Quand j'arrive dans le stationnement du Tim Horton's au coin de Dickson et Notre-Dame, l'agent motard Bernard Brideau m'attend. Tiré à quatre épingles, comme sa moto, une BMW R 1100 RT flambant neuve qu'il a reçue quelques jours auparavant. Et qu'il a fait laver et cirer avant de se présenter.
Nous nous sommes déjà rencontrés une fois, de façon informelle. Les présentations sont donc vite faites. Après m'avoir donné quelques consignes de sécurité (le suivre à distance réglementaire, me tenir à l'écart en cas de coup dur, ne pas photographier les personnes interpellées, ni leur plaque d'immatriculation afin qu'ils soient identifiables...) Brideau me fait part de l'horaire de la journée. Aujourd'hui, il est affecté à la surveillance des autoroutes qui ceinturent Montréal (la 40, la 20, la 15 et Décarie).
Il est neuf heures quand nous nous engageons sur la rue Notre-Dame. Direction le tunnel Ville-Marie et la 720 afin de vérifier si la circulation est fluide et la désengorger, au besoin. Car les nombreux travaux autoroutiers autour de Montréal causent pas mal de problèmes aux automobilistes et, par voie de conséquence, aux policiers.
Ce matin, tout semble se dérouler normalement. Ça roule lentement, mais ça roule. Nous remontons Décarie vers le nord pour ensuite prendre la 40 ouest. À peine sommes-nous sur la 40 que devant nous, à quelques centaines de mètres, deux voitures, une BMW 323i et une Pontiac Sunbird, déboulent à vive allure en se faufilant entre les voies. Brideau me fait signe et nous nous lançons à leur poursuite.
À ce moment-là, je ressens une certaine excitation m'envahir. Comme une décharge d'adrénaline. Le fait de rouler plein gaz, en toute légalité et de pourchasser un véhicule sur l'autoroute est une expérience enivrante. Le chauffeur de la BMW nous a aperçus et a réduit l'allure. Nous le suivons quelques instants pour nous attarder au cas de l'autre chauffeur qui lui, visiblement, ne nous a pas remarqués, même si nous ne sommes qu'une cinquantaine de mètres derrière lui, en pleins phares. Brideau se porte au niveau du conducteur, feux d'interception et sirène allumés, et lui fait signe de se ranger sur l'accôtement.
Comme il manquait d'espace pour se ranger derrière le véhicule qui s'est arrété soudainement, comme le veut la consigne, Brideau immobilise sa moto quelques mètres devant celui-ci et se dirige vers le conducteur infortuné. Moi je me stationne une vingtaine de mètres en arrière. Je sors l'appareil photo de mon sac et je commence à photographier pendant que l'agent verbalise.
Après le constat, l'automobiliste s'en va, l'air dépité, son petit cadeau sur le siège passager de son véhicule. Brideau me rejoint afin de me résumer la situation: «Le pauvre gars ne nous a jamais vu. Je l'ai suivi à vitesse constante (135 km/h) pendant une centaine de mètres et j'ai alors décidé de l'intercepter. Contrairement à nos collègues en voiture, nous n'avons pas de radar. Et nous devons procéder ainsi pour constater un excès de vitesse. Le gars n'est pas chanceux. En plus de rouler largement au-dessus de la vitesse autorisée, ses papiers n'étaient pas en règle. Il a déménagé depuis près de six mois et n'a pas encore effectué son changement d'adresse, ni sur son permis, ni sur ses enregistrements. Si j'avais voulu être pointilleux, j'aurais pu lui coller trois infractions. Il s'en tire avec une amende pour excès de vitesse et un avertissement pour ses papiers.»
Une magnanimité qui surprend mais qui s'explique. «La répression est une part importante de notre travail, c'est vrai, reconnaît Brideau. C'est la partie la plus visible. Bien que nous remplissions également un rôle d'éducation, de prévention, d'information et de service aux citoyens, des aspects tout aussi importants à mes yeux. Mais nous n'avons pas pour mandat de nous acharner sur les contrevenants. Surtout quand ils sont repentants et polis avec nous de surcroît. Notre action a pour but de les sensibiliser de leur faire comprendre les dangers qu'ils courent et font courir aux autres usagers. En espérant qu'ils ne récidivent pas. Mais ça, c'est une autre histoire.»
Après plusieurs heures passées à patrouiller la 40 et la 15, nous nous arrêtons au restaurant Mike's de la Place Versailles, dans l'est de la ville. Une bonne occasion de nous remplir la panse mais surtout de discuter boulot avec Brideau. «Nous effectuons des quarts réguliers de travail de neuf heures. Mais il nous arrive parfois d'être en service pendant 13 heures d'affilée, selon la situation. Nous parcourons en moyenne 250 km par jour à moto, du début avril à la mi-octobre. La surveillance de la circulation n'est qu'une partie de notre tâche. Nous effectuons des escortes de personnalités en visite officielle au Québec, ou d'événements sportifs (courses cyclistes, surtout). Nous agissons aussi comme brigade d'intervention rapide en cas d'accident. En effet, notre mobilité et notre rapidité nous permettent d'accéder plus efficacement sur les lieux d'un accident, de bloquer la circulation afin de faciliter l'accès des véhicules d'urgence et d'aider les personnes impliquées en attendant l'arrivée des secours. À l'occasion, nous sommes appelés à seconder d'autres services de police, dans le cadre d'opérations ponctuelles. Nous effectuons également du travail à caractère communautaire afin de faire connaître notre action auprès des citoyens, surtout dans les écoles. C'est vraiment un travail intéressant.»
Intéressant certes, mais stressant aussi. Car les motards sont confrontés à toute une panoplie de dangers sur une base quotidienne. Juste le fait de passer des journées entières dans la circulation dense viendrait à bout des nerfs de plusieurs d'entre nous. Sans compter les risques d'accidents ou de coups durs (poursuites à risques, fusillades, attentats - dans le cas des escortes de dignitaires surtout - et autres).
Malgré leur efficacité, les motards de la SQ sont peu nombreux. Fondée en 1870, la Sûreté du Québec compte aujourd'hui près de 5 000 employés dont 3 800 policiers. Et à peine une vingtaine de motards, dont une dizaine au poste de Montréal, les autres étant répartis entre ceux de Québec et de Hull.
En dehors de ces zones métropolitaines il faut bien reconnaître que le besoin en motards est marginal. D'autant que certaines municipalités possèdent leur propre brigade moto. Et leur efficacité est saisonnière. Car les motards sont soumis au même titre que les autres motocyclistes aux caprices de Dame Nature. Chaque printemps, ils doivent se rappeler à l'attention du public et des autorités.
Durant ma journée avec l'agent Brideau, nous avons effectué quatre interceptions. Et à chaque fois, j'ai ressenti la même excitation. Un sentiment étrange dans lequel le danger côtoie cette impression d'invincibilité ou d'intouchabilité que procure le pouvoir. Cette décharge d'adrénaline semblable à celle qu'on ressent en course. Quand j'étais enfant, je voulais être pompier, ou encore pilote de chasse. Mais motard, ce n'est pas mal non plus. Quoiqu'en y pensant bien, un permis «TGV» (très grande vitesse) suffirait à mon bonheur. |