Aguichage et égalité des chances
Depuis toujours, les constructeurs mettent en œuvre tout un arsenal de techniques et de procédés de marketing plus ou moins efficaces pour convaincre les client de remplacer sa moto, acquise à prix d’or l’année précédente — la meilleure machine du monde déclaraient les mêmes constructeurs à l’époque — par la dernière nouveauté du moment. Encore plus belle… Encore plus confortable… Encore plus sécuritaire… Encore plus chère… Un jeu dans lequel personne n’est dupe et auquel chacun se prête presque de bonne grâce.
Au cours des dernières années, certains d’entre eux ont succombé au «teasing» ou aguichage, en français. Une technique publicitaire qui vise à éveiller la curiosité du client ciblé pour augmenter la portée au message et sa mémorisation. Le «teasing» utilise habituellement différents messages publicitaires successifs. Le premier revêt une forme mystérieuse, sans forcément dévoiler l’annonceur ou l’objet de la campagne, la révélation se faisant sur le ou les autres messages.
Récemment, Honda et Yamaha ont utilisé le «teasing» pour lancer leurs VFR1200F et Super Ténéré. Cette saison, c’est au tour de Triumph de nous refaire le coup avec les Tiger 800. Personnellement, cette technique me déplait et produit chez moi l’effet inverse de celui visé. Il éveille ma méfiance et me détourne immanquablement du produit qu’on cherche à me vendre.
Si on observe ce qui s’est passé dans le cas de la Super Ténéré, en Europe en tout cas, on dirait que les attentes créées par la campagne de Yamaha étaient tellement élevées que la déception était la seule issue possible pour de nombreux clients potentiels. Le côté répétitif du message aurait-il tendance à annihiler l’effet de surprise? Aurait-on atteint les limites de l’aguichage?
C’est ce qu’on dû se dire certains constructeurs qui ont décidé de raffiner la technique pour créer une nouvelle forme de communication. On organise toujours une campagne de dévoilement d’un modèle sur plusieurs mois, pour faire parler du produit alors qu’il n’est pas encore prêt à être mis en production, mais la nouveauté vient de ce qu’on «se fait voler» des images à la toute fin du processus, avant la présentation officielle, pour profiter d’un déballage médiatique de grande ampleur.
Et ils sont de plus en plus nombreux à être «victimes» de «fuites» malencontreuses. L’exemple le plus notable cette année est celui de Kawasaki dont les modèles phares (ZX10-R, Ninja 1000, W800) ont été dévoilés dans les principaux magazines imprimés aux États-Unis et en Europe, au même moment, quelques jours avant la présentation du salon Intermot de Cologne. Au point où on est en droit de se poser des questions sur le procédé et sur le rôle que les constructeurs tentent de faire jouer à la presse moto.
Dans ce cas particulier, le procédé me déçoit d’autant plus qu’il remet en cause un accord tacite entre les constructeurs et les médias qui garantissait aux deux parties un traitement équitable, quelles que soient leur audience, leur influence ou leurs parts de marché, L’égalité des chances pour tous, en quelque sorte. Médias et constructeurs.
Le fait que plusieurs médias, sites web et revues inclus, aient décidé de jouer le jeu, soit par intérêt mercantile, soit par opportunisme, soit par couardise, ne fait qu’ajouter à l’affront. Contrairement à ce que pensent certains, la presse spécialisée n’est pas là pour favoriser les intérêts commerciaux des compagnies, ni leur servir d’agence de communication à bon marché, même si la presse a tout intérêt à ce que l’industrie se porte bien pour assurer sa propre pérennité. Son rôle est en fait d’informer ses lecteurs avec objectivité et en toute impartialité. Sans chercher à favoriser une compagnie au détriment des autres.
Si le but d’une telle manœuvre était de venir en aide à la presse imprimée qui voit son audience se rétrécir comme une peau de chagrin au profit des magazines Internet, il y avait un moyen plus simple d’y parvenir. Il suffisait de faire bénéficier tous les médias, imprimés et électroniques, de l’information en même temps et de leur imposer un embargo. Mais sans doute cela était-il trop facile? Ou trop élégant?