Le paradis des motards vagabonds
Une semaine s’est écoulée depuis mon retour de France. Pourtant, j’ai l’impression que ça fait une éternité. Ceci dit, il est un peu normal que j’aie le vague à l’âme, que je me sente découragé, aprés avoir passé une dizaine de jours au paradis des motards vagabonds, une confrérie à laquelle je suis fier d’appartenir. Accompagné de trois amis à qui je servais de guide, j’ai vécu une expérience incroyable au cours de laquelle j’ai souvent connu le vertige. Et pas seulement à cause de l’altitude…
Je vagabondais à mi-chemin entre ciel et terre, plus de 1000 mètres au-dessus de mes problèmes quotidiens, la tête dans les nuages – littéralement –, sans autre préoccupation que de trouver un itinéraire de rêve pour le lendemain. Plus de 10 jours pendant lesquels j’ai sillonné la Drôme du nord au sud, d’est en ouest. À avoir le tournis à force de parcourir les routes de montagne à vive allure. Col de Rousset, Col de la Bataille, Col d’Ey, Col de Murs, Mont Ventoux, Cirque de Combe Laval, Gorges de la Nesque ou de Venasque… À l’évocation de ces noms, j’ai encore la tête qui tourne… le cœur qui bat à vivre allure… l’adrénaline qui coule à flots dans mes veines.
Là-bas, pas d’Opération escargot pour ralentir nos ardeurs. Celui qui aurait osé mettre un frein à nos envies de vitesse aurait terminé sa course 500 mètres en contrebas, dans un ravin où nul ne l’aurait trouvé. Oubliée aussi Julie Ministre, le Boulet des transports et ses élucubrations sécuritaires. Au rancart la SAAQ et ses délires tarifaires. Absents les radars automatiques et les contrôles policiers incessants. Pour être tout à fait franc, à ce moment précis, je savourais l’excitation de négocier la prochaine courbe, le prochain freinage. Seuls comptaient le bonheur de conjuguer le plaisir au présent, le pilotage au plus-que-parfait et les routes de rêve au futur. Tout en respectant la concordance des temps – car il y a bien un temps pour tout – n’en déplaise à ceux qui tentent de nous faire croire que l’on peut tout concilier, à tout instant.
Mais il y a aussi un temps où l’on doit réaliser que l’on dépasse ses propres limites. À un moment, dans la descente du Mont Ventoux, j’ai aperçu mon ami et ange gardien Yves-Martin, motard céleste descendu de son nuage pour freiner ma descente et m’empêcher de faire le grand saut dans le vide. Cette apparition si elle me fut salutaire m’a aussi rappelé qu’il faut savoir ralentir pour profiter de la route… et de la vie. Ce que j’ai fait durant le reste du séjour.
Aujourd’hui, je sais qu’il va me falloir un peu de temps pour retrouver le plaisir de rouler au Québec. Mais la CBF1000F qui dort dans mon garage depuis quelques semaines déjà demande à sortir, à prendre l’air et à user le côté de ses pneus sur des petites routes viroleuses. En attendant d’aller faire la Cabot Trail, au début du mois d’août, je peux toujours rouler au Vermont. Plusieurs de mes amis essaient de m’y traîner depuis des années, mais j’ai toujours résisté. Plus pour longtemps semble-t-il. Ils m’affirment que j’y retrouverais des routes semblables à celles de la Drôme. J’essaie de les croire, mais franchement, j’en doute fort. Peut-être ai-je tort?