Pétarades et volutes bleues
Publié le 26 mars 2013
Le week-end dernier, j’ai observé un rite annuel en hommage au printemps. Profitant du soleil radieux et de la température clémente, j’ai sorti mon Vespa PX150 du garage pour lui faire sa toilette vernale, le débarrasser de sa couche de grisaille et de ses engelures. Une petite cire pour chasser l’hiver, un coup de chiffon doux pour le faire reluire et le voilà propre comme un sou neuf. Prêt à affronter les routes cabossées, les nids d’âne et les dos de poule.
J’aime mon vieux Vespa. Il est indestructible et fiable. Fidèle comme la mule de Sancho Panza. Même si je suis resté six mois sans m’en servir, il m’a suffi de mettre le contact, de tirer l’enrichisseur et de donner un coup de kick pour l’entendre pétarader dans un nuage de volutes bleues aux odeurs d’huile deux temps et d’essence mal brûlée.
En respirant ces vapeurs aromatiques, je me suis retrouvé projeté 40 ans en arrière, dans les années 70, magie des odeurs et des souvenirs (Hugo disait que la mémoire olfactive était la plus fidèle). Je me suis revu, assis sur ma Mobylette Bleue, avec mes potes, à la sortie du collège, clope au bec, pantalon patte d’éléphant, pompes à semelles compensées, pull Shetland à col en V ouvert sur une chemise savamment déboutonnée, pour impressionner les filles. Et blouson de cuir à la James Dean… La classe Môssieur!
À cette époque-là, j’étais trop jeune pour piloter une vraie moto. Du moins, c’est ce que la loi prétendait. Car moi, je savais que j’avais le talent pour le faire et quand un ami plus âgé me proposait d’essayer sa bécane dans les rues de la cité des Chaises, je ne m’en privais pas. Mes potes plus fortunés conduisaient des Gitane Testi (j’en ai eu une, plus tard), des Kreidler, des Flandria et des Malaguti. Des meules à vitesses, hyper performantes, qui me faisaient rêver, mais que mes moyens financiers réduits à leur plus simple expression ne me permettaient pas d’acheter. Nous nous retrouvions le vendredi soir, près de la gare. Nous glandions sur le parvis, parlant de tout et de rien, en sirotant un Fanta ou en avalant un sandwich jambon beurre. Nous avions 14 ans et nous refaisions le monde. Pour rentrer chez nous, nous prenions toujours le même le chemin. C’était notre circuit personnel, notre Continental Circus. Nous le connaissions par cœur. La moindre bosse, le moindre pavé, le moindre rail nous étaient familiers. Sous mon casque intégral Bayard orné d’un magnifique numéro 7 dessiné au chatterton, je me prenais pour Barry Sheene. Et je pilotais comme un déchaîné, en prenant soin de relever la pédale intérieure dans les virages, pour maximiser la garde au sol, n’hésitant pas à faire une queue de poisson à un de mes poursuivants, ou à retarder un freinage à la limite du raisonnable pour ne pas me faire battre au fil d’arrivée. Parfois, je devais cependant m’avouer vaincu. Je rentrais alors la Mob au garage et je la bricolais pendant des heures, jusqu’à tard dans la nuit, modifiant le carburateur, installant un nouveau pot de détente ou une couronne arrière différente afin de laver l’affront, le vendredi soir suivant.
Le week-end, nous sillonnions les routes de campagne sur nos monstres rugissants, le dos plat et la tête entre les guidons, à la recherche de quelques illusoires kilomètres-heure. C’était futile, mais ça suffisait à nous rendre heureux. En fait, quand nous n’étions pas à l’école, nous chevauchions nos montures démoniaques. L’été, nous allions aux courses – 6 Heures Solex d’Orléans, Bol d’Or, 24 Heures du Mans, GP de France – comme de vrais motards, malgré nos motos lilliputiennes et anémiques. C’est de cette époque-là que je tiens ma passion pour les épreuves de vitesse et d’endurance. Quand l’argent manquait, nous allions traîner au circuit de motocross des Martinets à Olivet, près du collège, pour encourager un jeune pilote nommé Cyril Neveu, qui n’allait pas tarder à faire parler de lui. Il avait notre âge et du talent à revendre. Comme il l’a prouvé dans les années 80.
Un été, avec trois de mes amis, nous sommes partis en vacances, en mob, à l’île de Ré, à 400 km de chez nous. Une véritable expédition. Nous avons mis trois jours pour nous y rendre, par le chemin des écoliers. Et près d’une semaine pour rentrer. Notre première expérience de la liberté, de l’autonomie. Depuis cette expédition mémorable, j’ai développé un goût impérissable pour les voyages au long cours, à moto.