Les motocyclistes du dimanche
Il y a quelques mois, je suis tombé sur un rapport officiel de la National Highway and Traffic Safety Administration (NHTSA), l’organisme fédéral chargé de la sécurité des transports aux États-Unis, qui a piqué ma curiosité. Selon ce rapport, la majorité des gens impliqués dans un accident, chez nos voisins du Sud, sont des vieux, entendez par là des plus de 35 ans, au guidon de motos de grosses cylindrées.
Plusieurs théories ont été émises par des journalistes non-spécialisés en mal de sensation ou par des fonctionnaires n’ayant pas pris connaissance du rapport. On a blâmé les baby-boomers qui s’élançaient au guidon d’une moto sans expérience préalable, on a suggéré que les néophytes achetaient des motos trop grosses ou trop puissantes pour leur niveau d’expérience, on a prétendu que la vitesse excessive était en cause, on a pointé du doigt les législations imposant le port du casque. Et j’en passe des plus farfelues encore. En fait, tous les lieux communs y sont passés.
Après étude du rapport, on se rend compte que le problème est tout autre. Si les gens impliqués dans des accidents sont plus vieux, c’est que la population motocycliste vieillit. L’âge moyen des motocyclistes en 1990, aux États-Unis, était de 27 ans. En 1998, il est passé à 38 ans. Et la tendance à la hausse se poursuit. Si les motocyclistes de plus de 35 ans sont majoritairement impliqués dans les accidents, c’est qu’ils sont plus nombreux sur la route. Le fait que les grosses cylindrées soient soudainement plus représentées dans les statistiques d’accidents tient au fait que ce sont les motos que conduisent la majorité des motocyclistes de cette tranche d’âge.
En dehors de l’importance sans cesse croissante des accidents reliés à la consommation d’alcool et de drogue, une des statistiques intéressantes était que la plupart des accidents mortels survenaient dans des zones rurales, plutôt qu’en ville, comme auparavant. Ceci s’explique par le fait que, de plus en plus, les motocyclistes se servent de leur moto surtout le week-end, à des fins récréatives. De moins en moins d’entre eux l’utilisent quotidiennement, comme moyen principal de transport. Quand on ne roule qu’une journée par semaine, on n’est pas aussi alerte que lorsque l’on roule tous les jours. Ça semble une lapalissade, et c’en est une. Le fait de conduire tous les jours, dans une variété de conditions de circulation, de revêtement, de température, vous expose à une foule de situations et de dangers qui vous permettent, à la longue, de développer votre talent et votre expertise. Les motocyclistes du dimanche ne sont pas autant exposés à ces aléas de la circulation et se retrouvent en terrain inconnu quand ils prennent la route au guidon de leur machine flambant neuve et fraîchement astiquée, le week-end venu. La plupart d’entre eux roulent en groupe, avec des amis (la moto est de plus en plus une activité sociale et de moins en moins un mode de vie). Ils subissent la pression du groupe et sont donc plus enclins à commettre des erreurs.
Quand on demande aux gens d’évaluer leur expérience de conduite moto, vous remarquerez qu’ils le font toujours en terme d’années, en comptant à partir de la date à laquelle ils ont acheté leur première moto. Si vous avez commencé à conduire une moto il y a dix ans, mais que vous ne roulez que le week-end, vous n’avez pas 10 ans d’expérience. Au plus, vous en comptez 520 jours (26 fins de semaine par an, en moyenne au Québec, multipliées par 10). Ce qui ne fait même pas deux ans d’expérience de conduite. Et entre chaque sortie, vous prenez une pause de cinq jours durant lesquels vous ne mettez pas à profit les leçons que vous avez apprises durant vos balades dominicales. Ce n’est évidemment pas le même type d’expérience qu’accumulerait un motocycliste qui roulerait tous les jours, dans toutes les même conditions.
L’autre problème, c’est que les gens d’âge plus mûr ont tendance à surestimer leurs connaissances et leurs habiletés. Beaucoup ont leur permis moto sans avoir eu à passer de cours de conduite. Ceux qui en ont suivi un il y a longtemps, et ont pris un congé sabbatique de la moto pendant plusieurs années, reprennent rarement un cours de conduite à leur retour à leur loisir favori. Certains observateurs prétendent que pour chaque année passée sans conduire de moto, il faut compter un mois de conduite, à raison de quatre ou cinq jours par semaine, pour récupérer nos habiletés perdues. Si j’observe ce qui se passe, il me semble qu’on est loin du compte.