques dans leurs véhicules dès 2012. Desjardins a rapidement emboité le pas et aujourd’hui d’autres compagnies le font.
Le système prendra en compte plusieurs paramètres (nombre de kilomètres parcourus, excès de vitesse, freinages brusques, accélérations rapides, courbes mal négociées) et établira un barème en fonction de ces différents critères. Mais, et c’est là que le bât blesse, elle établira de facto un profil des usagers qui pourra être utilisé à des fins diverses.
En effet, si la SAAQ prétend vouloir ainsi détecter les conducteurs délinquants et les comportements à risque, les implications de ce programme de la société d’État sont énormes, aussi bien sur notre sécurité que sur notre vie privée et notre liberté individuelle.
On est alors en droit de se poser des questions sur la récolte et l’utilisation de ces données par la SAAQ. Quelles garanties aurons-nous que celles-ci ne seront pas utilisées à d’autres fins? Ou partagées avec d’autres organisations gouvernementales? Ou avec les forces de police? Ou revendues à des compagnies privées pour différentes utilisations commerciales?
Interrogé sur le sujet par La Presse/Le Soleil, Robert Poëti, le ministre des Transports juge envisageable, voire souhaitable, un partenariat avec le secteur privé pour l’installation des modules et la gestion des données. De plus, aussi bien l’Industrielle-Alliance que Desjardins Assurances, les deux assureurs québécois qui utilisent déjà cette technologie, se disent près à discuter avec la SAAQ à cette fin. Autant de raisons de s’inquiéter sur la confidentialité des données recueillies et sur leur utilisation éventuelle.
La SAAQ proposera des incitatifs financiers aux participants volontaires au programme, mais laisse entendre que le système pourrait devenir obligatoire pour plusieurs clientèles délinquantes ou groupes à risque (sans les définir clairement à cette étape du projet), parmi lesquels les motocyclistes figurent en tête de liste des cibles de la société d’État. La Saskatchewan teste actuellement la télématique auprès des motocyclistes et la SAAQ suit avec intérêt ce projet.
Si le but de la SAAQ était réellement de promouvoir la sécurité et la conduite responsable, elle pourrait facilement imposer une tarification selon le dossier de conduite des conducteurs ou établir une politique de bonus/malus, comme cela se fait en Europe, sans recourir à la télématique ni à surveillance électronique des conducteurs.
La résolution de tout problème passe par l’identification de ses causes. Une fois celles-ci cernées, il convient d’adopter des mesures visant à les réduire, voire les éliminer. Encore faut-il bien identifier le problème auquel on est confronté. Ce que la SAAQ ne fait pas en ciblant systématiquement la vitesse comme principale responsable des accidents de moto. Plusieurs études, dont le Rapport Hurt (États-Unis) ou le rapport MAIDS (Europe) démontrent hors de tout doute que la vitesse n’est pas la cause des accidents. En fait, la vitesse moyenne lors d’un accident à moto est inférieure à 50 km/h. La plupart des accidents surviennent parce que le pilote surestime ses capacités. Deux dossiers intéressants sur le sujet, intitulés «Quelques mythes et réalités en matière de sécurité moto» et «La sécurité moto: où en sommes-nous?» ont été publié par la Fondation Promocycle, en 2005 et en 2009. Les responsables de la SAAQ devraient les lire attentivement avant de prendre leurs décisions.
Cette obstination de la SAAQ à ne pas considérer les études réalisées depuis une quarantaine d’années démontre que ses intentions ne sont pas aussi nobles ni désintéressées que le prétend Mme Nathalie Tremblay, présidente et chef de la direction de la SAAQ, dans l’entrevue qu’elle a donnée aux quotidiens La Presse et Le Soleil au sujet de ce projet.
De plus, les motocyclistes seront les grands perdants de la réduction des tarifs des permis de conduire et de l’immatriculation prévue en 2016 et au-delà. En effet, depuis que la SAAQ a imposé une surprime inique aux détenteurs de la classe 6, de nombreux usagers qui la possèdent et ne pensent pas l’utiliser à moyen terme y renoncent. Du coup, la part du régime que la SAAQ demande aux motocyclistes d’assumer, estimant qu’ils sont responsables des coûts générés, est imputée à un nombre de moins en moins élevé d’usagers et la quote-part de chacun d’entre eux augmente d’autant.
Comme si cela ne suffisait pas d’être plus vulnérables que les autres usagers de la route, de ne pas pouvoir utiliser notre véhicule 6 mois de l’année, de circuler sur un réseau routier dangereux digne d’une république bananière et d’être ostracisés par les pouvoirs publics, on a le culot de nous demander de payer pour les blessures que nous subissons et qui ne nous incombe pas dans 70% des cas. Comme si on demandait à la famille de la victime d’un tireur fou de payer pour la balle qui l’a tuée.
Il ne fait désormais aucun doute dans mon esprit que la société d’État n’a aucune vision à long terme et ne cherche pas à améliorer notre sécurité. Elle prend des mesures avant tout économiques et coercitives qui vont en définitive avoir un impact négatif sur la pratique de la moto, au point de la rendre obsolète et inadéquate. Après avoir essayé différentes méthodes qui se sont avérées sans effet, c’est désormais la voie technologique qui est privilégiée pour régler « le problème motocycliste ». Ceux qui croient encore naïvement qu’il est possible de faire confiance à la SAAQ pour résoudre les problèmes d’engorgement de la circulation en incluant les motos dans la solution (remontée des files, partages des voies de bus, stationnement incitatif, etc.) se méprennent sur la volonté réelle de cette dernière. Quand la SAAQ affirme vouloir diminuer les accidents dont sont victimes les motocyclistes, elle est sincère. Mais c’est en éliminant la pratique de la moto qu’elle compte y parvenir.
Sources: La Presse, Dossier motoplus.ca, Étude Promocycle