Parcourir 1 200 kilomètres en auto pour faire une balade d'à peine quelques heures à moto ne correspond pas à l'idée que je me fais habituellement du plaisir. Mais, dans le cas présent, la personnalité de la machine que j'allais découvrir m'a fait changer d'idée. J'aurais pû attendre l'été prochain et mener un essai complet, puisqu'il s'agit d'un modèle 2012 qui ne sera disponible au pays qu'à la fin de la saison 2011. Mais je ne pouvais contenir mon excitation. J'ai donc accepté l'invitation.
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L'appel du désert, jusque dans son logo. |
Un look de baroudeuse en quête d'aventures
Présentée en Europe au printemps dernier, la Super Ténéré «First Edition » a été reçue tièdement par la presse spécialisée et le public du Vieux Continent pour lequel elle a pourtant été expressément conçue. Même s'il s'agit d'une moto que tout le monde attendait fébrilement et que Yamaha a dévoilée sur plusieurs mois, l'aventurière de Yamaha tarde à atteindre sa clientèle cible. Peut-être que les attentes suscitées par cette médiatisation outrancière étaient trop importantes et que la déception était la seule issue possible? Toujours est-il que j'arrivais au siège social de Yamaha Motor Canada avec de nombreuses questions et quelques doutes.
Mon premier contact avec la XT, 1200 Z fut positif. Esthétiquement, la Yamaha est belle, une vraie réussite. Proposée en deux coloris (une superbe livrée bleue Yamaha Racing et une autre argentée, plus sobre, mais trop fade à mon goût), la Super Ténéré est dotée d'une présence physique étonnante. Elle semble même plus massive qu'une GS. C'est une machine haute sur pattes et volumineuse (surtout avec ses valises latérales) qui impose le respect. De toutes les prétendantes au titre de reine des aventurières (Honda Varadero, KTM Adventure, Moto Guzzi Stelvio, Suzuki V-Strom), c'est celle dont l'allure se rapproche le plus de celle de la BMW qui règne sans partage sur la catégorie depuis maintenant 30 ans.
Avec neuf victoires à son actif au célèbre rallye Paris-Dakar, Yamaha connaît parfaitement l'univers des rallyes raids et s'en est inspiré pour concevoir sa nouvelle aventurière. Digne héritière de la Super Ténéré 750 dont la production a cessé en 1997 — elle n'a été offerte que deux ans au Canada à la fin des années 80 —, la nouvelle XT 1200 Z s'inspire du look de son aïeule et le remet au goût du jour, en plus de bénéficier de toute la technologie moderne. Et, à ce chapitre, les ingénieurs de la marque aux trois diapasons n'ont pas fait dans la demie mesure : double cartographie d'injection (sport et touring), antipatinage à trois modes (TCS1, TCS2 et TCS débrayé), accélérateur électronique de type « Fly by Wire », freinage combiné avec ABS (non débrayable cependant, ce qui décevra les amateurs de hors route), prise accessoire douze volts, selle ajustable en hauteur, porte-paquet multifonction, et j'en passe.
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La Super Ténéré est très efficace sur route, mais moins en tout terrain. |
Le tour du propriétaire
Pour propulser sa reine des sables, Yamaha a choisi un bicylindre vertical, calé à 270 degrés, issu du moulin de la TDM900, une machine qui n'a pas été distribuée en Amérique du Nord. Ce moteur DACT, à quatre soupapes par cylindre et refroidissement au liquide est incliné de 26 degrés vers l'avant pour favoriser une plus grande compacité.Le moteur est ainsi placé plus bas dans le cadre afin d'abaisser le centre de gravité et de libérer de l'espace au-dessus, pour loger le volumineux filtre à air. Ce bloc inédit intègre un réservoir d'huile dans le carter. Avec son alésage de 98 mm et sa course de 79,5 mm, le twin vertical cube à 1 199 cc. Il développe une puissance estimée à 110 ch à 7 250 tr/min pour un couple de 84 lb-pi à 6 000 tr/min.
La nouvelle Super Ténéré reçoit une transmission finale par arbre et cardan baptisée Hypoïd. Dépourvue de renvoi (technologie utilisée par BMW et Moto Guzzi), cette transmission acatène est compacte et légère à la fois et se montre tout à fait neutre à l'usage, sans effet de contre couple. Le cardan ne fait pas lever l'arrière de la moto à l'accélération, ni ne le fait s'écraser en décélération.
La partie cycle est classique et fait appel à un cadre en tubes d'acier, avec une boucle arrière démontable, en alu. La suspension est assurée par une fourche inversée à tubes plongeurs de 43 mm de diamètre, réglable dans tous les sens et par un monoamortisseur ajustable en détente et en précharge. Les suspensions offrent un débattement important de 190 mm aux deux extrémités, ce qui permet à la XTZ d'avaler les bosses sans problème.
Au niveau du freinage, on retrouve un double disque de 320 mm avec étriers à quatre pistons à l'avant et un simple disque de 280 mm avec étrier à double piston, à l'arrière. Yamaha a doté sa XTZ d'un système antiblocage combiné, baptisé Unified Brake System (UBS). Quand on n'utilise que la pédale, le système n'agit pas sur la roue avant afin d'éviter que la moto se redresse en courbe, par exemple. En revanche, si l'on applique une pression élevée sur le levier, le répartiteur actionne également l'étrier arrière.
Les jantes à rayons sont d'un type nouveau à profil intérieur en T qui accepte les pneus radiaux sans chambre à air. Elles sont chaussées de Brigestone BattleWing de 110/80 x 19 à l'avant et de 150/70 x 17 à l'arrière. Il s'agit d'une monte pneumatique orientée route.
Pour ce qui est de l'équipement, il est pléthorique. L'ordinateur de bord est complet (jauge, horloge, température du moteur, température ambiante, consommation moyenne, deux totalisateurs journaliers avec totalisateur de réserve), mais ne comporte pas d'indicateur de rapport engagé. On retrouve une prise accessoire douze volts, à l'avant droit du cockpit, des protège-mains et des protections latérales en acier (pour éviter de défoncer les panneaux latéraux du carénage ou le radiateur), deux béquilles, une latérale et une centrale (ce qui est de plus en plus rare de nos jours) et des valises latérales d'une contenance limitée (29 litres à gauche, 32 litres à droite). Aucune d'elles ne peut accueillir un casque : il faut opter pour le top case optionnel pour ranger son couvre-chef. Enfin, la bulle est réglable manuellement sur deux positions, mais il faut démonter les caches à l'aide d'un tournevis pour la régler. Il lui manque seulement des poignées et une selle chauffantes pour faire aussi bien que la GS. Et des suspensions électroniques.
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Le protège-mains et le protège-moteur évitent que la carrosserie, mais aussi les organes
vitaux, comme ici le radiateur, soient endommagés en cas de chute. |
Le stress de la première rencontre
En prenant place à bord de la Super Ténéré, on est surpris de pouvoir poser les pieds au sol relativement facilement. La hauteur de selle est en effet réglable sur deux hauteurs (845 ou 870mm). Il suffit pour cela de déverrouiller le siège, de dévisser la vis hexagonale qui retient la section arrière de la selle (laquelle peut s'enlever pour recevoir un supplément de bagages quand on roule en solo), puis de déplacer le support plastique d'un cran. Dans mon cas, le siège était réglé en position basse.
On découvre ensuite un poste de pilotage fonctionnel, quoique passablement encombré. Un bouton sur le côté gauche permet de régler l'antipatinage : TCS1 (réglage maximum), TCS2 (autorise un léger patinage) ou « Off » (système désactivé). Une simple pression sur le commutateur de la poignée droite fait passer la cartographie d'injection du mode Touring au mode Sport, selon qu'on veut adoucir ou accroître le caractère du moteur.
Esthétiquement, les valises latérales s'accordent très bien à la ligne générale de la moto et renforcent son allure de baroudeuse. Cependant, quand on les enlève, la ligne reste harmonieuse et s'affine.
La position de conduite est typique de ce genre de machine, dos droit, bras écartés, mais pas trop tendus, hanches et chevilles dans l'axe des épaules. Il s'agit d'une position détendue favorisant la balade, mais moins l'attaque. On ne peut pas tout avoir. La section arrière du réservoir, au niveau de la selle, est fine. Ce qui évite au pilote d'avoir les cuisses trop écartées.
Les repose-pieds proposent un design original. Le caoutchouc qui les recouvre est combiné avec une base métallique dentelée. En position debout, le caoutchouc s'écrase et laisse apparaître les dents en métal, lesquelles offrent alors une prise accrue sous le pied. Il suffisait d'y penser.
Avec son réservoir de 23 litres rempli et ses valises installées, la XTZ atteint un poids tout plein fait de 274 kilos, ce qui est considérable dans les circonstances et représente près de 32 kilos de plus qu'une GS dotée du même équipement. Pourtant, en mouvement, le poids disparaît presque totalement. En effet, la répartition et la centralisation des masses s'avèrent efficaces.
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Malgré son look de baroudeuse, la Super Ténéré est également à l'aise en ville. |
C'est à la forge qu'on juge le forgeron
Je sors du stationnement de Yamaha derrière notre groupe de six pilotes. Je ferme la marche, m'assurant de n'être suivi par personne dont j'aurais à me méfier (j'ai horreur de rouler en paquets, au cas où vous ne l'auriez pas deviné). La moto se prend en main instantanément, sans effort. C'est comme si nous avions passé notre vie ensemble. Après seulement 500 mètres, je trouve le moteur fade, presque sans vie. Un coup d'œil au tableau de bord me fait réaliser que je suis en mode Touring. Vraiment poussif. Je passe donc en mode Sport, en faisant attention d'y rester. Dans ce réglage, les montées en régime sont plus franches et les accélérations plus vives, mais le moteur reste malgré tout peu convaincant pour un gros twin vertical de 1 200 cc.
La souplesse du bicylindre est bonne et la Ténéré reprend dès 2 000 tr/min, sur un filet de gaz, sans cogner. Mais au niveau des sensations, il me fait penser à celui de la TDM 900 GT que j'ai essayée cet été en France, lors d'un périple de 3 500 km. Efficace, mais dénué de caractère, malgré son vilebrequin calé à 270 degrés. Il tire honnêtement entre 3 000 et 6 500 tr/min, mais au-delà, il rechigne à grimper et à fournir plus de puissance. C'est un moteur qui n'aime pas les hauts régimes (la zone rouge débute à 7 500 tr/min) et dont l'inertie est importante. Il permet de rouler vite et ne se traîne pas, mais il est très « sage ». Le frein moteur est présent, mais se contrôle bien, sans risque de blocage intempestif.
Sur route rapide, à une vitesse stabilisée de 100 km/h en sixième, le bicylindre ronronne à 3 000 tr/min, pour tourner à 4 300 tr/min à 130 km/h. On est loin des régimes atteints par les multicylindres rugissants, comme celui de la R6, par exemple. La boîte de vitesse à six rapports est douce et précise. On passe les rapports à la volée sans efforts, ni à-coups. Un vrai charme.
La transmission par cardan, qui constitue un gros avantage par rapport à l'Adventure, à la Varadero ou à la V-Strom qui sont équipées d'une chaîne, est quasiment transparente. L'arrière ne se soulève pas à l'accélération et ne s'écrase pas en décélération. Au point où on croirait presque être en présence d'une transmission par chaîne, sans les à-coups dus au jeu du rouage d'entraînement.
Grosse et lourde, la XT 1200 Z fait plus penser à une GT qu'à une aventurière à proprement parler. Sa conduite est coulée et son comportement hors route n'est pas à la hauteur de ses prétentions affichées. Sur ce dernier point, il faut reconnaître que la monte pneumatique d'origine handicape la Yamaha qui se débrouillera peut-être mieux avec des pneus plus adaptés. Les pneumatiques Bridgestone Battlewing proposent un grip efficace sur bitume, mais très moyen en tout terrain. À remplacer immédiatement si vous avez l'intention d'explorer tous les recoins cachés du Québec.
Si elle se montre plus stable en courbe rapide que l'Allemande, elle est moins vive de direction et moins joueuse que la GS dont le train avant est plus incisif et plus précis. Sur une petite route de montagne, la Yamaha aurait de la difficulté à suivre le rythme imposé par la R 1200 GS dont la garde au sol est plus importante et les aptitudes à la conduite sportive plus évidentes. Mais elle ferait jeu égal avec cette dernière sur route rapide, particulièrement en termes de confort et de stabilité directionnelle à haute vitesse. Par ailleurs, en raison de son empattement plus long de 33 mm et de sa géométrie de direction plus conservatrice (angle de fourche plus ouvert — 28 ° pour la XTZ contre 25,7 ° pour la GS — et déport supérieur de 24 mm) la Yamaha n'est pas aussi maniable que la BMW. Elle demande plus d'efforts de la part de son conducteur pour négocier les petites courbes serrées et les enchaînements de virages. Sans offrir les mêmes sensations de pilotage.
Le freinage UBS est très efficace. Mais l'ABS combiné n'est pas débrayable, ce qui est une mauvaise nouvelle pour les amateurs de conduite hors route. Yamaha a beau prétendre que le système est assez sophistiqué pour ne pas avoir besoin d'être débrayable, je connais peu de pilotes hors route qui se sentiront à l'aise au guidon de la XTZ en sentier, à l'approche d'une descente à pic, au revêtement incertain. Sur route, il n'y a aucun reproche à faire au système. Il fonctionne impeccablement, même sous la pluie battante. Comme j'ai pu le vérifier au retour vers Toronto alors que nous avons été surpris par un orage violent.
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La Super Ténéré est magnifique dans sa robe bleue racing Yamaha. |
Les suspensions haut de gamme de la Yamaha font un excellent travail, bien qu'elles ne disposent pas de l'excellent réglage électronique ESA II de la BMW. Et elles se marient à merveille à son châssis équilibré. Facile à emmener malgré son poids élevé et ses dimensions généreuses, elle favorise une conduite en douceur.
Le confort général est bon, grâce aux suspensions souples. La selle mériterait cependant d'être un peu plus ferme et de moins s'affaisser. La protection offerte par le carénage est plus que correcte, mais quelques turbulences persistent, comme c'est le cas sur toutes les motos de cette famille. Les vibrations sont bien maîtrisées dans l'ensemble et ne s'avèrent jamais gênantes.
Un bilan somme toute positif, mais...
Lourdes, suréquipées, sophistiquées et chères, les nouvelles aventurières sont plus GT que double usage et s'éloignent de leur héritage historique. On est loin des gromonos du début des années 80 grâce auxquels toute une génération de pilotes a découvert la conduite double usage et s’est lancé à la conquête des grands espaces. Aujourd'hui, ces nouvelles machines d'évasion se sont embourgeoisées, comme leurs propriétaires, ont pris de l'embonpoint et sont devenues plus sages, bien que plus puissantes et plus performantes.
Dans le cas de la Super Ténéré, elle ne fait pas exception à la règle. Cependant, elle arrive sept ans après la R 1200 GS, qui est un modèle du genre. Sans pour autant innover ou offrir un quelconque avantage technologique qui lui permettrait de se distinguer. Ses performances sont en retrait par rapport à celles de l'Allemande, particulièrement au niveau du moteur qui manque à la fois de jus et de caractère, deux qualités qui caractérisent le cru 2010 de la GS. Et, pour couronner le tout, son tarif risque d'être aussi élevé que celui de l'Allemande si on en croit les responsables de Yamaha Canada.
Contrairement à la Ducati Multistrada 1200 et à la KTM 990 Adventure qui ont choisi d'éviter la confrontation directe avec l'Allemande, en préférant évoluer dans un univers un peu différent, la Yamaha s'y frotte… et s'y pique. Cependant, elle fait mieux que toutes les autres prétendantes au titre (Honda Varadero, Moto Guzzi Stelvio, Suzuki V-Strom) en comparaison et se rapproche de la BMW au point de la faire frissonner. Il s'agit d'une excellente routière dotée de suspensions à grand débattement, mais pas de la reine des aventurières. Pas encore, en tout cas.
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