La Ducati 848 EVO est dans son élément sur piste, comme a pu le constater Didier Constant.
Présentations d'usage
Belle à se damner, la 848 Evo trône dans mon garage comme une princesse en robe de bal. À côté d'elle, la GSX-R 750 que nous avons en essai en même temps fait pâle figure. Elle a l'air triviale en comparaison. Il faut dire que la petite Superbike est sublime dans sa livrée noire mate, même si elle reprend pour l'essentiel les lignes de sa grande sœur, la 1198, au point d'apparaître comme un clone de cette dernière. Présentée à la fin de l'été dernier, la EVO est une évolution de la 848 originelle lancée en 2008, comme son nom le suggère. Elle a pour mission d'offrir des sensations et des performances optimisées dans un ensemble homogène permettant d'accéder plus facilement à la gamme Superbike. Mais ça, c'est dans la théorie. Car, si elle est moins performante que sa grande sœur, la 848 l'est plus qu'une 999, par exemple. Elle demeure une moto de caractère qui conserve l'esprit exclusif des sportives de Bologne. Une machine difficile d'approche qui ne se laisse pas dompter par le premier venu.
Pour mériter son qualificatif d'EVO, la 848 se dote d'équipements de pointe, comme certains de ceux que l'on retrouve sur la 1198, sans que son prix grimpe pour autant. Tout un exploit! Ainsi, de nombreuses pièces moteur ont été modifiées pour une performance accrue (chambres de combustion, pistons, basculeurs desmodromiques, injecteurs), ce qui a permis, au passage, d'accroître le rapport volumétrique de 12,0:1 à 13,2:1.et la levée des soupapes, de 11,5 à 13,0 mm, avec une durée accrue de 4 degrés. Le bicylindre en L Testastretta Evoluzione à distribution desmodromique de 848 cc développe 140 ch à 10 500 tr/min (6 de plus qu'auparavant) pour un couple maximum de 72,3 lb/pi à 9 750 tr/min. Des chiffres qui en font effectivement la sportive la plus puissante de sa catégorie.
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Sublime, la 848 EVO est l'archétype de la sportive italienne. |
Le châssis de la 848 subit lui aussi des modifications importantes pour accueillir ce moulin digne d'une véritable monture de Supersport. La 848 EVO reçoit ainsi un amortisseur de direction monté transversalement, au niveau de la colonne de direction, ainsi que des pneus sportifs Pirelli Diablo Supercorsa SP censés offrir une adhérence optimale afin de transmettre toute la puissance à la route. Pesant seulement 168 kilos, la Ducati fait figure de poids-plume dans sa classe.
Pour ralentir la bête, Ducati fait appel à un système de freinage Brembo constitué, à l'avant, d'un double disque de 320 mm pincé par des étriers monobloc à 4 pistons à montage radial et d'un simple disque arrière de 245 mm combiné à un étrier double piston.
Passons aux choses sérieuses
Le premier contact avec cette EVO révèle une sportive toujours radicale. La position de conduite basculée vers l'avant est une vraie torture, surtout quand vous conduisez la belle Italienne en ville. Vous avez les poignets cassés par les bracelets positionnés très bas, la nuque endolorie de devoir relever la tête pour regarder devant vous, le dos en compote en raison des suspensions fermes et de la selle exagérément relevée (elle culmine à 830 mm), les jambes engourdies après quelques minutes tant les repose-pieds sont relevés. En fait, à moins d'être gymnaste ou contorsionniste, vous subissez le martyre. Et plus vous avancez en âge, plus votre passion pour la Ducati devra être forte pour justifier cet inconfort.
Longue, fine et haute, la 848 EVO a la cote auprès des grands gabarits. Avec mes 1,76 m, je suis sur la pointe des pieds et j'ai l'impression de devoir m'étirer la colonne pour rejoindre les bracelets.
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Sur route, la 848 EVO est exclusive et un peu hors de son élément. Elle demande une certaine abnégation de la part de son pilote. |
Puis vient le temps de mettre le contact et de démarrer la bête. Après une hésitation typique des sportives de Bologne, le démarreur s'élance enfin et le bicylindre en L s'ébroue dans un grondement sourd. Quelques coups d'accélérateur lui permettent de donner de la voix. Quel son! Je n'ose imaginer ce que ce serait avec des échappements Termignoni… Au démarrage, il est nécessaire de faire patiner un peu l'embrayage afin de s'élancer en douceur, sans à-coups. Une fois la machine en mouvement, c'est le paradis. Et plus la vitesse augmente, plus la Ducati s'affirme.
Après une demi-heure dans la circulation urbaine, où nous avons pu apprécier la souplesse en hausse de la 848 EVO comparativement à la 1198, nous empruntons les routes secondaires en direction du circuit. On note au passage que la démultiplication est encore trop longue, une caractéristique des sportives de Bologne. La EVO hoquète encore en bas de 2 500 tr/min sur les premiers rapports, mais elle reprend sans trop de difficulté à ce régime pour monter rapidement dans les tours. Le couple est très présent dès le ralenti, bien qu'on ressente un léger trou entre 4 000 et 5 000 tr/min. Passé ce cap, la EVO tire franchement jusqu'à 8 000 tr/min, plage dans laquelle elle est bien remplie et se démarque des quatre cylindres nippons de cylindrée équivalente. Il est alors très facile de faire lever la roue avant, sans recourir à l'embrayage, lors d'accélérations franches. Le gain de puissance annoncé se ressent un peu plus haut dans la bande de puissance, soit entre 8 750 et 10 500 tr/min, le régime où la Ducati produit sa puissance maxi estimée à 140 chevaux. Quand on croise sur l'autoroute aux alentours de 3 500 tr/min, en 5e ou en 6e, on ressent un léger jeu dans le rouage d'entraînement. Rien de bien gênant cependant. Sur route, la EVO offre des accélérations et des reprises franches. Elle possède une allonge appréciable qui évite d'avoir passer un rapport entre deux courbes, par exemple. On peut doubler sans crainte, et sans rétrograder. Quand on maintient le régime dans la partie grasse de la bande puissance, la 848 EVO fait preuve d'une adhérance irréprochable et sort des courbes lentes ou rapides avec l'autorité d'une 1000. Spécialement sur piste où elle évolue dans son environnement de prédilection.
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La 848 EVO est offerte en noir mat, en blanc perle (la plus belle) et en rouge. |
Une pistarde de haut niveau
Le châssis qui est identique à celui de la 1198, à quelques différences de réglage près en ce qui a trait aux suspensions, affiche la même rigueur et le même comportement que celui de son aînée, ce qui permet d'utiliser le moteur à son maximum. Rigide, affûtée et précise, la partie cycle donne confiance à son pilote. Le cadre treillis tubulaire en acier est à la hauteur de la réputation des Superbike de la marque en termes d'intégrité. La direction est précise et intuitive, cependant, il faut faire preuve de poigne pour négocier les enchaînements et forcer la belle dans les épingles. Quand on évolue à une vitesse normale sur circuit, le châssis affiche une certaine réticence à changer de direction. Mais, dès que le rythme augmente et devient vraiment sportif, on retrouve une agilité bienvenue et cette impression d'être rivé à l'asphalte. Un vrai rail! On peut dès lors aborder les virages rapides, à fond, sans aucune retenue, sans aucune appréhension. Et si la chaussée est dégradée, l'amortisseur de direction entre en action et calme la direction. Les excellents Pirelli Diablo Supercorsa SP offrent une stabilité et un grip exceptionnels pour des pneus de rue, même sur circuit. Par ailleurs, la jante arrière de 5,5 pouces, plus étroite, est mieux adaptée au pneu de 180/55ZR17. Elle améliore la maniabilité de la moto sans affecter sa stabilité, ni sa motricité.
La qualité des suspensions qui équipent la 848 EVO (fourche inversée de 43 mm et monoamortisseur tous deux entièrement ajustables) permet d'explorer les limites de la garde au sol sur piste et de pousser la machine dans ses derniers retranchements. À aucun moment, on ne sent le besoin de baisser la cadence. La Ducati donne envie d'explorer ses limites et nous faire sentir meilleurs pilotes que nous le sommes en réalité.
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Sur la piste de Mécaglisse, notre collaborateur Patrick Laurin a le sourire jusqu'aux
genoux, au guidon de la 848 EVO. |
D'autant que le freinage est aussi à la hauteur de la tâche requise. Les nouveaux étriers Brembo monobloc à fixation radiale, à l'avant, pincent des disques semi-flottants de 320 mm de diamètre. Puissants, endurants et modulables, les Brembo permettent de freiner fort, à la limite. Sans bloquer de façon intempestive. Une plus grande progressivité lors du relâchement du levier aurait été appréciée, sinon, on est en présence de composants haut de gamme irréprochables. Bien entendu, l'écartement du levier est réglable… Cependant, sur piste mouillée ou sur route, il faudra faire preuve de doigté au freinage si on ne veut pas se retrouver par terre par excès d'optimisme.
L'instrumentation numérique, avec son écran à cristaux liquides, son tachymètre à barregraphe, est dérivée du monde de la compétition. Elle complète parfaitement le look Superbike de la 848 EVO et lui donne un air de moto de course. Elle offre une multitude d'informations pratiques et de modes, mais se montre difficile à lire par moment, selon les conditions d'éclairage.
Bilan
Pensée et dessinée pour la piste, la Ducati 848 EVO affiche les défauts de ses qualités. Comme toute pistarde authentique, elle se montre radicale une fois sortie de son environnement de prédilection. Sur route (surtout au Québec), la rigueur de sa partie cycle et de ses suspensions nuit à son confort. De plus, son ergonomie axée vers la performance la rend exigeante à piloter sur route. La position de conduite extrême taxe la pauvre carcasse de son pilote dont la colonne vertébrale est alors mise à rude épreuve.
Cette exigence se retrouve également au niveau du comportement. Avec son rayon de braquage important, sa direction lente, sa maniabilité réduite à basse vitesse, ses suspensions fermes, sa démultiplication trop longue et sa souplesse perfectible, la EVO demande une certaine abnégation de la part de son propriétaire en utilisation quotidienne. Confort et vie à deux proscrits.
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Ugo Levac découvre la 848 EVO et s'amuse à son guidon... même sur route! |
En revanche, dès que la Bête se retrouve sur un circuit, elle fait preuve d'une virtuosité incroyable et vous récompense au-delà de vos attentes. La 848 EVO, comme toutes ses sœurs bolognaises, est une Diva qui ne demande qu'une partition à la hauteur de son talent pour s'exprimer pleinement. Avec son moteur coupleux et puissant, son châssis affûté, son freinage haut de gamme et ses pneus sportifs, elle est prête à vous faire vivre des expériences inoubliables. D'autant qu'elle est plus abordable que sa grande sœur. À vous de voir les sacrifices que vous êtes prêts à consentir pour vivre de tels moments d'extase. |