Premier rendez-vous
Pourtant, tout avait commencé sous les meilleurs auspices. À peine descendu de l'avion, je me rendais chez Barbusse pour prendre possession de la belle. Fébrile, le cœur battant, comme un jouvenceau courant retrouver sa dulcinée pour leur premier rendez-vous galant. Quand je suis arrivé, elle était là, toute prête et affriolante dans sa robe rouge du plus bel effet qui lui donne un air de diva italienne. Aussi belle que dans mon souvenir. Je l'avais entrevue à l'occasion du salon de Cologne, lors de sa présentation officielle, en octobre 2010 et elle m'était tombée dans l'œil. Ce qui m'avait incité à organiser une deuxième rencontre.
Je dois reconnaitre que l'allure de la Suzuki ne me laisse pas indifférent. Ces lignes sont tendues, certes, mais équilibrées. Bien qu'elles n'innovent pas, elles sont plaisantes à regarder et sans faute de goût. Presque sobres. Fine et racée la GSR est dépouillée de tout artifice superflu. Elle se pare d'un cadre de type diamant en acier qui enserre le 4-cylindres en ligne dérivé de celui de la GSX-R750 2005, d'une fourche télescopique inversée et d'un monoamortisseur Kayaba, tous deux réglables en précontrainte, de freins à disque Tokico de large diamètre pincés par des étriers double piston, d'une casquette de phare minimaliste faisant office de saute-vent et d'excellents pneus Bridgestone BT-016 à vocation sportive qui lui permettent de laisser parler son potentiel de roadster méchant. On le voit, les solutions techniques retenues sont classiques, mais éprouvées. Pourtant, bien qu'il soit évident que les contraintes économiques ont guidé le cahier des charges remis aux ingénieurs de Suzuki, le résultat est impressionnant. L'efficacité avant l'esbroufe!
Dans le but d'éviter les séquelles d'ébats trop violents — Barbusse serait-il doué de prescience? —, le concessionnaire avait fait installer un support de plaque éclairé Top Block destiné à souligner le superbe postérieur de la GSR et des éléments de protection Top Block, à savoir un ensemble de patins protecteurs (cadre-moteur). Cette précaution s'avèrera judicieuse par la suite et évitera à la GSR une mise au rencart prématurée.
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La Suzuki GSR 750 en compagnie de la Honda CBR600F... deux motos de caractère que
nous n'avons pas la chance d'avoir au Canada. Comme d'habitude. |
Prise de contact urbaine
Quand on s'installe à bord de la GSR750, on est surpris par la hauteur relative de la selle qui culmine à 815 mm et plonge vers l'avant, comme c'est le cas sur de nombreuses sportives. Le passager est perché encore plus haut et doit faire quelques contorsions pour s'installer. La portion arrière de la selle étant ferme et les repose-pieds trop relevés pour être accueillants, le passager est soumis à rude épreuve, surtout si le pilote roule en fou.
Étroite, élancée, la Suzuki fait penser à une 600. Le guidon tubulaire légèrement relevé n'est pas trop large, comme c'est parfois le cas sur certains roadsters extrêmes. La position de conduite affiche une tendance sportive, en partie en raison des repose-pieds relevés. Le buste est légèrement penché vers l'avant, mais l'appui sur les poignets est léger. Toutes les commandes tombent instinctivement sous la main. On est prêt à prendre la route. En confiance.
En démarrant la Suzuki, on reconnait tout de suite la sonorité distinctive du bloc de la GSX-R et son comportement évident. L'injection est bien calibrée, la réponse à la poignée douce et progressive et le jeu dans le rouage d'entraînement imperceptible. Facile à prendre en main, la GSR se laisse apprivoiser immédiatement. Les premiers tours de roue se révélent même enthousiasmants. Après une vingtaine de kilomètres en duo, pour aller chercher une seconde monture, j'ai pu constater le caractère joueur et rebelle de la Suzuki dans la circulation parisienne. Fine, vive et agile, elle se faufile entre les files de voitures avec une facilité qui frise l'insolence. Elle change de direction d'une petite poussée sur le guidon et fait montre d'une grande vivacité. Grâce à un rayon de braquage raisonnable, on peut effectuer des demi-tours facilement. De plus, le couple moteur évite de devoir jouer en permanence avec le sélecteur de vitesse en ville. Il suffit de se caler sur les rapports intermédiaires et de laisser le moteur s'exprimer. Surtout qu'il est d'une souplesse remarquable et reprend sans rechigner dès 2 000 tr/min pour s'élancer ensuite avec vigueur.
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Dans sa robe rouge, la GSR 750 fait penser à une moto italienne exotique. |
Quittons Paname pour la verte campagne!
Dès que la route s'ouvre devant elle et que la circulation se fluidifie, la GSR fait parler la poudre. Le moteur de l'ancienne GSX-R a peut-être perdu une grosse poignée de chevaux, mais il a conservé sa fougue et son caractère intacts. Aux mains d'un pilote aguerri, la Suzuki se révèle joueuse et performante, sans être vicieuse. Le 4-en-ligne est bien rempli entre 3 500 tr/min et 8 000 tr/min, régime où il procure des accélérations franches et des reprises solides. Sur l'autoroute, à 130 km/h, il ronronne à peine à 6 000 tr/min, comme un gros matou. Mais il suffit de tourner l'accélérateur dans le bon sens — il y a de la réserve de puissance, ne vous inquiétez pas — pour que la Suzuki bondisse comme un tigre et sorte les griffes.
Comme la majorité des roadsters, la GSR 750 n'est pas dans son environnement de prédilection sur l'autoroute. Son manque de protection se ressent au-delà de 160 km/h. Il faut alors rentrer la tête dans les épaules, se coucher sur le réservoir et faire attention à ne pas trop s'agripper au guidon, de crainte d'induire des mouvements inopportuns à la direction. Si théoriquement la GSR peut atteindre une vitesse maximale de 250 km/h, dans les faits il est difficile de dépasser 200 km/h, en raison de cette protection réduite. Ou alors, pendant un court laps de temps, juste assez pour voir l'aiguille du compteur se stabiliser sur la vitesse maxi. De toute façon, ce n'est pas dans ces conditions que ce roadster se montre le plus agréable à piloter. Son terrain de jeu ce sont les routes secondaires sinueuses, au revêtement parfait. Là, il s'exprime pleinement.
Bien que la Suzuki s'accommode aisément de rouler en mode balade, elle aime l'attaque, mais surtout les courbes — serrées ou rapides, sans distinction — qu'elle négocie avec brio. Le train avant guide parfaitement la bête, même s'il est un poil nerveux. Quand on tient le guidon trop fermement, la direction a tendance à bouger. Néanmoins, dès que l'on relâche la pression, elle retrouve sa neutralité et s'avère stable. Cette vivacité contribue au caractère joueur de la GSR. Elle autorise bien des audaces à son pilote, comme rentrer en virage fort sur les freins, changer de trajectoire en entrée de courbe, ou ressortir en pleine accélération, en délestant légèrement la roue avant.
Quand on la pousse dans ses derniers retranchements, la GSR répond coup pour coup, sans se déstabiliser. Stable une fois posée sur l'angle, vive dans les enfilades, elle fait preuve d'un sacré tempérament. Ses limites sont difficiles à dépasser sur route, d'autant que sa garde au sol est bonne pour une moto standard dotée de suspensions basiques.
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Instrumentation simple mais complète pour la GSR. Et comme toujours chez Suzuki, on trouve un indicateur de rapport engagé. Très pratique. |
En fait, son véritable point faible est le manque de mordant du frein avant, particulièrement lors de la phase initiale de freinage. Il faut tirer très fort sur le levier pour ralentir la bête rapidement et efficacement. Bien que la puissance soit graduelle, elle pourrait être plus élevée. C'est le seul domaine où les solutions techniques adoptées limitent la machine. Des étriers à quatre pistons combinés à des durits aviation en acier tressé auraient certainement été préférables à l'avant.
La monte pneumatique de série, des Bridgestone BT-016 à gomme sportive (comme sur la GSX-R 750), est parfaitement adaptée au style de la GSR. Les Bridgestone offrent une adhérence étonnante qui s'améliore au fur et à mesure que la température augmente. Difficiles à prendre en défaut, ils collent à la route et n'ont pas tendance à décrocher à l'accélération. Ils inspirent confiance en conduite agressive.
Prête pour les longs voyages
En ce qui a trait au confort, la GSR surprend. Malgré son air radical, elle se montre plutôt tendre avec son pilote. La selle est ferme, mais confortable et permet d'envisager de longues sorties à son guidon sans être pour autant être sado-maso. La GSR offre suffisamment d'espace pour accueillir une sacoche de réservoir et un sac de selle, voire des sacoches cavalières pour une virée de plusieurs jours, en solo, de préférence, ou en couple (à déconseiller si vous désirez le rester).
La position de conduite détendue est reposante sur un long trajet. Elle ne taxe pas trop le pilote, d'autant que les repose-pieds sont placés suffisamment bas pour que ce dernier puisse déplier ses jambes. Les vibrations sont bien contrôlées dans l'ensemble et l'agrément moteur se laisse apprécier en mode tourisme.
Avec une consommation moyenne de carburant d'environ 6,2 l/100 km, il est possible de parcourir 283 km avec les 17,5 litres du réservoir. Et ça, sans renoncer à se faire plaisir dans les sections roulantes.
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Grâce aux kit de patins Top Block, la GSR 750 a pu éviter la casse. |
La simplicité en exergue
Bien que Suzuki ait retenu des solutions techniques simples dans le but de contenir le prix au minimum, ces choix n'affectent ni l'équilibre formidable de cette machine, ni l'efficacité dont elle fait preuve. Elle offre des prestations dynamiques de haute volée que l'on ne s'attend pas à retrouver dans un tel emballage. La GSR démontre qu'il est aujourd'hui possible de construire une moto efficace et performante sans pour autant dépenser des fortunes. Car une moto, c'est plus qu'une liste de composants plus ou moins exotiques qui font fantasmer le motard en manque. C'est un tout homogène, cohérent et affûté. En un mot, équilibré.
Plaisante à regarder, la GSR l'est également à piloter. Il faut seulement savoir contenir son enthousiasme pour en tirer le meilleur parti. Car si les limites du roadster Suzuki sont élevées, les nôtres sont plus aisément atteintes. Dès lors, il est facile de partir à la faute et de priver les copains d'un bon moment avec la belle d'Hamamatsu! ;-)
Ce bilan plus que positif, si l'on fait abstraction de la chute, ne peut que nous faire regretter l'absence de la GSR 750 au Canada. Si la GSR 600 n'était pas vraiment destinée à notre marché, pas plus que la B-King d'ailleurs — ses ventes ont été confidentielles, pour employer un euphémisme — il me semble que les amateurs de roadsters sportifs, particulièrement au Québec, auraient pu réserver un accueil chaleureux à la GSR 750. Qui sait? Peut-être que les décideurs nord-américains de la firme d'Hamamatsu changeront d'idée en voyant le succès qu'elle remporte outre-mer... |