Motojournaliste, pour vous servir!
Mais, pour la plupart de mes interlocuteurs, cette réponse ne semblait pas satisfaisante et ils me demandaient toujours de préciser.
– «Dans quel secteur?»
C’était alors le début d’un interrogatoire en règle dont je ne saisissais pas toujours le but ou le sens.
– «Je suis journaliste sportif!»
– «Ah! C’est intéressant!» me rétorquait alors mon interlocuteur sur un ton blasé qui laissait deviner une soudaine baisse d’intérêt de sa part. L’attention manifestée au début de l’échange faisait place à une curiosité parfois malsaine…
– «Et quel sport couvrez-vous?»
– «La moto.»
Le silence qui suivait habituellement cette dernière réplique était éloquent. À ce moment précis, je réalisais le désarroi de mon vis-à-vis qui ne parvenait plus à cacher son désintérêt, sa gêne, voire son mépris dans les cas extrêmes. En de très rares occasions, j’avais affaire à un maniaque de moto et la discussion pouvait se poursuivre pendant des heures. Mais il s’agissait d’une exception.
À l’époque, la situation me blessait. Pour moi, tous les journalistes, quel que fût leur domaine d’activité, méritaient ma considération et mon estime. Et c’est encore le cas aujourd’hui d’ailleurs. Je ne fais pas de distinguo entre le mérite d’un correspondant de guerre et celui d’un journaliste politique ou d’un journaliste sportif. Les conditions dans lesquelles chacun d’eux exerce son métier sont différentes, les risques qu’ils prennent sont sans commune mesure selon leurs sphères d’activité, certaines étant plus prestigieuses que d’autres, j’en conviens. Mais, fondamentalement, les qualités requises pour effectuer leur métier au plus haut niveau sont les mêmes, l’éthique de travail identique et l’impact sur leur milieu respectif souvent aussi important.
Je pensais candidement qu’on pouvait devenir reporter de guerre ou motojournaliste sur un coup de dé — on ne choisit pas toujours ses premières affectations quand on est jeune plumitif et celles-ci sont souvent déterminantes pour notre avenir — ou à la suite d’un choix personnel basé sur un intérêt marqué pour une discipline — le sport en général et la moto en particulier, dans mon cas —, mais certes pas à la suite d’une démarche carriériste, laquelle est rarement productive.
Pour ces raisons, je ne comprenais pas que certaines personnes puissent tenter d’établir une hiérarchie entre les journalistes en fonction de leur champ d’action. Que l’on essaie de nous classer en fonction de notre talent ou de notre probité, soit, mais pas sur d’autres bases. Ça n’a pas de sens.
J’exerce ce métier depuis 1985 et au cours des 27 dernières années j’ai eu la chance de piloter les meilleures motos du marché, de voyager dans des pays exotiques, de rouler sur des circuits de légende au guidon de motos d’exception.
Durant cette période, j’ai aussi côtoyé certains des plus grands pilotes de notre sport, des gens comme Agostini, Sheene, Schwantz, Spencer, Mamola, Sarron, Duhamel (les trois, Yvon, Miguel et Mario) et des dizaines d’autres que je n’ai pas la place de tous nommer ici. Je suis devenu ami avec certains d’entre eux, j’ai joué les passagers d’infortune avec d’autres et au moins trois grands champions (Mercier, Spencer et Schwantz) ont essayé de m’enseigner ce qu’ils savaient et de m’insuffler une infime partie de leur immense expérience. Pourtant, je les respecte tous également, quel que soit le championnat dans lequel ils ont évolué, les titres qu’ils ont remportés, la notoriété qu’ils ont acquise.
Ainsi, demain, si vous me demandez quel métier j’exerce, je vous répondrais simplement «Motojournaliste!», sans plus. Car vous, je vous aime bien et je sais que votre question ne sera pas malicieuse. Pour les autres, je rajouterais : «Et vous… Que faites-vous?»