C'était l'bon temps...
Ceux d’entre vous qui ont aujourd’hui passé la quarantaine se souviennent sûrement de l’époque bénie où l’insouciance, la recherche du plaisir et la contestation constituaient des valeurs sociétales. Bouffe, sexe, musique, boisson, drogue, voyages, moyens de locomotion… la jeunesse de cette époque profitait de tous les plaisirs de la vie. Sans retenue, ni préjugés. Chacun décidait alors de ce qu’il convenait de faire ou non en fonction des risques encourus et utilisait son esprit critique, son libre arbitre pour agir. Sans que la société sombre dans l’anarchie ou dans le chaos pour autant.
Aujourd’hui, le temps de l’hédonisme est révolu. Et les valeurs des années soixante sont ostracisées. Le balancier est revenu à sa position haute. Sur fond d’insécurité, de xénophobie, de sectarisme et d’intransigeance non assumés. L’épisode des accommodements raisonnables est très significatif à ce sujet. Bien que de nombreuses personnes aient exprimé ouvertement des propos racistes à l’occasion des réunions de la commission Bouchard-Taylor, laquelle tenait plus de la tribune téléphonique que du forum de discussion, ils se sont offusqués qu’on les qualifie de xénophobes. Une réaction typique des sociétés dans lesquelles la rectitude politique a remplacé la liberté de pensée et d’expression.
Nous vivons aujourd’hui dans un monde aseptisé, où le risque est une valeur rendue obsolète et où on dépense plus d’énergie à essayer d’empêcher les autres de faire ce qu’ils aiment — et nous déplait ou ne nous intéresse pas vraiment — qu’à militer pour défendre nos droits et nos acquis. Aujourd’hui, il est impossible de regarder un bulletin de nouvelles, de lire un journal ou une revue sans tomber sur un article sur la santé, l’environnement ou la sécurité. Des valeurs vertueuses, certes, mais aussi extrêmement dangereuses quand elles sont érigées en système. Et quand elles se substituent à la raison, à la réflexion et à l’exercice de l’esprit critique. En fait, je me méfie plus des ayatollahs du bien-vivre que je crains les rebelles ou les déviants. Comme le disait le philosophe Tretan Todorov dans son livre Mémoire du mal, tentation du bien, «Là où se lève l’aube du bien périssent des enfants et des vieillards.» À force de chercher à nous protéger envers et contre tout, à vouloir notre bien malgré nous, on nous rend la vie aussi fastidieuse et insipide qu’une condamnation à perpétuité au pain sec et à l’eau.
En ce qui concerne la moto, c’est la même chose. Depuis quelques années, on observe une volonté à peine déguisée de la SAAQ et des pouvoirs publics de nous faire disparaître des routes du Québec. Et, pour ça, on n’emprunte pas la voie de l’interdiction, mais on impose des tarifs (permis et immatriculations) tellement prohibitifs que, bientôt, peu de gens pourront pratiquer ce loisir, car — et c’est là un des problèmes — la moto est un loisir avant d’être un moyen de locomotion. Que ce loisir soit totalement futile et inutile n’arrange rien.
Pourtant, les motocyclistes sont favorables à des mesures qui amélioreraient leur sécurité. Des mesures qui s’appuieraient cependant sur des enquêtes pertinentes. Les études MAIDS (Europe) et Hurt (États-Unis) ont démontré que les causes d’accidents de moto ne dépendaient pas du type de moto, de la cylindrée ou de la vitesse. Les seuls facteurs pertinents seraient l’âge, l’expérience et le sexe du pilote. Pourtant, la SAAQ ne tient aucunement compte de ces données. Elle préfère mettre en place un système de catégorisation des motos et s’attaquer à la vitesse, deux mesures inefficaces, mais rentables économiquement et socialement.
Là encore, on démontre une méconnaissance totale de la réalité des motocyclistes. Un phénomène auquel nous sommes régulièrement confrontés. Quand les pouvoirs publics affirment que «se sont les jeunes qui pilotent des motos trop puissantes, qui engendrent des coûts d’indemnisation exorbitants…» ils sont soient mal informé, soit mal intentionné, ce qui est pire. Les statistiques montrent que l’âge moyen des motocyclistes est de 44 ans et que la vitesse moyenne lors des accidents est inférieure à 50 km/h dans la majorité des cas. Seuls 5% des accidents surviennent à plus de 100 km/h. Il est hypocrite de prétendre que les gens se tuent à cause de la vitesse. Parce que c’est faux. Et imposer des limitations de vitesse de plus en plus restrictives ne résoudra rien. Selon des études menées en Europe, si on augmente la vitesse maximale permise sur une route, le nombre d’accidents va augmenter pendant une période d’environ six mois, puis reviendra à la normale par la suite. Le même phénomène se produit quand on réduit la vitesse. Malgré les mesures coercitives mises en place (l’exemple des cinémomètres en France est éloquent à ce sujet), les conducteurs ne se comportent pas plus sagement aujourd’hui qu’avant l’instauration des photo-radars. On constate une amélioration à court terme, mais elle ne s’inscrit pas dans la durée.
En cherchant à réglementer à outrance, nos élus, encouragés par des experts de pacotille, pensent avoir trouvé la panacée. En fait, la dérive sécuritaire permet seulement à certains états, provinces ou municipalités de renflouer leurs coffres. Ils nous font ainsi payer indirectement les réductions d’impôts et de taxes qu’ils nous accordent lors des élections et leur incapacité à gérer les finances publiques. En tant qu’individus, si nous gérions notre budget comme le font nos gouvernements, nous serions tous en prison depuis belle lurette.
En refusant de s’attaquer aux vraies causes de l’insécurité routière (formation inadéquate, comportements humains, vieillissement de la population, infrastructures déficientes…), notre société se trompe de combat. Et choisi des solutions inefficaces. J’en veux pour preuve le fait que l’on permette encore l’usage des GPS et du cellulaire en mode «mains libres» en conduisant, malgré les études établissant leur dangerosité. Dans le même ordre d’idée, on ne peut pas simplement appliquer une méthode comptable pour résoudre le problème de l’insécurité routière à long terme. Il faut avoir une politique globale et concertée en la matière. Sinon on choisira des cibles faciles, selon des critères erronnés. Après les jeunes en sportives, visera-t-on les femmes en décapotables? Ou les vieux en Winnebagos? Aujourd’hui, on envisage de limiter le droit de conduire des aînés au-delà d’un certain âge, en raison de leur surreprésentation dans les statistiques d’accidents. Pourtant, je doute que la SAAQ aille de l’avant avec ce projet. Car, là encore, la démographie joue contre la société d’État. Les aînés représentent une force politique et une source de revenus importante pour le gouvernement. Ce que les jeunes ne peuvent pas revendiquer. Il suffirait d’imposer aux conducteurs de plus de 65 ans des examens médicaux plus fréquents, effectués par des médecins ne les connaissant pas, pour cibler ceux qui sont inaptes à conduire et révoquer leur permis. Le problème aujourd’hui c’est que l’on considère le permis de conduire comme un droit acquis, plutôt qu’un privilège qui nous est accordé sous certaines conditions. Accepteriez-vous de prendre l’avion pour le Sud en sachant que le pilote a passé la date de péremption et n’a pas suivi d’examen médical récent? Je ne suis pas sûr. Pourquoi, dans ces conditions, accepter de courir ce risque sur la route? Ça n’a tout simplement pas de sens…
Vivre dans les années postonzeseptembre est devenu très compliqué… et pas vraiment intéressant. Après nous avoir inculqué la peur de l’autre, de l’inconnu, nos gouvernements «sécuritaristes» sont en train de nous inoculer la peur de parler, de militer, de revendiquer… et de vivre! Fallait y penser…