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Je me souviens… et je m'ennuie!

Je me souviens d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… chante Aznavour. Cette époque-là, je m’en souviens aussi et je la regrette parfois. Au risque de passer pour un vieux con passéiste. Ce qui serait une conclusion hâtive et simpliste. Je m’explique…

La vie en ce temps-là était simple et si l’on n’avait pas tous les gadgets que l’on considère indispensables aujourd’hui, on n’avait pas non plus les chaînes qui les accompagnent.

Je me souviens d’une période heureuse — peut-être parce que j’étais jeune et insouciant, qui sait? — où tout était possible, où tout était permis. Où les valeurs d’amitié, de partage, d’altruisme et de liberté étaient des valeurs sociétales.

Je me souviens d’une époque où l’on faisait confiance à l’intelligence des gens, où on ne les empêchait pas de vivre leurs propres expériences, où on ne cherchait pas à les protéger à tout prix. De tout et de rien. Comme si la vie se mesurait dans la durée, non dans l’intensité.

Je me souviens d’un temps où l’on pouvait rouler sans casque (moi j’en portais un, par choix et par goût pour l’objet, ce qui n’a pas changé), sans armure protectrice. Malgré cela, on n’était pas beaucoup plus exposé qu’aujourd’hui. J’en vois certains qui commencent déjà à fouiller sur Internet à la recherche de statistiques qui pourraient indiquer le contraire. S’ils font aller leurs petits doigts graciles assez longtemps, ils finiront peut-être par trouver quelques statistiques qui leur donneront raison, mais il faudra alors les mettre en corrélation avec celles qui dénombrent tous les décès, tous les handicaps découlant de notre style de vie surprotégé, de notre sédentarité maladive, pour avoir un portrait exact de la situation.

Je me souviens d’un temps où l’on pouvait rouler librement à moto (en Europe à tout le moins, puisque c’est là que je pilotais à cette époque) sans craindre la répression policière à outrance, sans se soucier de croiser le chemin d’un conducteur occupé à texter en roulant ou à téléphoner. Il y avait bien sûr des conducteurs qui roulaient bourrés, mais c’est encore le cas aujourd’hui. Ça n’a pas beaucoup changé à ce niveau-là.

Je me souviens d’un temps où la solidarité motarde n’était pas un vain mot. Où, quand on tombait en panne, qu’on se perdait, on ne passait pas des heures à attendre un coup de main. Où le salut était retourné, quelle que soit votre marque de moto. Où les concentrations étaient des grands-messes destinées à célébrer l’amour de la moto et la fraternité motarde.

Je me souviens d’un temps où les motos ressemblaient à des motos… Deux roues, un cadre, une suspension et un moteur à sensation. C’était des machines de caractère qui se distingaient autant par leurs défauts que leurs qualités. Des machines conçues pour rouler simplement, sans artifice, sans béquilles électroniques, sans aides au pilotage. L’antipatinage, c’était votre poignet droit. L’ABS, c’était votre main droite. Et en guise d’ordinateur de bord, vous aviez un cerveau. Aujourd’hui, on invente des tas de systèmes dont le but est d’ôter le contrôle de la moto des mains du pilote. Comme si on était trop con pour conduire. Si c’est le cas, alors que les pouvoirs publics soient conséquents. Qu’ils retirent les autos, les camions et les motos de la route. Et qu’ils les remplacent par des trains, des trams  ou des voiturettes téléguidées. En passant, un ami camionneur m’a raconté, qu’en ce moment, certaines compagnies de transport faisaient l’essai de camions sans chauffeur. Des camions télécommandés grâce à un système GPS ultra performant. Dans certains cas, ces camions en suivent un autre, piloté par un chauffeur dont ils répliquent les mouvements, dans d’autres cas ils sont autonomes… C’est complètement dingue!

Mais j’ai surtout le souvenir d’un temps où des garçons généreux, Patrick Pons, Michel Rougerie, Alain Chevallier, Thierry Tchernine, Gérard Choukroun, Gilles Husson, Bernard Fau, René Guili, Christian Sarron, Eric Offenstadt pour les Français, mais aussi Phil Read, Mike Hailwood, Giacomo Agostini, Jarno Saarinen, Barry Sheene, Jack Finlay, Santiago Herrero, Renzo Pasolini ou Yvon Duhamel savaient nous faire vibrer par leur talent, par leur audace, par leur générosité, mais aussi par leur capacité à prendre des risques et à les assumer. Vous aurez compris à cette énumération que je suis fan du Continental Circus, des Grands Prix de l’ère glorieuse (je m’excuse en passant auprès de tous les pilotes de l’époque que j’aime et que je n’ai pas cités). Comme nombre d’entre vous, je me réjouis que les pilotes ne meurent plus en aussi grand nombre que dans les années 70 et j’aime encore les GP, mais je ne retrouve plus la passion, la camaraderie ou la passion qui animait les pilotes d’antan. Le milieu est devenu trop professionnel pour laisser place au plaisir. Il suffit de penser aux raisons du départ à la retraite de Casey Stoner pour s’en convaincre. Le sport est devenu un business!

De nos jours, on ne veut plus mourir, mais, ce faisant, on ne vit plus. On existe, tout simplement, en attendant une mort inéluctable, mais que l’on essaie de retarder au-delà de la décence dans certains cas.

Je ne vis pas dans la nostalgie, même si je me souviens du temps béni de ma jeunesse avec tendresse. Non! Je regrette simplement le virage que notre société a pris en ce début de 21e siècle. J’ai l’impression que nous avons troqué notre humanité pour une vie sans attrait, ni intérêt. Que nous sommes devenus des Faust d’opérette qui ne voudraient pas vivre éternellement pour acquérir la connaissance universelle, ou goûter aux plaisirs de la vie, mais pour s’inscrire dans la durée. Pour faire du temps, en quelque sorte. Sur Terre plutôt que dans les Cieux!

Par moment, je ne me sens pas à ma place dans cette société. Elle ne me ressemble plus. Elle ne ressemble plus à mes valeurs, à mes idéaux, à mon humanisme. J’espère simplement un retour de balancier dans la bonne direction. Et vous? Vous ne pensez pas qu’il serait temps de marquer une pause? Voire faire un pas en arrière? Pour la bonne cause, bien sûr… et les bonnes raisons 😉

7 réponses à “Société”

  1. skabhy

    la nostalgie n’est plus ce qu’elle était !

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  2. Anonymous

    Oh toi, tu as besoin de vacances…
    (cela dit, j’aime toujours autant ce que tu écris !)
    Anne B.

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  3. Didier

    Oui Anne… j’ai besoin de vacances. Mais j’aimerais qu’elles soient plus longues.
    Merci pour les fleurs en passant 😉

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  4. Patrick Laurin

    Très bon texte …

    Cela me fait penser la dernière fois que je suis passé au New Hampshire … sur leur plaque d’immatriculation est inscrit  » Live free or die  » Pendant ce temps au Québec c’est plutôt  » je me souviens  »

    Je ne dit pas que c’est mieux ailleurs, mais reste qu’ici c’est règlement sur règlement. L’obésité est devenu présent même chez nos jeunes. Comment voulez vous qu’un jeune veule aller faire du roller blade quand on l’habille en gladiateur.

    J’ai vécu mon enfance à la campagne, à 5 ans j’avais ma motoneige, 10 ans mon motocross. Dans le cul de sacs au bout du rang d’un kilomètre, la dernière maison était la notre, mon père me laissait conduire la voiture dans le rang à toute les fois que l’ont sortaient, dès l’âge de 12ans.

    J’ai tellement conduit d’engin, tracteur, camion, engin forestier etc … Bien sûr je me suis blessé à quelques reprises, genoux fendu, dent brisée mais aucune fracture et j’en suis pas mort.

    Aujourd’hui mes parents seraient condamnés pour m’avoir laisser conduire tous les engins que j’ai conduit étant gamin. Sans compter que j’avais mes propres armes à feu dès 13 ans.

    Ce qui me désole le plus dans notre société aujourd’hui, ce sont tous ces enfants que l’ont surprotège … laissez donc les enfants être des enfants. Sans compter que l’ont encadre les adultes leurs laissant de moins en moins d’ouverture au jugement.

    Espérant un jour pouvoir m’amuser autant que quand j’était gosse (cela m’arrive que trop peu souvent maintenant)

    Je me console du moins, d’avoir pu être un enfant …

    Patrick L

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  5. Anonymous

    Bravo, des réflexions de votre part, j’en veux plus souvent. Merci de préciser qu’elles viennent d’un motocycliste d’origine française.

    Simon Laberge

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  6. Pierre

    Hé bé Didier, un coup de mou ?
    Je te taquine, parce que je te rejoins pour conspuer cette société du « principe de précaution », concept anesthésiant inventé pour faire la fortune des avocats. Car aujourd’hui, quand un gamin se blesse (ou se pique avec une écharde, c’est pareil), plus question de dire « pas de chance », ni même de réfléchir à ce que l’expérience lui a enseigné pour ne pas la reproduire. Non, il faut chercher les RESPONSABILITÉS extérieures et désigner un ou des coupables, les employés de la garderie ou le fabricant du vélo, et aller au tribunal !
    Du coup, comme la responsabilité est vécue comme extérieure, les citoyens finissent par compter sur l’Etat pour édicter des règles les mettant en sécurité dans toutes les circonstances de la vie. Mais la vie n’est pas sûre ! La preuve : personne n’en sort vivant.
    Vivre sans jamais avoir mal, ni faim, ni soif, ni peur, ni trop chaud, ni trop froid… est-ce vivre ?
    J’ai fait aussi un (gros) paquet de conneries dans mon enfance et ma jeunesse, j’ai beaucoup appris et survécu. et ça me désole de voir que mes filles sont bien moins débrouillardes que je ne l’étais à leur âge.
    Comme je suis de nature optimiste, j’espère qu’un jour on constatera que vivre dans un édredon, non seulement c’est chiant, mais aussi que c’est improductif. D’ailleurs, ce livre rencontre parait-il un certain succès, tout n’est pas perdu : http://www.amazon.fr/Fifty-Dangerous-Things-Should-Children/dp/0984296107

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  7. Sam Saoul

    Je découvre ce blog et les billets sont un régal!
    Merci

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