Sommes-nous une espèce en voie d'extinction?
Je ne sais pas si c’est l’approche de mon anniversaire qui me rend sensible au temps qui passe, voire nostalgique par moments, mais je me sens vieillir depuis quelque temps. Je ne suis pas encore complètement sénile — je sais que nous vieillissons constamment —, mais aujourd’hui je m’en rends compte de façon exacerbée. Je le ressens dans mes os. Dans ma chair. Dans mon âme même. Chaque sortie à moto est plus douloureuse. Plus demandante. Mon endurance baisse. Ma résistance aussi. Seul le plaisir reste intact, mais il se mêle de plus en plus à un sentiment d’impuissance causé par l’incapacité physique d’accomplir certaines tâches. Et je parle là d’actions qu’aucune petite pilule bleue ne peut stimuler. Je préfère le préciser avant que des esprits pervers ne déforment mes propos.
Toujours est-il que je ne suis pas seul dans ce cas — je parle de vieillir, vous l’aurez compris!. Les motocyclistes québécois déclinent à vue d’œil et beaucoup d’entre eux vont se convertir aux joies du tourisme en Winnebago ou bien emménager dans une résidence pour aînés autonomes financièrement aisés avant la fin de la présente décennie.
Depuis l’an 2000, l’âge moyen du motocycliste est passé de 41 ans à près de 50 ans au Canada. Ce qui revient à dire que depuis l’avènement du nouveau millénaire, nous avons cessé de nous renouveler. Ce qui est le signe d’une espèce en voie de disparition. Sauf que dans notre cas, aucune association ne se lance à notre défense, ni ne propose de nous sauver de notre funeste destin. Au contraire, les pouvoirs publics, les assureurs, les médias généralistes et le grand public cherchent à accélérer le processus qui conduit à notre extinction certaine.
Dans le même temps, le nombre de premiers acheteurs d’une moto diminue année après année. À qui la faute? Difficile à dire. Toujours est-il que la moto est de moins en moins « in ». De moins en moins attrayante. Pour les jeunes d’abord, mais aussi pour les baby-boomers ingambes à la recherche de passions dans lesquelles dépenser leur magot. Pourtant, dans le même temps, la performance des produits que l’industrie nous propose ne cesse de croître, tout comme le choix qu’elle nous offre. C’est à n’y rien comprendre.
Cette perte d’intérêt semble s’accélérer avec la spécialisation à outrance des motos dans lesquelles nous nous reconnaissons de moins en moins. Plus celles-ci deviennent sophistiquées, plus elles suscitent la méfiance chez le motard grisonnant. Parallèlement, la tendance qui vise à augmenter la sécurité passive des motos depuis quelques années a des effets pervers sur les utilisateurs les plus âgés et les plus expérimentés qui y voient une atteinte à leur passion et une limite à leur liberté. Un point sur lequel il est difficile de les contredire. La société s’est fortement radicalisée au cours des dernières décennies. Le temps de l’insouciance et de la recherche du plaisir à tout crin est bien révolu. C’est une évidence!
Autrefois, l’accès à la moto était relativement simple. Toutes les motos se ressemblaient — elles avaient deux roues, un cadre primitif, un moteur plus ou moins performant, un guidon, une selle et un réservoir —, il s’agissait de bien choisir la marque, la cylindrée et la couleur de la monture en fonction de nos préférences. Aujourd’hui, le processus est nettement plus complexe. On peut hésiter entre plusieurs centaines de motos réparties dans une dizaine de catégories distinctes. Chacune ayant des caractéristiques propres correspondant à un usage bien particulier. Attention à ne pas vous tromper dans votre sélection au risque de vous retrouver avec une machine rendue obsolète ou inadaptée à vos besoins.
Parallèlement, la génération des moins de trente ans ne semble pas vouloir succomber au chant des sirènes motocyclistes. Quelles que soient les actions que l’industrie mène en ce sens. Ainsi, les efforts consentis par certains constructeurs pour professionnaliser leur réseau de concessionnaires et offrir aux clients une expérience d’achat enrichie sont parfois mal perçus par les motocyclistes d’expérience sans pour autant séduire les néophytes.
Dernièrement, des compagnies comme Honda et Kawasaki ont tenté de relancer la demande chez les débutants en réintroduisant des motos de petites cylindrées — je pense aux CBR125R, CBR250R et Ninja 250R —, une initiative à laquelle Aprilia (125 RS4) et KTM (Duke 125) ont emboîté le pas cette année. Et elles ont connu un certain succès, puisque la CBR125R et la Ninja 250R trônent au palmarès des ventes depuis trois ans.
Cependant, certains observateurs se demandent s’il n’est pas malgré tout trop tard. S’il est vrai que les motocyclistes de notre génération ne peuvent plus faire vivre l’industrie encore longtemps, peut-être devraient-ils alors s’abstenir de concevoir les motos de l’avenir. Est-il sage de leur laisser le soin de dessiner les motos s’adressant aux futures générations dans ces circonstances? Ne risquent-ils pas d’apporter les mauvaises réponses aux bonnes questions? Si l’industrie désire se relancer, elle devrait se mettre au diapason des jeunes avant que ceux-ci lui tournent définitivement le dos et dépensent leur argent dans d’autres activités. Ce qui serait d’autant plus dommageable que la moto est en mesure de jouer un rôle intéressant dans l’évolution de notre société, à plusieurs niveaux. Contrairement aux dinosaures, nous sommes doués de raisonnement — d’intelligence prétendent certains, ce qui resterait à démontrer à mon avis, l’actualité nous en apporte des exemples concrets quotidiennement — et nous pouvons intervenir sur le futur en posant des actes responsables, aujourd’hui. Comme passer les rênes aux jeunes générations?