Génération 68 : 40 ans déjà!
N’ayez crainte! Je ne vous parlerais pas des événements politiques qui ont marqué l’année 68 en France (Mai 68), aux États-Unis (Berkeley) ou ailleurs dans le monde. Non! Mon but est plutôt de souligner les 40 ans de la légendaire Honda CB750 Four qui, à son niveau, a créé une sorte de révolution dont nous vivons encore les contrecoups aujourd’hui.
Présentée officiellement au public à l’occasion du salon de Tokyo en novembre 1968, cette moto mythique est à l’origine de la passion qui a animé toute une génération de motocyclistes. Performante, moderne, fiable et sexy, elle était en rupture avec la production de l’époque — principalement britannique — et répondait aux besoins d’une nouvelle clientèle. Les jeunes du début des années 70 ont trouvé en elle une moto en adéquation avec son temps, dont elle véhiculait bien les valeurs. Elle symbolisait le besoin d’aventure, d’évasion, d’indépendance et de liberté qui caractérisait la jeunesse de l’époque. Des préceptes qui, pendant des décennies, ont continué d’alimenter notre imaginaire collectif.
Que reste-t-il de tout cela 40 ans après? Peu de choses en réalité. Car les valeurs d’aujourd’hui — écologie, hausse du prix des carburants, sécurité à tout prix — se définissent plus sur le terrain des restrictions (à nos libertés, en autre chose) et de la répression. Multiplication des contrôles routiers et des radars, création d’un délit de grande vitesse, hausse fulgurante du prix des immatriculations sont autant de signes extérieurs d’une chasse aux sorcières à peine déguisée.
Le récent forum de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui s’est déroulé à Lillehammer, en Norvège, en juin dernier, sur le thème de la sécurité des motocyclistes, a laissé entrevoir une vision effrayante de l’avenir du motocyclisme. Si les mesures proposées par les représentants des 21 pays réunis à l’occasion de ce colloque étaient appliquées dans leur intégralité, elles signifieraient, à court terme, la mort de la moto telle que nous la connaissons aujourd’hui (je reviendrais sur ces propositions dans le cadre d’un article complet, plus tard cette saison). En schématisant, ces propositions visent à développer des technologies embarquées qui, pratiquement, empêcheraient les motos d’avoir des accidents en transférant le contrôle de la moto et la prise de décision du pilote à l’électronique. Sans que rien soit fait au niveau de la formation des motocyclistes ou de l’éducation afin de changer les mentalités, ni les comportements. Un schéma prévisible qui reflète la méconnaissance des pouvoirs publics et leur peu d’intérêt envers ce moyen de locomotion qu’ils ne comprennent pas et ne parviennent pas à contrôler. Embringués dans une logique aveugle de réduction des accidents, les divers organismes de prévention routière, ici comme en Europe ou ailleurs, font feu de tout bois et n’hésitent pas à stigmatiser les deux-roues.
Pourtant, si on prend en compte la formidable explosion du marché de la moto dans la dernière décennie, notre dossier de conduite s’améliore sans cesse. Le nombre de décès et de blessures reste certes trop élevé, mais on voit bien que les motocyclistes, dans leur ensemble, font un effort et qu’il baisse constamment depuis 1979 (voir le rapport de Statistiques Canada à ce sujet). Et on parviendrait à le réduire encore plus si on apprenait aux pilotes à mieux contrôler leurs montures et à adopter des comportements plus responsables. De par sa conception et sa vocation, la moto représente un risque inhérent plus élevé que la voiture. Aucun véhicule n’est plus difficile à maîtriser qu’une moto. Ça requiert une technique et une coordination formidable de tous nos membres que personne ou presque ne nous enseigne.
En 2008, les motocyclistes sont plus nombreux qu’ils ne l’ont jamais été. Pourtant, ils n’ont jamais été aussi peu volubiles, aussi peu revendicateurs. Où est donc passé l’esprit de contestation (dans le bon sens du terme) qui nous caractérisait — ceux de la génération 68, à tout le moins — et guidait nos actions? Sommes-nous devenus à ce point serviles et résignés que nous nous contentons de courber l’échine en serrant les dents, afin d’amortir les coups (et les coûts)? Allons-nous attendre d’être placés devant le fait accompli (la mort de la moto) pour réagir, comme nous l’avons fait ces dernières années dans le cas du dossier de l’augmentation des frais d’immatriculation et du permis? J’espère que les célébrations entourant le quarantième anniversaire de la CB750 Four serviront d’élément déclencheur et que nous sortirons collectivement de notre torpeur. Car il est grandement temps de le faire. Chaque jour qui passe nous éloigne inexorablement d’une solution raisonnable et acceptable…