Une fois ou deux par saison, une machine dont je n'attends rien de particulier me surprend. M'étonne. Et vient chambouler mes certitudes. L'an dernier, la Suzuki Gladius m'avait séduit. Cette année, je suis tombé sous le charme de la Triumph Street Triple R. Elle m'a complètement renversé. Entre elle et moi, ce fut le coup de foudre! Dès les premiers kilomètres à son guidon, j'ai su que notre relation serait passionnelle. J'aime tout d'elle. Son look, sa taille de guêpe, le chant de son moteur, ses accélérations étonnantes pour une moyenne cylindrée, ses vibrations, sa position de conduite et son tempérament fougueux. Presque caractériel par moments. Ça va être difficile d'avoir l'air objectif après une telle entrée en matière, me direz-vous… Mais je vais m'y efforcer tout de même.
Croisement réussi entre la Daytona et la Speed Triple
Au premier coup d'œil, la Street Triple est familière. Il faut dire que son style dénudé et son double optique rond rappellent la Speed Triple dont elle semble être une version adolescente. Puis, quand on l'enfourche pour quelques tours de roue de reconnaissance, on retrouve les sensations moteur de la Daytona 675. En fait, la Street est le croisement parfaitement réussi de ces deux machines exclusives et performantes dont elle reprend le caractère non conformiste. Elle fait la synthèse des qualités de ses deux sœurs ainées et les intègre dans un ensemble homogène, équilibré et diablement performant. Qui plus est, elle propose un équipement complet et une qualité de finition en hausse à un prix presque raisonnable, surtout pour une Européenne.
Lors de sa sortie, la Street Triple de base s'est imposée comme la référence de la catégorie des roadsters de moyenne cylindrée. Elle s'est montrée presque aussi sportive que la Daytona 675, malgré une perte de 20 chevaux, se reprenant grâce à son couple important livré plus bas dans les tours (à 9 100 tr/min au lieu de 11 750). La « R » s'appuie sur la même base éprouvée, qui met de l'avant un gabarit compact jumelé à un poids-plume, mais s'équipe des suspensions haut de gamme de la Daytona, réglables en tout sens, ainsi que de freins avant performants Nissin, à fixation radiale. Ces options sont facturées 1 200 $, ce qui est inférieur à leur coût réel.
Une ergonomie presque idéale
La Street R combine la facilité de prise en main d'une Japonaise et le caractère exclusif d'une Italienne, à la façon d'une Ducati Monster. Elle parvient même à concilier des qualités que l'on a longtemps crues antinomiques. Et elle déploie un charme auquel il est difficile de résister. Fine, élégante et relativement légère pour une moto de sa catégorie (167 kilos à sec), la Triumph bénéficie d'une excellente répartition des masses.
Alors qu'on la penserait destinée aux petits et moyens gabarits, elle s'avère accueillante pour les pilotes de grande taille (plus de 1,80 m) auxquels elle offre un dégagement important pour les jambes grâce aux échancrures généreuses de son réservoir à essence.
|
Avec son look canaille, la Street Triple R fera ressortir votre côté hooligan. |
La position de conduite relevée est confortable. Le guidon tubulaire Magura en aluminium est large et rapproché du pilote, tandis que les repose-pieds sont placés plus bas que sur la Daytona. Ils ont cependant été reculés afin de ne pas nuire à la garde au sol du roadster qui n'en manque pas. La selle est plus basse que sur la Daytona (805 mm au lieu de 830 mm) et assez étroite. Un pilote de taille moyenne posera facilement les pieds au sol et sera en parfait contrôle à l'arrêt. Le rembourrage de la selle deux tons, décorées de surpiqures contrastantes est correct et permet d'envisager des sorties de plusieurs centaines de kilomètres sans appréhension, comme nous allions le découvrir au cours de cet essai au cours duquel les pilotes se battaient presque pour piloter la Street. La section arrière de la selle est recouverte d'un dosseret en plastique qui lui confère un air plus sportif. Sous ce dernier, le siège passager n'incite pas aux balades en duo. Il est étroit et peu confortable. De plus, le passager ne dispose pas de poignées de maintien et ses jambes sont passablement repliées en raison des repose-pieds relevés. De toute façon, qui voudrait s'encombrer d'un surplus de bagages sur une machine conçue avant tout pour distiller l'adrénaline à haute dose? Pas moi, en tout cas…
Une routière étonnamment efficace
Richard (Turenne) et moi sommes allés chercher la Triumph à la fin du mois de juillet, chez Sturgess Cycles, à Hamilton, une heure au sud de Toronto. Il faisait une chaleur caniculaire. La circulation était dense en raison des importants travaux routiers en cours dans la région de la métropole ontarienne. Et nous étions fourbus. Nous venions de faire le trajet Montréal/Hamilton au guidon d'une Z1000 et d'une Versys que nous rapportions chez Kawasaki où nous devions ramasser une Concours 14 pour le retour.
Nous sommes arrivés chez le concessionnaire vers midi. Là, nous avons pris possession d'une Street Triple R 2011 à peine rodée, magnifique dans sa robe orange brûlée. Comme nous commencions à être affamés, nous avons fait une pause ravitaillement (on ne peut pas vraiment parler de repas dans ce cas-ci) dans un établissement de restauration rapide au nom à consonance écossaise.
Assis près de la fenêtre, Richard et moi observions l'Anglaise avec délectation. Mais aussi, avec une certaine appréhension. Il nous restait près de 700 kilomètres à parcourir, par l'autoroute et dans une chaleur étouffante. Je me demandais secrètement si mon statut de patron serait suffisant pour me garantir les plus longs relais au guidon de la Concours 14.
Deux heures plus tard, nous arrivions à la sortie d'Oshawa, après nous être débattus dans le trafic comme des diables dans l'eau bénite. Il était temps de faire le plein et de changer de monture. Une opération que nous répèterions aux 200 kilomètres, par souci d'équité. Là, curieusement, je découvrais une moto étonnamment confortable sur route ouverte, pour un roadster extrême. La protection contre le vent était moindre que sur la Kawasaki, mais l'absence de turbulences rendait la conduite sur autoroute plaisante… et rafraîchissante! D'autant que le moteur m'envoutait, par ses performances d'abord — ses montées en régimes sont enivrantes —, mais aussi par sa sonorité rauque. Je n'ose imaginer la musique du trois cylindres avec les échappements accessoires Arrows proposés au catalogue du constructeur d'Hinckley. Elle doit être envoutante! J'avais tellement de plaisir au guidon de la Street que je laissais défiler les stations à essence, faisant mine de ne pas les avoir vues. Je n'avais pas envie de redonner les commandes de l'Anglaise à Richard, même si je commençais à ressentir quelques crampes au postérieur. Éventuellement, l’indicateur orange de la réserve s'alluma, m'obligeant à sortir pour faire le plein.
|
Malgré la vivacité de son châssis, la Street Triple R est stable en ligne droite et dans les
grandes courbes rapides. |
« J'ai cru que tu ne sortirais jamais! me lança Richard, visiblement soulagé que j'arrête enfin. Je commençais à m'endormir sur la grosse Kawa et j'avais hâte de reprendre la Triumph. Quelle machine! Vivement qu'on aille la rouler sur des petites routes de campagne. » Il me faudrait donc user de stratagèmes jusqu'à la fin de ce périple pour passer plus de temps au guidon de la Triumph… et si j'oubliais de faire le plein de la Concours 14? Non! Ça ne serait pas cool!
Partis le matin même de Montréal vers 6 h 30, nous arrivâmes en ville vers 23 h 30. Après une longue et exténuante journée de 1 400 km. Pourtant, j'avais encore envie de piloter la Street. De l'amener sur les routes secondaires sinueuses dans le nord des Laurentides, mais surtout sur une piste, pour une séance de photo sportive… C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que la Triumph n'était pas une mauvaise routière, mais aussi à quel point j'étais tombé sous son charme. Et, en regardant Richard se préparer à rentrer chez lui sur sa Honda VTR1000, je voyais dans ses yeux que lui aussi était conquis. Je vous invite d'ailleurs à lire son commentaire pour bien comprendre son état d'esprit du moment.
Une Street nommée Désir!
Durant les jours qui ont suivi, j'ai eu l'occasion de sillonner la ville en tout sens, du nord au sud, d'est en ouest. Un vrai vélo! Grâce à son poids plume et à sa géométrie de direction sportive (chasse de 23,9°, déport de 92,4 mm et empattement court de 1 385 mm), la Triumph se manie avec une facilité extrême. Elle permet de se faufiler dans la circulation avec insolence. Son guidon tubulaire large et relevé procure un effet de levier important. Seul un rayon de braquage important nuit un peu à sa maniabilité, spécialement lorsque vient le temps d'effectuer des demi-tours ou de manœuvrer à basse vitesse.
Le tricylindre se révèle coupleux et très souple. Il reprend sans hésiter sur un filet de gaz, dès 1 500 tr/min. Il est plein à tous les régimes et permet de s'extraire de la circulation en un coup d'accélérateur.
La boîte de vitesses à six rapports est un poil rêche à bas régime, spécialement quand elle la moto est neuve. Mais elle s'adoucit quand le moteur monte dans les tours et au fil des kilomètres. L'embrayage est extrêmement doux et précis. Le passage des rapports à la volée se fait cependant avec précision et douceur.
Pourtant, malgré son caractère délinquant et son aptitude à se jouer des pièges de la ville, la Street a hâte de quitter les rues encombrées pour aller s'amuser sur les routes secondaires ou, plaisir extrême, sur un circuit routier.
|
Saute-vent, échappement Arrows, sabot moteur, écopes de radiateur,
la Street Triple R peut être accessoirisée selon le goût de son propriétaire. |
La reine des « virolos »
Une fois sorti de l'environnement urbain et périurbain, nous quittons l'autoroute pour les petites routes viroleuses. À motoplus.ca, nous avons nos routes fétiches. Des tronçons d'asphalte en bon état qui zigzaguent dans la campagne et à travers les monts des Laurentides. Des routes que nous connaissons sur le bout des doigts. Ce ne sont certes pas les routes de montagne des Alples ou des Pyrénées, ni les « Serpent » ou « Dragon» des Appalaches, mais elles peuvent faire illusion l'espace de quelques kilomètres. Elles nous offrent, à tout le moins, un point de comparaison pour départager les motos que nous devons tester.
Dans cet environnement pour lequel elle a été expressément dessinée, la Street Triple R se distingue d'emblée par la souplesse de son moteur et l'équilibre de son châssis.
Le Triple est un moteur à sensations, à la fois efficace et extrêmement plaisant à exploiter. Il reprend dès 1 500 tr/min et procure des accélérations fulgurantes, se montrant particulièrement puissant de 4 000 à 10 000 tr/min. Onctueux, il est admirablement alimenté par une injection bien calibrée. On ne note aucun trou à l'accélération, aucune hésitation, aucun à-coup. Il fait même montre d'une allonge surprenante. Le trois cylindres en ligne pousse très fort jusqu'à 12 000 tr/min, régime auquel il semble offrir sa puissance maxi (celle-ci est délivrée à 11 700 tr/min pour être exact), pour plafonner ensuite jusqu'à la zone rouge qui débute à 13 750 tr/min. À ces régimes, la sonorité émise par le double échappement logé sous la selle est tout simplement envoutante. Une vraie symphonie mécanique en quatre-temps.
Grâce à son couple omniprésent, le moulin anglais pardonne les approximations de pilotage. Ainsi, on peut arriver dans un virage sur un rapport trop élevé et néanmoins ressortir fort, sans à-coups. Contrairement à une pratique courante sur certains quatre cylindres sportifs, il n'est pas nécessaire de jouer constamment du sélecteur pour tirer pleinement profit de cette mécanique envoutante. Il suffit de doser l'accélérateur au gré des sinuosités de la route. En sortie de courbe, la Triumph affiche une motricité étonnante, preuve irréfutable de l'efficacité de son châssis neutre et affûté, ainsi que de la bonne adhérence de ses pneus Dunlop Qualifier d'origine. Elle permet ainsi d'ouvrir les gaz tôt, alors que la moto se redresse pour repartir en sentant la roue avant se délester.
Dans les virages serrés, la Street se place sur l'angle du regard. Il suffit de poser les yeux là où l'on veut aller, de pousser légèrement sur le repose-pied intérieur et sur le guidon pour qu'elle se couche. Facilement. Sans effort. Dans les enfilades, ou les pifs pafs, elle se balance avec aisance. Un déhanchement suffit à la placer et à changer de trajectoire. Une vraie sportive. En plus, la Triumph ne craint pas d'être bousculée. Elle se montre particulièrement performante quand on la cravache. Il faut seulement faire attention à la qualité du revêtement avant de jouer les Chaz Davies. En effet, le train avant est particulièrement vif et la fourche un poil sèche. Il est préférable d'éviter d'accélérer trop fort en sortie de courbe sur route défoncée, au risque de ressentir un bon guidonnage. Dans le même ordre d'idée, il est déconseillé de s'accrocher trop fort au guidon, à l'attaque, car on risque d'induire des mouvements involontaires et parfois incontrôlables de la direction.
|
Agile et vive, la Street Triple R se place sur l'angle du regard. |
En ligne droite et dans les grandes courbes rapides, la « R » se montre très stable. Elle semble rivée au bitume et découpe les trajectoires avec précision. Une fois encore, la neutralité de son châssis permet au pilote d'explorer les limites de la machine tout en ayant une bonne marge de manœuvre.
Sur circuit, l'Autodrome Saint-Eustache dans le cas présent, cette rigueur du châssis sert la Triumph qui se montre d'entrée de jeu à l'aise et performante. Avec un minimum de modifications, elle peut faire jeu égal avec certaines sportives radicales. Il suffit en fait de bien régler la fourche et le mono-amortisseur Kayaba ajustables dans tous les sens pour exploiter la machine au maximum. Pas mal, en l'occurrence. Car il ne s'agit, après tout, que d'un roadster.
Redoutable d'efficacité sur piste, la Street Triple R est super stable au freinage et on peut prolonger la pression sur les disques jusqu'au point de corde, sans qu'elle cherche à se relever ou, pire encore, à tomber à l'intérieur du virage. Cette facilité de prise en main et de comportement la rend très agréable à piloter à la limite sur circuit. Une véritable machine pour prendre part à des journées de roulage sans prise de tête. Ni investissement indu.
Le charme opère
La Triumph Street Triple R est une vraie sportive et un des meilleurs roadsters du moment. Chaque sortie à son guidon se transforme en partie de plaisir. Lequel croît avec l'usage. En plus de 30 ans de conduite, j'ai rarement éprouvé de telles sensations au guidon d'une seule et même moto. Des dizaines de machines sont plus puissantes que la Triumph, plus coupleuses, plus efficaces sur circuit, plus confortables sur route. Cependant, celles qui se pilotent avec autant de facilité et à un niveau de performance général aussi élevé, quel que soit l'environnement, se comptent sur les doigts des deux mains. Car, avec la petite Anglaise, on s'amuse sur toutes les routes, à toutes les vitesses. Pas besoin de chasser le chrono ou de tenter de faire tomber le mur du son pour se régaler à son guidon. Elle se montre même joueuse et plaisante à des vitesses légales, sur route secondaire.
En même temps, peu de machines ont, comme elles, fait unanimité au sein de l'équipe de motoplus.ca. Les quatre pilotes qui l'ont essayée l'ont adorée. Un d'entre nous, suffisamment pour s'en acheter une dans les semaines qui ont suivi ce test. Et un autre vient de mettre sa moto à vendre pour pouvoir goûter les charmes de la Triumph au quotidien. Vous avouerez que ce n'est pas banal pour des gens qui n'ont pas vraiment besoin de posséder une moto… |