Collé à l'aspiration d'Éric Moffette, l'instructeur de Turn2 qui me montre le meilleur chemin autour du fantastique circuit de Calabogie, j'essaie de mémoriser le tracé. Tâche difficile s'il en est! En effet, la piste longue de cinq kilomètres, blottie dans la forêt, compte pas moins de 20 virages, dont certains, en descente ou en montée, sont complètement aveugles. Il faut se commettre, c'est-à-dire coucher la moto, avant même de voir où se dirige la piste. Pas évident!
La tête dans la bulle, couché sur le réservoir, je suis Éric comme mon ombre, en restant assez lucide cependant pour savoir qu'il peut « m'écarter » à tout moment. Ce qui ne m'empêche pas de prendre un plaisir fou. Il faut dire que je suis aux commandes de la S1000RR, l'hypersportive de BMW que j'ai eu la chance de découvrir en novembre dernier, au sublime circuit de Portimão, en Algarve, dans le sud du Portugal, à l'occasion de son lancement mondial. Je l'ai récupérée la veille, à Mosport, lors de la manche du championnat Parts Canada de Superbike. Je suis donc en terrain connu et pleinement confiant. Je sais, par expérience, que l'électronique de la BMW me protège, jusqu'à un certain niveau, des approximations de pilotage, des mauvais choix de trajectoires ou d'une remise trop optimiste des gaz en sortie de courbe. Pour le reste, il suffit de faire preuve de jugement.
Le Calabogie Motorsports Park, qui est situé à environ une heure à l'ouest d'Ottawa, est presque aussi technique et demandant que le circuit portugais. C'est une piste parfaite pour le match comparatif auquel je participe en compagnie de mes collègues Bertrand Gahel, Ugo Levac et Patrick Laurin. Ce dernier est présent au circuit pour suivre un cours ARC 2 del'école de pilotage Turn2, mais il est impliqué dans le volet routier de cet essai que j'ai passé des mois à préparer.
Tester quatre motos en deux jours n'est pas une mince affaire. Même à quatre essayeurs. Car chaque pilote dispose de seulement sept séances de 20 minutes par jour, soit moins de deux par moto, pour découvrir les machines en présence. Imaginez mon désespoir quand des orages se sont abattus sur le circuit, le matin du deuxième jour, nous obligeant à annuler la journée et à rebrousser chemin, sous la pluie, sans avoir pu compléter toutes nos séances de photos. Heureusement, Bertrand et moi avions déjà piloté la plupart de ces sportives sur piste avant ce comparo. Nous avions donc déjà un carnet de notes bien rempli sur chacune d'elles. Il restait à confronter les premières impressions et à les valider, par la comparaison directe.
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Vue aérienne du circuit de Calabogie. |
LE CHOIX DES ARMES
En arrivant au circuit, chacun des pilotes avait choisi sa monture pour démarrer la journée. Des choix pas toujours innocents et qui trahissent, entre autres, le caractère et le style de conduite de chacun.
Ugo, le moins expérimenté d'entre nous — quatre jours plus tôt, il suivait son cours FAST à Shannonville — avait jeté son dévolu sur la Honda CBR1000RR, car c'est celle qu'il connaissait le mieux pour l'avoir roulée sur route la semaine précédente. Mais aussi parce que la Honda est la plus « civilisée » selon lui, celle qui se prend le plus instinctivement en main. Par ailleurs, elle bénéficie du nouvel ABS combiné sport de Honda. Un atout non négligeable, surtout sur un circuit aussi technique.
Bertrand, quant à lui, avait opté pour la RC8R. Une moto qu'il trouve facile à piloter : « sur la RC8R, je suis à l'aise tout de suite. C'est une moto saine et instinctive. On n'a pas besoin de s'adapter à la machine, à l'instar d'une sportive japonaise. Son mode d'emploi est facile à assimiler et on peut rouler à un rythme élevé, dès les premiers tours. » À titre d'information, la KTM était chaussée de pneus de route adaptés à la piste — des Pirelli Diablo Supercorsa SP — tout comme la Ducati 1198, ce qui permet de juger les deux adversaires sur leurs performances intrinsèques, sans que les pneumatiques ne deviennent un facteur. Les deux quatre cylindres étaient équipées de pneus de route sportifs — des Continental Sport Attack pour la BMW et des Bridgestone BT015 pour la Honda — qui sont moins performants que les Pirelli sur piste, mais qui s'équivalent. Là encore, les deux machines en confrontation directe disposaient de gommes comparables.
Étant le dernier à choisir, il me restait deux options : la S1000RR ou la 1198. Un choix cornélien dans les circonstances : deux machines de caractère, hyper performantes sur piste et qui ont redéfini le créneau des supersportives. L'Italienne — on parle bien sûr de la mythique 916, l'aïeule de la 1198 —, en faisant la démonstration qu'une bicylindre pouvait rivaliser avec les multicylindres japonais et l'Allemande en s'imposant comme LA référence du plateau dès sa première année sur le marché. Comme j'avais plus d'expérience sur piste avec la BMW, j'optais pour cette dernière.
George Budacki, le fondateur de Turn2, devait se joindre à nous pour ce match au sommet, mais il s'est fracturé la clavicule deux jours avant notre arrivée. En l'absence d'un quatrième pilote, c'est donc à Éric qu'est revenue la tâche de réchauffer la 1198. Ce qui faisait son affaire. À aucun moment, je ne l'ai entendu se plaindre de devoir nous seconder.
QUATRE CYLINDRES : LA COURSE À L'ARMEMENT
Dans le duel qui oppose la nouvelle BMW S1000RR à la Honda CBR1000RR, la cause semble entendue d'avance tant la supériorité technique de l'Allemande est évidente sur papier. Avec près de 200 chevaux annoncés, soit environ 20 chevaux de plus que la Honda, elle semble intouchable. D'autant que toute cette puissance est contrôlée par des systèmes électroniques sophistiqués, dont un antipatinage multimodes qui fait des merveilles et un ABS débrayable. Cependant, la Honda, qui, elle aussi, dispose de l'ABS combiné, n'est pas en reste. Elle comble son déficit de puissance par une facilité de conduite étonnante et une efficacité redoutable sur piste. La Honda met immédiatement son pilote en confiance et lui permet de se concentrer sur son pilotage.
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La S1000RR redéfinit les standards de la catégorie hypersport. C'est un monstre
de puissance, et pourtant, elle se contrôle facilement et s'apprivoise somme toute
rapidement. Attention cependant à éviter les excès de confiance, surtout en mode Race.
Car l'électronique ne pardonne pas tout et ne peut pas annuler les lois de la physique. |
BMW S1000RR : l'électronique aux commandes!
Après une première séance non chronométrée passée à me familiariser avec le circuit ontarien, ma deuxième sortie au guidon de la BMW m'a permis de retrouver mes marques à ses commandes. Après deux ou trois tours de reconnaissance derrière Éric, je décidais d'augmenter la cadence et d'adopter un rythme rapide, pour moi, en tout cas. Tour après tour, j'abordais les virages 8 (un grand gauche à double point de corde surnommé « Temptation ») et 14 (appelé « Hook », à juste titre), un gauche serré où l'on prend un maximum d'angle, de plus en plus vite, avec une confiance inébranlable dans l'antipatinage de la BMW. Ces deux courbes sont mes préférées. Penché à la limite, on sent le pneu arrière nous pousser vers l'avant et le cadre travailler sous la pression. Une sensation vraiment addictive qui ressemble un peu à celle que l'on éprouve au départ d'une course d'accélération.
À mi-chemin de la deuxième séance, alors que j'étais passé du mode « Sport » au mode « Race », j'ai senti le Conti arrière décrocher dans le 14 pour reprendre immédiatement son adhérence. Comme quoi l'antipatinage n'est pas une panacée et ne permet pas de transgresser les lois de la physique ou de la traction. En fait, ce manque de motricité a été ressenti par plusieurs pilotes sur la BMW, comme sur la Honda, à un niveau moindre, cependant. Et, dans les deux cas, ce sont les pneus de série qui sont en cause, car ils ne sont pas vraiment conçus pour une conduite hyper agressive sur circuit, spécialement sur une piste aussi demandante que celle de Calabogie. Comme le remarquait Bertrand : « ils se sont mis à glisser partout, en plein milieu de courbe, dès la troisième séance, quand j'essayais de maintenir le rythme des twins chaussés en pneus "piste". »
Le bloc incliné de 32 degrés vers l’avant de la S1000RR délivre une puissance absolument démente de 193 ch à 13 000 tr/min au vilebrequin et atteint un régime maximal de 14 200 tr/min. C'est beaucoup. Beaucoup plus que ce à quoi nous avons été habitués jusqu'ici. Après sa première sortie sur la BMW, Bertrand était épaté : « la S1000RR se soulève au milieu de la ligne droite sur une dénivellation qu'on ne sent même pas sur les autres motos de ce comparo. On gagne tellement plus de vitesse entre les virages qu'il faut absolument réajuster sa compréhension du circuit pour l'exploiter au maximum. » Ugo aussi a été surpris par cette étonnante puissance : « à plus de 200 km/h, j’ai senti l’avant se soulever à l'accélération, en pleine ligne droite, et retomber aussitôt, sous l'action de l'électronique. C'est fabuleux! Je n'ai jamais rien ressenti de semblable, pas même aux commandes de la CBR qui est loin d'être une enclume. »
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Facile à inscrire en virage, la S 1000 RR est très stable, en courbe comme en ligne droite.
Un vrai rail! Difficile de prendre la partie-cycle en défaut. |
En revanche, ce qui étonne le plus au guidon de la BMW, c'est la douceur de son moteur. Extrêmement puissant et linéaire, le quatre en ligne se montre aussi très coupleux. Il tire avec autorité dès les plus bas régimes et au-delà de la zone rouge. Régime auquel le rupteur entre en action afin de prévenir les surrégimes. Le bloc BMW est extrêmement souple et reprend dès 2 000 tr/min en sixième, sans hoqueter. Et malgré sa puissance phénoménale, la machine ne se montre jamais vicieuse. Elle livre ses chevaux de façon contrôlée et est facile à piloter.
Mais toute cette performance pourrait ne servir à rien sans un châssis à la hauteur. Et c'est là que la BMW nous épate le plus pour une nouvelle venue dans l'univers des hypersportives. Extrêmement rigide, le cadre périmétrique en alu est secondé par des éléments de suspensions classiques — fourche inversée de 46 mm et mono-amortisseur haut de gamme ajustables dans tous les sens — faisant preuve d'une efficacité totale. Un peu lourde à balancer dans les transitions et dans les petits virages serrés, comparativement à la Honda, mais aussi aux deux bicylindres, l'Allemande fait montre d'une stabilité et d'une précision incroyables. À son guidon, on est en contrôle total et on a le sentiment que rien ne peut nous arriver. C'est sûrement ce qui m'a aidé à réaliser mes meilleurs temps en piste avec elle. J'ai en effet roulé trois secondes plus rapidement avec la S1000RR qu'avec la 1198. Au guidon de la RC8R, j'étais presque aussi véloce que sur l'Italienne, puisque l'écart entre les deux était de seulement 0,5 seconde. Et c'est avec la CBR1000RR que j'ai roulé le moins vite, avec des temps de cinq secondes inférieurs à ceux de l'Allemande. Il faut dire, à la décharge de la Honda, que je ne l'ai pilotée qu'une seule séance, à la toute fin de la journée, alors que la fatigue et la chaleur avaient commencé à entamer ma détermination et mon endurance. Dans le cas de Bertrand, il a enregistré son meilleur temps sur la Ducati. La KTM suivait à une seconde d'écart, loin devant la BMW et de la Honda, à égalité, avec un retard de 5 secondes sur la 1198. Ugo, qui n'a pas eu l'occasion de piloter les twins sur la piste, a tourné plus rapidement avec la Honda. Il faut dire qu'il a passé moins de temps au guidon de la BMW. Et qu'il se sentait très à l'aise sur la Japonaise.
Honda CBR1000RR : facile à conduire et performante
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Malgré son déficit d'environ 20 chevaux par rapport à la S1000RR, la CBR1000RR
n'est pas à la traîne. Moins exigeante à piloter, elle pourrait presque rivaliser avec la BMW,
sur ce circuit en tout cas, si son moteur était moins creux en bas de 7 000 tours. |
En fin d'après-midi, je sautais à mon tour sur la Honda, pour l'ultime séance de la journée. En arrivant dans le premier virage, un gauche rapide dans lequel on coupe à peine les gaz, je l'ai sentie moins bien plantée que les autres. Impression confirmée dans les virages 2 et 3, deux courbes à droite où l'on prend pas mal d'angle à une vitesse néanmoins importante. J'étais d'autant plus surpris que j'avais le sentiment d'être plus lent que d'habitude dans cette section. Au début, j'ai mis ça sur le compte de la fatigue…
En passant de la BMW à la Honda, on a l'impression de descendre d'une 1000 cc pour enfourcher une 600 cc tellement la différence de puissance est flagrante dès les premières accélérations. Mais, en dehors de son handicap de chevaux à haut régime, la CBR1000RR est également desservie par le caractère effacé de son moulin. Particulièrement creux à bas et moyen régimes, il se réveille passé 7 000 tr/min pour tirer avec autorité à partir de 8 000 tr/min. De là jusqu'à la zone rouge située à 13 000 tr/min, il est extrêmement puissant et délivre ses 179 ch avec rage. Comme la BMW, elle doit être pilotée très délicatement, tout particulièrement en sortie de courbe, pour arriver à réaliser un temps au tour respectable. Elle était également handicapée par sa monte pneumatique mal adaptée au circuit. Même si elle n'a pas d'antipatinage, la CBR faisait jeu égal avec la BMW dans les circonstances, l'Allemande ayant plus de difficulté à faire passer tous ses chevaux au sol.
Facile à prendre en main, compacte et agile, la Honda est peut-être la plus docile — il s'agit d'un compliment, pas d'une critique en l'occurrence — du groupe. À peine moins lourde que la BMW ou la KTM (180 kg pour la Honda, 182 kg pour les deux autres), elle transmet cependant une impression de légèreté plus grande, ce qui la ferait presque passer pour une moyenne cylindrée en comparaison. Ceci est sûrement dû à son étroitesse relative, à son empattement court (1 410 mm pour la Honda, 1 425 mm pour la KTM, 1 430 mm pour la Ducati, 1 432 mm pour la BMW) et à sa géométrie de direction radicale. Ce tableau idyllique est cependant terni par les suspensions légèrement en retrait, comparativement à celles que l'on retrouve sur les autres motos de ce test. La fourche trop souple affecte la précision du train avant en entrée de virage, spécialement dans les grandes courbes rapides. Cependant, même si la journée achevait et même si j'étais moins en forme que le matin, la facilité de conduite de la Honda m'a stupéfait. Moins impressionnante que la BMW, elle est aussi moins exigeante et moins stressante à piloter. Au final, ça lui permet de garder le contact avec l'Allemande sur ce tracé. Ce qui n'est pas une mince affaire.
En ce qui a trait au freinage, les deux machines font quasiment jeu égal. Le système Race ABS de la BMW se montre aussi efficace que le système C-ABS de la Honda. C'est tout dire… Les deux font preuve d'une grande efficacité et permettent, en cas d'erreur, de se sortir de certains pièges en limitant les dégâts.
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La CBR1000RR est la plus facile à prendre en main. Son châssis neutre est d'une efficacité incroyable. Il permet au pilote de se concentrer sur ses trajectoires. |
LA BATAILLE DES TWINS
Avant même de m'élancer en piste aux commandes des bicylindres, je savais en gros à quoi m'attendre. Je me rappellais la facilité de prise en main de la KTM, qui se montre compétente en toute circonstance sur circuit. Quant à la Ducati, je me souvenais d'elle comme d'une moto moins instinctive à assimiler, mais diablement performante au fur et à mesure qu'on aligne les tours rapides à son guidon. Il sera intéressant d'analyser les chronos pour voir si ces pressentiments se confirmeront dans les faits.
KTM RC8R : sexy et exotique
J'ouvre les hostilités avec la RC8R, dont l'essai de la version de base m'avait laissé de bons souvenirs, mais aussi quelques regrets. Il faut dire que depuis son lancement, en 2007, je suis vendu au look de la KTM, surtout dans cette livrée "R", noire, orange et blanche qui est tout simplement magnifique. Je la trouve à la fois agressive et sensuelle. Sexy même, pour utiliser un anglicisme qui, selon moi, traduit mieux l'effet que produit l'Autrichienne sur moi.
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Facile à piloter, la RC8R demande à être parfaitement ajustée pour livrer le meilleur d'elle-même. Et les possibilités de réglages sont tellement nombreuses qu'il est facile de
s'y perdre si on n'est pas assisté par un spécialiste en châssis et en suspensions. |
La RC8R ne fait pas dans la simplicité. Son équipement d'origine est pléthorique et d'un niveau de qualité qui frise la perfection. On voit d'emblée qu'on a affaire à une moto conçue pour la piste : suspensions réglables dans tous les sens et amortisseur de direction WP, étriers Brembo à la fine pointe de la technologie, réglages d'assiette et d'angle de direction, hauteur des repose-pieds ajustable… rien n'est laissé au hasard.
En enfourchant la KTM, on est saisi par sa finesse, mais aussi par la place généreuse qu'elle réserve à son pilote. Des quatre motos de ce comparo, c'est la plus accueillante, mais aussi la plus facile à configurer selon les préférences de son pilote. Cependant, cette multitude d'ajustements peut lui causer des problèmes lors d'un essai, surtout comparatif. Car il suffit que les réglages, spécialement au niveau des suspensions et de la géométrie de direction, soient décalés pour que l'expérience en piste en souffre. Dans les circonstances, la RC8R mise à notre disposition était « sur la coche », pour employer une expression triviale.
Après un premier tour effectué à un rythme de promenade, question de trouver mes marques sur la machine, l'un des principaux défauts de la KTM — en fait, c'est l'un des seuls, mais il est presque rédhibitoire — se rappelle immédiatement à mon souvenir. L'injection est toujours aussi abrupte à la remise des gaz, ce qui complique le pilotage quand on doit conserver une accélération constante ou lorsqu'il faut ajuster sa vitesse dans le virage. Il faut alors faire preuve de délicatesse pour ne pas déstabiliser la moto.
Car pour le reste, la R est tellement facile à piloter qu'en très peu de temps, on atteint une cadence très élevée. Un sentiment également partagé par Bertand qui a débuté la journée sur la RC8R : « Après quelques tours, les repose-pieds se sont mis à frotter partout, parfois fortement. Mes bottes ont d'ailleurs pris un coup de vieux puisqu'elles touchaient l'asphalte dans presque tous les virages. » À la décharge de la KTM, il faut avouer que les repose-pieds étaient réglés en position basse. Nous aurions pu les relever, mais nous ne l'avons pas fait, par manque de temps, les séances en piste s'enchaînant à une vitesse folle. Et, entre deux séances, il fallait bien transcrire nos observations.
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Les repose-pieds de la RC8R frottent rapidement. Ce qui n'empêche pas la KTM d'être extrêmement rapide sur circuit. Seule la brutalité de l'injection limite ses prétentions. |
Bertrand reconnait que ça n'aurait pas changé grand-chose dans les circonstances : « incliner la RC8R un peu plus n'aurait rien changé puisque dès ma seconde sortie à ses commandes, le pneu arrière s'est mis à patiner à la sortie de plusieurs virages. Difficile dans les circonstances d'exploiter plus le potentiel de la KTM qui, à ce niveau, faisait presque jeu égal avec la Ducati en termes de chronos. » Pourtant, malgré ce manque d'adhérence qui, à notre avis, est engendré par la nature du revêtement de Calabogie, la RC8R a toujours coopèré et s'est montrée stable et précise.
Le V-Twin de la KTM est coupleux et puissant à la fois (90,7 lb-pi à 8 000 tr/min pour 170 ch à 10 250 tr/min), des valeurs très voisines de celles du V2 de la Ducati. C'est le moteur qui tire le plus fort entre 3 000 et 5 000 tr/min. En contrepartie, il affiche un frein moteur élevé et une inertie importante, deux caractéristiques qu'il s'agit de bien assimiler pour exploiter la RC8R au maximum. Si le twin de 1 195 cc pousse fort dans les bas et mi-régimes, il manque un peu de peps en haut. Du coup, il se montre plus avare de sensations que le moulin de la Ducati. Ce qui ne l'empêche pas de nous aider à réaliser des temps en piste très élevés, à quelques centièmes seulement des temps de l'Italienne avec laquelle deux des essayeurs se sont montré plus rapides.
Grâce à son châssis performant réglable dans tous les sens, la KTM tire son épingle du jeu avec maestria. Très joueuse, elle est également précise et incisive. Dotée d'une tenue de route impériale en ligne droite, elle est stable au freinage et négocie les courbes rapides ou serrées avec aplomb. Ses suspensions WP sont irréprochables, parmi les meilleures de ce comparo, ce qui révèle le potentiel sportif de l'Autrichienne. Grâce à son ergonomie moins radicale, elle permet de boucler de nombreux tours sans fatigue. D'autant qu'elle se montre très agile, spécialement dans les enchaînements et les chicanes.
Ducati 1198 : l'ADN d'une championne
Quand on regarde la Ducati, on ne peut s'empêcher d'admirer ses lignes superbes. La 916 et toutes ses descendantes ont admirablement passé le test du temps, preuve que le coup de crayon originel était tout à fait réussi. Mais elle n'est pas seulement belle. Elle est aussi exotique. Ce qui est tout à fait différent. Et dotée d'équipements très haut de gamme. Un vrai travail d'orfèvre-mécanicien. On devine tout de suite la passion qui anime ses créateurs.
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Pointue, la 1198 demande une période d'adaptation. En revanche, une fois son mode
d'emploi assimilé, c'est la moto avec laquelle les plus expérimentés d'entre nous ont
réalisé leur meilleur chrono sur le magnifique circuit de Calabogie. |
À l'usage, la Ducati affiche un caractère volontaire, pour ne pas dire récalcitrant. La belle Italienne résiste à nos avances et demande qu'on s'adapte à elle. Capricieuse, elle met son tempérament au service de la performance. Car, dès qu'on accepte de jouer son jeu, elle nous récompense en mettant tous ses talents à notre service. Et des talents, elle n'en manque pas.
La position de conduite de la 1198 est beaucoup plus sportive que celle de la KTM, mais sur la piste, elle n'est pas vraiment plus radicale à piloter. Plus adaptée au circuit, mais pas moins confortable. La selle est ferme, mais elle facilite les déplacements sur la moto et n'entrave nullement les déhanchements. Cependant, l'assise est très relevée sur l'arrière et il est ardu de reculer sur la selle. Dotée d'une valeur d'empattement à mi-chemin entre celles de la KTM et de la BMW, la 1198 donne néanmoins l'impression d'être plus longue que ces dernières. Sûrement en raison de son long réservoir plat. Étroit au niveau de la selle, on le serre facilement entre nos cuisses, ce qui permet de prendre appui afin de réduire la pression sur les poignets.
Dès les premiers tours de roue, on se rend compte du manque de souplesse du twin desmodromique de 1 198,4 cc. Il cogne furieusement en bas de 4 000 tr/min et commence à fonctionner en douceur au-delà de 6 000 tr/min. Moins coupleux que celui de la KTM, il permet cependant de remettre les gaz plus tôt. Et, dès les mi-régimes, il déploie toute sa puissance dans une sonorité rageuse et tire furieusement jusqu'à la zone rouge. Jamais un V2 sportif n'a fait montre d'autant de coffre et d'allonge à la fois. Un compromis difficile à atteindre sur un moteur de ce type. On voit immédiatement le bénéfice de 20 ans de recherche et de développement en Superbike.
Au niveau de sa partie cycle, la 1198 dispose d'un héritage génétique tout à fait sportif. Lourde de direction, à bas régime, dans la plus pure tradition Ducati, et plus lente que la KTM dans les virages serrés et dans les enchaînements, elle fait preuve cependant d'une stabilité remarquable dans les grandes courbes rapides. Elle est imperturbable sur l'angle et dispose d'une motricité sans commune mesure qui lui permet de faire passer la puissance au sol efficacement. Grâce à ses suspensions de qualité, parfaitement calibrées, à son cadre treillis intègre et rigide, à son freinage supérieur, à sa boîte de vitesse hyperprécise et à son embrayage antidrible transparent, elle atteint un niveau de performance supérieur sur piste. Et négocie les trajectoires avec une précision chirurgicale. En fait, la 1198 demande qu'on lui fasse confiance et qu'on persévère. Plus elle roule vite sur circuit, mieux elle se comporte. Elle est dans son élément lorsque le rythme est très élevé.
« La Ducati semble non seulement capable d'aller toujours plus vite, mais elle se comporte aussi de manière très sereine à ce rythme, reconnaît Bertrand. Tellement sereine qu'on peut se concentrer sur son pilotage et sur les particularités de la piste. J'ai réalisé mon meilleur temps en seulement une séance et demie à son guidon. Je suis persuadé que j'aurais pû soustraire plusieurs secondes à ce temps de référence si j'avais fait deux ou trois séances de plus à ses commandes. »
Contrairement à la RC8R qui atteint facilement un rythme rapide, mais plafonne une fois parvenue à ce niveau, la 1198 demande plus d'efforts pour parvenir à cette même cadence, mais elle se montre en revanche complètement sereine une fois qu'elle l'a atteint.
Faisant preuve d'une homogénéité étonnante, la belle de Borgo Panigale fait opérer le charme une fois de plus et parvient à se mesurer à la KTM pourtant plus richement dotée.
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La Ducati 1198 possède une partie-cycle digne d'une machine de course. Mais elle
demande un pilote d'expérience pour livrer tout son potentiel. |
ET SUR LA ROUTE?
Même si je suis aujourd'hui trop vieux pour rouler en sportive au quotidien, sur route s'entend, je prends toujours un plaisir immense à jouer les Rossi sur piste au guidon de ces machines superlatives. L'écart entre les différentes motos de ce comparo est faible et chacune d'elles offre des performances dignes des motos de course d'il y a quelques années à peine. Entre la puissance phénoménale, mais tout à fait contrôlable, de la S1000RR , l'homogénéité de la 1198, l'efficacité de la RC8R ou la facilité de prise en main de la CBR1000RR, il est difficile de choisir parfois.
Personnellement, je me contenterais de l'une ou de l'autre de ces motos sans aucune hésitation, surtout pour m'amuser sur le circuit de Calabogie que j'adore. En revanche, sur route, je choisirais sans hésiter la BMW, à cause de son formidable arsenal électronique dont l'efficacité est incroyable. Dans cet environnement hostile qu'est la route, l'ABS et l'antipatinage de la S1000RR constituent un atout majeur qui fait défaut aux autres. En deuxième lieu, je prendrais la KTM, car c'est la plus confortable à mon avis — ou du moins la moins radicale — en utilisation routière. Enfin, j'hésiterais entre la Honda et la Ducati pour la dernière place. J'ai beaucoup de difficulté à supporter le manque de souplesse de l'Italienne en ville, ou même sur autoroute. À mon avis, c'est celle qui est le moins à sa place sur route. Il faut dire qu'elle brille tant sur piste et qu'elle est tellement performante quand on la pousse à la limite qu'elle en pâtit sur route. Difficile de retrouver les plaisirs qu'elle distille dans cet environnement castrateur.
Pas vraiment destinées au tourisme, ces machines peuvent cependant se soumettre à cet exercice si nécessaire. Il faut néanmoins savoir qu'aucune d'entre elles ne peut recevoir de sacoche de réservoir magnétique. Il faut absolument se rabattre sur un modèle universel à sangle. Il est possible d'arrimer un sac de queue sur la portion arrière de la selle, mais, à moins de chercher à défigurer votre machine, il est pratiquement impossible d'installer d'autres sortes de bagages sur ces sportives radicales. Et une chose est certaine; aucune d'entre elles n'est conçue pour rouler en duo. On peut le faire pour se dépanner, ou occasionnellement, mais pas à long terme. Moi, je n'essaierais pas en tout cas.
Enfin, si on parle de budget, la Honda est la moins chère du lot (16 399 $), juste devant la BMW (17 300 $ en version unie, 17 950 $ en version tricolore). Les deux bicylindres font payer leur exclusivité très cher puisque la Ducati se détaille 19 995 $ et la KTM, 22 998 $. Mais rendu à ce stade, le prix n'a plus vraiment d'importance.
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La BMW S1000RR et la Ducati 1198 remportent logiquement leur match respectif. |
LA HIÉRARCHIE EST RESPECTÉE
La BMW sort grande gagnante de cette confrontation, ce qui n'est pas tout à fait une surprise. Mais, au-delà de sa puissance phénoménale, laquelle a pesé dans la balance, mais n'a pas été le facteur décisif, c'est la facilité avec laquelle l'Allemande se pilote qui nous a bluffés. Voir comme elle parvient à transformer un pilote moyen en aspirant pistard est surprenant. Les progrès accomplis au niveau de l'électronique en quelques années sont étonnants. Ça tient de l'esbroufe. Et je vois mal qui, en toute objectivité, voudrait s'en passer.
En deuxième place, la Ducati récolte les fruits de son développement en compétition. La 1198 est une authentique machine de course à peine « détunée » pour la route. Quand vous réalisez qu'il existe également des versions «S» et «R» de la 1198, plus richement dotées — particulièrement au niveau de l'électronique — et donc plus performantes , il y a de quoi attraper le tournis. Au terme de ce match comparatif, l'Italienne fait presque jeu égal avec la BMW. Ce qui n'est pas peu dire.
En troisième place, à quelques encablures seulement de la Ducati, la KTM se démarque grâce à l'étonnante efficacité de sa partie cycle réglable dans tous les sens. N'eût été de son injection brutale et d'une mollesse relative de son twin à haut régimes, comparativement à la Ducati, la RC8R aurait à coup sûr chauffé les fesses de l'Italienne.
Quant à la Honda, elle n'a pas à rougir de terminer quatrième. Car la compétition est extrêmement relevée. La Honda brille partout — sans dominer dans aucun secteur cependant —, et n'a pas vraiment de défauts rédhibitoires. Elle reste la moto préférée de ceux qui recherchent la facilité de prise en main.
Le point intéressant à remarquer c'est que chaque machine a récolté un vote de première place, ce qui reflète bien le faible écart qui sépare ces machines superlatives, mais aussi la variété des préférences de chaque pilote selon qu'il est routard ou pistard. |