Lancée en 2007, cette moto attira rapidement les regards en raison d’un look peu orthodoxe. Cette nouvelle version ne fait pas exception; rarement s’est-on autant retourné sur notre passage cette saison-ci. Ce que la forme annonçait, son moteur, un twin vertical de 649 cc emprunté à la Ninja 650R sortie des chaînes d’assemblage à peine un an plus tôt, le confirmait. Aussi, est-il assez ardu de catégoriser la Versys correctement sans y avoir réfléchi au préalable un bon moment. Le débattement des suspensions fait penser à une aventurière, le bas de la moto rappelle une sportive et le haut évoque une standard vitaminée. On s’y perd. Le constructeur a configuré sa création sur trois axes principaux : une position de conduite droite axée autour d’une moto mince; une combinaison de suspensions à grand débattement et des roues sportives de 17 pouces et un bicylindre parallèle plaisant à utiliser. La Versys a la lourde tâche de concilier toutes ces caractéristiques en se montrant néanmoins polyvalente et plaisante à piloter. Avouez que ce n'est pas facile.
Pour 2010, Kawasaki a retravaillé son hybride, appelons-la comme ça, en y intégrant une foule d’améliorations. La première concerne la nouvelle ligne plus moderne et anguleuse. Puis on a ajouté un pare-brise ajustable et réservé un meilleur sort au passager avec, entre autres, des poignées de maintien antidérapantes et des repose-pieds recouverts de caoutchouc pour réduire les vibrations. Enfin, Kawasaki s’est affairé à réduire ces vibrations qui parviennent aussi jusqu’au pilote. Nous y reviendrons.
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La position de conduite de la Versys est détendue, dos droit, bras et jambes à peine pliées. |
Le début de cet essai s’est effectué à Toronto, par une journée de juillet où le mercure indiquait 39 degrés à l’ombre. Lorsque nous sommes arrivés dans le stationnement de la compagnie Kawasaki, notre nouvelle monture nous attendait sous un soleil de plomb. Dans sa livrée noire discrète — l’Europe a droit à une version orangée beaucoup plus dynamique —, la Versys qui était en compagnie d’une Z1000 n’attirait pas immédiatement le regard, surtout vue de l’arrière. Par contre, en nous plaçant de manière à voir l’avant de la moto, il en était tout autrement. Dans le genre, le coup de crayon est franchement réussi et les nombreuses pièces taillées à la serpe créent un bel effet. Le pot d’échappement « à la Buell », du côté droit, a été redessiné pour lui enlever ce look de thermos à café qui était jusqu’alors le sien. La partie arrière, hormis les feux à diodes, n’est pas à la hauteur du design de l’ensemble. Le constructeur dit avoir voulu amincir la silhouette arrière, mais selon nous, la cure d’amaigrissement a été trop sévère. Le treillis faisant saillie sous la portion arrière a quelque chose de chétif qui vient déstabiliser le coup d’oeil. Globalement, l'allure a bien été travaillée et presque toutes les composantes sont bien liées les unes aux autres d’un point de vue de design. Il s’agit d’une monture qui fait amplement tourner les têtes. Est-ce pour la bonne raison? Nous l’espérons.
Un moteur peu orthodoxe
J’ai d’abord conduit la Z1000 pour me rendre à Shannonville où je devais suivre un cours de pilotage, puis j’ai choisi de poursuivre la route vers Montréal, diplôme en main, sur la Versys. Les premiers tours de roue ont été faits sur les routes de campagne de Belleville toujours sous l’emprise de la canicule. Très tôt le matin, les deux yeux cherchant encore à voir après une nuit trop courte, j’ai actionné le démarreur de ma nouvelle compagne. Démarrage à froid — si on peut parler de froid — sans aucune hésitation. L'injection est parfaite, sans faille et sans à-coup. Par la suite, l’oreille tente de comprendre les sons qui viennent à elle. La Versys propose une configuration moteur peu courante : un bicylindre parallèle DACT à quatre soupapes par cylindre, de 649 cc, développant 64 chevaux à 8 000 tr/min. Le rapport volumétrique est de 10,6:1 alors que l’alésage et la course de 83 x 60 mm sont identiques à ceux de la Ninja 650R. La sonorité n’est pas méchante du tout, mais elle ne plaira pas à tous. On connaît grosso modo la mélodie qu’offre un V-Twin ou le rugissement d’un quatre en ligne, un tricylindre à la limite, mais un twin parallèle, ça fait quoi? Ça bourdonne de manière un peu nasillarde sans grande profondeur. Le moulin possède évidemment plus de caractère qu’un quatre en ligne, mais on aimerait qu'il soit équivalent à celui du fabuleux moteur de la famille des F800 de BMW qui à 800 cc offre un caractère beaucoup plus présent, voire attachant.
Il est temps de s’installer sur la moto. À 840 mm du sol, la selle n'est pas faite pour les nains, mais comme la moto est étroite, il est relativement aisé de poser un pied au sol, à l’arrêt. On enfourche la bête, on tord les gaz, et on part. Première constatation; une Versys, ça ne se conduit pas comme une Z1000! Le moteur semble manquer de puissance justement là où le constructeur annonce avoir travaillé pour le rendre plus souple. Le couple maximum de 45 lb/pi est d’ailleurs disponible exactement au même régime que sur la sportive Ninja 650R, soit à 7 000 tr/min. Sur une monture plafonnant à 10 500 tr/min on ne peut plus parler de bas régimes. En deçà de 3 000 tr/min, il ne se passe rien. Le moteur fait beaucoup de bruit qui ne se concrétise pas réellement en performance sur la route, surtout si on le brusque à la manière d’une sportive.
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Entre aventurière et sportive dotée de suspensions à grand débattement, la Versys
cherche sa véritable identité. |
L'épreuve des bosses
À la recherche de mon lieu d’apprentissage — la piste de Shannonville —, j’ai pu m'apercevoir qu’il n’y a pas qu’au Québec que les routes sont défoncées. Une excellente manière de me rendre compte que les suspensions de la Versys sont calibrées très fermement pour une monture qui vise les plaisirs en tout genre. Une bonne bosse envoie un sérieux coup au popotin. Ce qui annule tout intérêt à avoir une si grande fourche et qui, pour paraphraser un collègue, ne fait de cette moto qu’une moto haute sur patte. À l'avant, on retrouve une fourche inversée de 41 mm ajustable en compression, en détente et en précharge. À l'arrière, un bras oscillant de type banane, tout en aluminium, a été choisi. Ce combiné dépourvu de biellette offre plus de sensations, les informations étant mieux transmises jusqu’au pilote qui se sent plus en confiance. L’arrière comporte 13 ajustements en détente et sept en précontrainte. Cependant, dans leur réglage d’origine, ces suspensions sont trop fermes et nous ont quelque peu déçus.
Drôle de voyageuse
Après deux jours de piste — avec une autre moto —, il fut temps de tester les aptitudes routières de la petite Kawa. Deux discrets crochets ont été ajoutés sous la queue arrière permettant l’utilisation d’un filet-araignée ou d'un autre dispositif de brêlage. Brillant. Malheureusement pour moi, j’étais plutôt équipé d’un sac de réservoir magnétique. Le réservoir de 19 litres étant étroit — ce qui permet une bonne prise avec les genoux — et bombé, il est difficile d’y faire tenir convenablement un de ces sacs. Et comme le carénage l’habille partiellement, l’entreprise devient carrément ardue. C’est néanmoins possible. Après n’avoir eu que la selle d’une GSX-R600 et une table à pique-nique pour m’accueillir, j’étais heureux de retrouver la selle moelleuse de l’hybride. Bien qu’on ne puisse pas parler d’une selle exceptionnelle, elle n’en demeure pas moins confortable. À titre comparatif sachez que j’ai la réputation d’avoir le fessier le plus délicat — et par une bonne marge — de l’équipe de motoplus.ca et la selle de la Versys est comparable en matière de confort à celle de la Honda CBF1000 2008. Un beau compliment. La position de conduite est dégagée alors qu’on se tient les bras légèrement écartés, le dos droit à peine penché vers l’avant. Une position, quoi que détendue, a quelque chose d’un peu étrange, de difficilement discernable. C’est en grande partie imputable au bas du corps; les jambes sont pliées d’une manière qui tend à être sportive alors que le haut du corps du pilote est positionné d’une manière qui fait penser à une aventurière. On s’y habitue, mais ça demeure peu orthodoxe. De plus, l’angle du guidon serait à revoir. À vitesse d’autoroute, sur un long trajet, on ressent une douleur à l’extérieur des avant-bras. Augmentez la cadence, basculez le haut du corps vers le pare-brise, pliez davantage vos bras (ce qui correspond à une vitesse d’environ 140 km/h) et la position de conduite redevient tout ce qu’il y a de plus neutre.
J’ai eu amplement le temps d’évaluer la qualité de l’habitacle. Tout est correct et à sa place, mais la finition mate du réservoir fait un peu bas de gamme, de même que le manque d’informations affichées sur l’écran analogique à droite du compte-tour à fond blanc. Vous devrez choisir entre l’heure, le totalisateur de kilomètres ou un des deux compteurs journaliers. C’est tout. Point! En 2010, c’est inexcusable. La jauge à essence numérique reste visible en tout temps. La Versys a une consommation moyenne de 4,6 litres aux 100 kilomètres sur l’autoroute. Ce qui lui permet une excellente autonomie de plus de 410 kilomètres avant la panne sèche. Remarquable! Ça vous donne la possibilité de rouler longtemps et de vous demander si le vent qui vous arrive au menton avec une petite turbulence vous cause vraiment de l’inconfort ou si c'est plutôt l'ennui causé par l'autoroute qui vous gagne? L’écoulement de l’air, même s’il n’est pas parfait, est dans la bonne moyenne lorsque le pare-brise est en position basse. Kawasaki est fière d’annoncer qu’il est maintenant ajustable en trois positions. Mais pour ce faire, vous devrez démonter 4 vis avec une clé hexagonale. Ce qui risque, comme nous, de vous couper l’envier d’essayer, surtout que le vent est assez bien dirigé par défaut. Heureux du travail relatif des ingénieurs en soufflerie mon esprit s’est plutôt penché sur les vibrations du twin parallèle.
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La protection offerte par le carénage de la Versys, dont la bulle s'ajuste, est adéquate. |
Parcours à épreuves multiples : la ville
De retour à Montréal, je suis allé faire un tour à nos bureaux. Une occasion rêvée d’évaluer les prestations citadines de notre compagne temporaire. C’est lors de cette première escapade urbaine que j’ai pu confirmer la fermeté des suspensions. Serait bien mal venu celui qui, dans un excès de confiance causé par les suspensions à grand débattement, se jetterait dans le premier nid-de-poule s’offrant à lui. On ne parle pas d’une fermeté de supersportive, mais plutôt d’une raideur qui, sans tomber dans l’abus, ne sied pas bien à une moto du genre. Lorsqu’il est temps d’évaluer nos montures, un passage au bureau est toujours un impératif parce qu’il me permet, en tant que banlieusard de deuxième couronne, d'attester le comportement de nos montures dans la circulation dense (freinages/démarrages fréquents), donc du travail des suspensions, mais aussi des freins.
Le freinage est confié, à l’avant, à deux disques semi-flottants de 300 mm de type à pétales, coincés par des étriers à double piston et d'un disque unique, toujours à pétales, de 220 mm à l’arrière avec un étrier à simple piston. La capacité de la Versys à ralentir, puis s’arrêter m’a paru adéquate. Le système effectue son travail sans chercher à impressionner. La sensation au levier m’a d’ailleurs laissé sur ma faim. Quant à la boîte de vitesse à six rapports, elle se compare au système de freinage : ordinaire dans son sens le plus neutre. Quelques « clonk » un peu primitifs, surtout lors de l'engagement du premier rapport, lequel m’est apparu récalcitrant à s’engager positivement du premier coup. Le problème, si cela en est un, ne se produit pas lors du passage de la deuxième à la première, mais bien uniquement si la boîte était auparavant au point mort.
Je n’étais toujours pas convaincu de réellement apprécier la motorisation de la Versys lors de cette intrusion en ville. Puis, je me suis dit que je devrais peut-être arrêter de me battre avec la moto et plutôt suivre son rythme. Si on ne brusque pas la Kawa et qu’on tient les régimes entre 3 000 et 5 000 tr/min, en accélérant de manière détendue, le moteur semble beaucoup plus agréable. Il ronronne et déplace la Versys sans effort apparent d’un feu de circulation à l'autre. La compagnie annonce avoir retravaillé le moteur de la Ninja 650R lors de la transplantation pour produire davantage de couple à bas régime. La souplesse demeure malgré tout ordinaire et la Versys rechigne à reprendre en bas de 3 000 tr/min, cognant même violemment en bas de 2 500 tr/min. À partir de 4 000 tr/min, le moteur se réveille et les reprises sont bonnes pour un bicylindre vertical À titre indicatif, en sixième vitesse à 85 km/h, le moteur tourne à 4 000 tr/min et bien qu’un brusque tour d’accélérateur n’enverra pas l’avant pointer le ciel, la Versys accélérera avec vigueur.
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Avec son look d'extraterrestre, la Versys attire l'attention. |
La vraie nature de la Versys
L’équipe a décidé d’amener la Versys dans les petites routes sinueuses de Lanaudière. Nous avons été charmés par le côté joueur qu’elle nous a alors présenté. Grâce à son large guidon relevé, la direction est légère à souhait. Une simple poussée, voire une pensée, suffit pour la mettre sur l'angle. Les roues de 17 pouces contribuent également à la rapidité de la direction. Elles sont chaussées de gomme Dunlop Sportmax D221 de 120 mm à l’avant et de 160 mm à l’arrière. Alors que les mi-régimes sont tout à fait indiqués pour la ville, le dernier tiers de la plage fut sollicité lors de cette escapade où nous volions sans force d’une courbe à une autre. Si on ne parle pas de la nervosité d’une puissante moto de classe ouverte, les 64 poulains de notre Kawa permettent de s’amuser, d'autant qu’elle supporte très bien les hauts régimes, non pas sans quelques vibrations cependant. Ces derniers accompagnent chaque instant à bord de la Versys. À ce chapitre, le pire régime doit se situer autour de 5 000 tr/min où elles sont assez intenses pour chatouiller les mains. Ce qu’il y a d’embêtant c’est que ça correspond environ à 100 km/h en sixième. On contourne alors le problème en roulant plus vite, mais on devient du même coup hors la loi!
Dans l’absolu, la Versys est une moto d'entrée de gamme destinée aux nouveaux détenteurs d'un permis moto ou aux motocyclistes à la recherche d'une moto simple et polyvalente. Pas franchement mauvaise, mais pas franchement excitante non plus, elle sait se faire oublier au quotidien. Mais en ajoutant le prix dans l’équation, soit moins de 9 000 $, la Versys devient beaucoup plus intéressante et on lui pardonne ses petits défauts comme sa puissance modeste ainsi que ses suspensions fermes. On s’applique alors à exploiter son côté bon à tout faire, avec un gros penchant pour les courbes. La Versys ne se compare à rien d'équivalent sur notre marché. Sa plus proche compétitrice est la Suzuki DL650, mais cette dernière est motorisée par un V-Twin d’ailleurs beaucoup plus caractériel. Certains n’hésiteront pas et enfourcheront la DL, plus complète, même si cette dernière coûte 700 $ de plus. Néanmoins, pour plus d’un membre de notre équipe, la Versys serait le choix privilégié. Tout un compliment quand on connaît le succès obtenu par la DL. Finalement, est-ce qu’on parle du beurre ou de l’argent du beurre? Pour sûr, l’argent du beurre… avec une bonne portion de beurre en prime! |