Ne pas zigzaguer peut nuire gravement à la santé
Dernièrement, à l’occasion du lancement des Honda NC, à Barcelone, en Espagne, j’ai eu l’occasion de constater que l’exposition prolongée à un environnement néfaste pouvait avoir des conséquences fâcheuses sur notre vie.
Étant européen et connaissant un peu la Catalogne pour y être allé à plusieurs reprises, je me suis retrouvé à guider des collègues dans Barcelone et ses alentours.
Personnellement, je n’aime pas vraiment ça. Je suis plus du genre loup solitaire que berger. Je n’aime guère rouler en meute, voire en troupeau. À deux, ça passe encore — en fait, ça dépend beaucoup du pilote qui m’accompagne —, mais au-delà de ça, c’est une contrainte que je refuse de m’imposer. Et quand je dois me forcer à jouer les guides, je roule pour moi et j’attends des autres qu’ils fassent la même chose. Solidaire d’accord, mais solitaire d’abord!
Après une balade sportive dans le massif de la Serra Montseny, nos hôtes de Montesa Honda nous ont invités au HIS (Honda Instituto de Seguritad), en banlieue nord de Barcelone, afin de faire le point sur la journée et relaxer en leur compagnie. Ce que nous avons fait avec un plaisir non feint. Plus tard, accompagnés de mes trois acolytes, deux Ontariens et un Québécois, nous avons pris congé pour rentrer à l’hôtel en vue de la soirée qui s’annonçait chargée.
En sortant de la zone industrielle ou est situé le HIS je me suis immédiatement inséré dans la circulation et j’ai piloté à l’européenne, par réflexe, mais aussi par instinct de survie. De toute façon, là-bas, c’est ce que les autres usagers attendent d’un conducteur de deux roues immatriculé en Catalogne. À Barcelone, fait comme les Barcelonais…
Après environ 5 minutes sur l’autoroute, je me suis rendu compte que mes compagnons ne suivaient pas le rythme. J’ai ralenti, en espérant qu’ils me rattraperaient, mais l’écart se creusait toujours. Quand ils ont fini par enfin apparaître dans mes rétros, j’ai adopté un rythme moins rapide, en me disant qu’ainsi, ils seraient plus à leur aise. Mais non… Au bout d’un moment, plus aucune trace d’eux. J’ai attendu un peu… Mon partenaire montréalais étant derrière moi, je suis reparti en me faufilant entre les files. Il faisait contre mauvaise fortune bon cœur, mais il suivait. Quant aux autres, je les laissais à leur sort avec d’autant moins de remords qu’ils avaient un GPS et moi non.
Et puis, pour être honnête, je commençais à pomper l’huile, et ça n’est pas bon pour ma santé. Mon docteur m’a conseillé de rester zen en toute occasion. En fait, je trouvais ridicule de devoir me traîner comme une limace et de me faire dépasser par des grand-mères de 70 ans ou des prépubères boutonneux, en scooter. D’autant plus que je pilotais une moto qui se jouait du trafic avec une aisance déconcertante. Pour une fois que je pouvais le faire en toute légalité, il aurait été dommage de m’en priver.
Arrivé à l’hôtel, j’ai attendu une demi-heure que les deux escargots pointent leur nez. «Vous êtes-vous perdus?», leur ai-je demandé d’un air détaché, afin de leur donner une chance de justifier leur retard. «Non! On a juste suivi la circulation… on n’était pas pressé!»
Leur mauvaise foi est aussi visible que le nez de Pinocchio quand il s’allonge. Mais je ne la relevais pas afin de ne pas les indisposer.
Le soir, au bar, alors qu’ils relataient leurs exploits de la journée aux deux autres collègues qui étaient revenus en auto et aux représentants de Honda, l’un deux lâcha un commentaire que je me savais destiné. Mine de rien… «On aurait pu suivre si on avait voulu, mais rouler entre les files, c’est trop dangereux. On a préféré s’abstenir!»
Là, je me suis retenu pour ne pas envoyer paître mes deux bouffons… pour ne pas utiliser d’épithète plus désobligeante.
Que quelqu’un s’abstienne de se faufiler entre les files parce qu’il ne se sent pas à l’aise, je le respecte. C’est humain. Je conçois tout à fait que circuler entre les files est une technique particulière qui s’apprend. Comme rouler sur un circuit, faire du motocross ou du trial. Je réalise qu’on n’y arrive pas forcément du premier coup et que ça peut intimider. Mais qu’on se justifie en prétextant que c’est dangereux, alors que toutes les études démontrent le contraire, chiffres à l’appui (voir les liens vers les études mentionnées, ci-dessous)*, ça a le don de me faire sortir de mes gonds. Comment peut-on être aussi borné? Comment peut-on chercher à contester des dizaines d’études sérieuses en s’appuyant sur une démonstration qui n’a de logique que l’apparence?
Durant les cinq jours que nous avons passés à Barcelone, nous n’avons été témoins d’aucun incident. Et pourtant, les motocyclistes sont des milliers à zigzaguer dans la circulation. Au point que quand un feu passe au vert, on a l’impression d’assister au départ d’un Grand Prix urbain, façon GP de Macao.
En Europe, mais plus particulièrement à Barcelone, TOUT LE MONDE pratique la circulation interfile. D’abord parce que c’est autorisé, mais surtout parce que c’est le moyen le plus rapide et le plus sécuritaire de circuler en ville. Les mamies le font, les papys le font, les jeunes filles le font, les ados le font, les hommes d’affaires le font, les prolétaires le font, les étudiants le font, les bandits le font, même les policiers le font… c’est vous dire!
En fait, ce que j’ai réalisé à cette occasion, c’est qu’à force d’évoluer dans un environnement néfaste qui nous pointe toujours du doigt, on finit par adopter les arguments de nos adversaires et par laisser notre jugement et notre sens critique au vestiaire. Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire ici, circuler entre les files ne constitue pas un manque de civisme, ni un comportement délinquant. C’est une technique de conduite autorisée dans de nombreuses villes, une technique que nous devrions nous empresser d’enseigner dans les écoles afin de préserver les futurs motocyclistes des risques qu’ils encourent à suivre le trafic comme des moutons de Panurge. Car toutes les études sont d’accord sur un point : en roulant bêtement à la queue leu leu, ont fini par se faire emboutir par un automobiliste qui ne nous a pas vus, arrêtés dans la circulation. Et par mourir par excès de précaution mal placée.
* ÉTUDES DIVERSES SUR LA CIRCULATION INTERFILE ET LES BÉNÉFICES DE LA MOTO
- Rapport Hurt : Motorcycle accident cause factors and identification of countermeasures Volume I: Technical Report
- MAIDS : Motorcycle Accidents In Depth Study
- «Lane sharing: a global solution for motorcycle safety» par le chercheur californien Steve Guderian
- «Motorcycle Lane-Sharing» par Myra Sperley et Amanda Joy Pietz du ministère des Transports de l’Oregon
- Projet eSUM (European Safer Urban Motorcycling)
- Étude menée par Transport & Mobility Leuven pour la Fébiac (Fédération belge de l’Industrie de l’Automobile et du Cycle) sur l’importance des DRM dans la réduction des embouteillages
- Piloter une moto tous les jours est bénéfique pour notre cerveau : (étude japonaise menée par l’Université de Tokyo)
- Étude «World Motorcycles (including Electric Bicycles-Mopeds)» publiée en août 2009 et mise à jour en septembre 2011 par le prestigieux Freedonia Group, un organisme international de recherche en marketing qui conseille les décideurs de la majorité des 500 compagnies les plus importantes au monde.