Depuis la sortie de la SMT en Europe, la saison dernière, je n'ai eu de cesse de l'essayer. Ainsi, quand la saison a débuté, j'ai contacté KTM Canada pour disposer d'une machine de test pendant deux semaines. Malheureusement, la moto qui a été mise à ma disposition initialement avait un problème d'injection (une saleté dans les injecteurs selon toute vraisemblance) et, en fin de compte, j'ai dû reprendre le test à deux reprises pour compléter mon évaluation. De retard en retard et à force de remettre l'écriture du rapport d'essai au lendemain, j'ai fini par l'oublier sur le coin de ma table de travail. L'été est très court et les projets déboulent à toute vitesse au bureau. Faute d'aide suffisante, je me retrouve à tout faire seul ou presque et il suffit que je procrastine pendant une ou deux semaines, ou bien que je parte sur un lancement ou en voyage pour que les dossiers s'empilent, au point où la situation devient rapidement inextricable.
Puis, cette semaine, j'ai eu l'occasion de faire un petit tour avec la SMT d'un ami qui, trop fier d'avoir acheté la moto de nos rêves, a voulu que je valide son achat par un signe d'approbation bien senti. Et là, les sensations que j'avais ressenties au printemps me sont revenues en force, et avec elles l'envie de les partager avec vous. Car la 990 SMT est, avec la Triumph Street Triple R que j'ai testée récemment — je vous en reparle bientôt, c'est promis — l'un de mes coups de cœur de la saison.
Dérivée de l'explosive Supermoto 990 que nous n'avons pas eu la chance d'avoir de ce côté-ci de l'Atlantique, la SMT est l'archétype de la moto à tout faire performante. Citadine effrontée, sportive affûtée, voyageuse intrépide, elle interprète sa partition à merveille, mêlant les genres avec bonheur. En fait, dans son registre, elle supplante même sa grande sœur la 990 Adventure, ne s'inclinant face à cette dernière qu'en sentier. Ce qui n'est pas un mince compliment quand on considère l'étendue des talents de l'Adventure.
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Haute sur pattes et dotée d'un gabarit imposant, la SMT ne s'adresse pas à tous. |
La polyvalence en exergue
Depuis quelques années, de nombreux constructeurs ont tenté de créer la moto à tout faire, sorte de compromis idéal entre les différents genres de machines existants. Cependant, l'exercice se révèle périlleux et les échecs en la matière sont plus nombreux que les réussites, et souvent cuisants en l'occurrence. Si on fait omission de la BMW R1200GS et, dernièrement, de la Ducati Multistrada 1200, peu de motos « multi-usages » ont connu un réel succès. Et là, je ne parle pas de succès d'estime, mais de succès de vente. La KTM devrait faire partie de cette famille sélecte. C'est une moto-orchestre, une version sur deux-roues du couteau suisse. Avec elle, on peut se défouler sur les petites routes sinueuses à la recherche d'adrénaline, en solo ou avec des copains, selon l'humeur du moment, aller bosser en trimbaler nos outils de travail dans ses sacoches, se balader le week-end venu avec l'élue de notre cœur sans craindre les courbatures après quelques heures de route, voire partir quelques semaines en vacances, en duo, avec juste ce qu'il faut de bagages pour ne pas avoir à rentrer trop tôt. Ni Duke 690, ni GL1800, la SMT conserve l'esprit sportif des dernières créations de la marque de Mattighofen tout en proposant un confort adéquat et une adaptabilité étonnante à son environnement.
Facile à prendre en main
Contrairement à l'Adventure, la SMT s'adresse à un éventail plus large d'utilisateurs potentiels. En premier lieu, sa selle qui culmine à 855 mm du sol est haute, certes, mais nettement plus abordable pour les pilotes mesurant moins d'un mètre soixante-quinze (5'10). Les petits gabarits peuvent ainsi mettre pied à terre plus aisément et mieux contrôler leur monture lors des déplacements à basse vitesse ou des manœuvres serrées. Une fois en selle, le plus dur est alors de relever la béquille qui est dépourvue d'ergot et est difficile d'accès.
La position de conduite est détendue. Le guidon tubulaire est large et relevé. Il offre une bonne préhension et un bon effet de levier. Sur la KTM on est assis dos droit, bras légèrement tendus et jambes pas trop repliées. Malgré sa contenance (19 litres), le réservoir à essence est fin à sa base et il n'oblige pas le pilote à conduire les jambes écartées. La selle est relativement moelleuse et se montre confortable, d'autant que son dessin est bien étudié. Bien calé, on est protégé par le petit carénage de tête de fourche qui fait bien son boulot dans les circonstances, en déviant l'air autour du pilote sans générer trop de turbulences. De plus, en raison de sa hauteur raisonnable, la bulle n'obstrue pas le champ de vision du pilote.
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Performante et efficace, la SMT est moins radicale que son look le suggère. |
Grâce à son guidon large et à la géométrie de son châssis, la SMT braque facilement, un peu à la façon d'une machine de tout-terrain. De plus, la garde au sol abondante permet de grimper les trottoirs ou d'emprunter des chemins cahoteux sans crainte. Cette facilité de manœuvre, conjuguée à une grande agilité, la rend à l'aise en ville, dans la circulation dense. Dans cet environnement hostile, la KTM se laisse apprivoiser rapidement. Il suffit de doser les freinages afin d'éviter les blocages intempestifs de la roue avant et de contrôler la tendance de la fourche à plonger lors des transferts de masse. Le seul problème, en ville, ou à vitesse modérée, vient du manque de souplesse du moteur. En bas de 3 000 tr/min, il broute furieusement à la remise des gaz, au point d'être désagréable et de nuire au comportement de la machine qui se met alors à danser sur ses suspensions. L'injection est brutale et il est très difficile de rouler sur un filet de gaz sans que la machine ne donne d’à-coups. Une fois que le moteur atteint les mi-régimes, la situation se corrige et la SMT devient nettement plus conviviale. Les réactions sont instantanées et il suffit de tourner la poignée des gaz dans le bon sens pour être gratifié par une accélération franche.
Moteur et châssis à la hauteur des ambitions sportives de la SMT
Même si le « T » ajouté à son patronyme suggère des aptitudes au tourisme, la 990 ne trahit pas son héritage génétique. Elle présente un rapport poids/puissance très intéressant (196 kilos pour 115 chevaux et 71,5 lb-pi de couple). Moins radicale que la SM 990 de base, ou que la SM 990 R, elle fait cependant preuve d'un caractère sportif affirmé. Rugueux à bas régime, le bicylindre LC8 fait preuve d'un couple important à partir de 3 500 tr/min. Sa bande de puissance, qui commence justement à ce régime, s'étend jusqu'à 9 500 tr/min. Quand le moteur tourne à l'intérieur cette plage de révolutions, il suffit de tourner la poignée pour voir la moto bondir en avant, tel un Bronco. La réponse est immédiate et on a l'impression que toutes les impulsions sont transmises directement au pneu arrière, un Continental Sport Attack efficace sur route en l'occurrence. Le V2 à 75 degrés fait preuve d'une belle allonge et tire très fort jusqu'à la zone rouge située à 9 750 tr/min. Il est secondé par une boîte de vitesse à six rapports onctueuse et précise qui accepte volontiers de monter les rapports à la volée, sans à-coups, ni faux points morts. Un vrai charme.
Si son moteur gorgé de couple et de puissance se montre vif, la partie cycle n'est pas en reste. Le cadre treillis est rigide et précis. Dotée d'une géométrie de direction sportive (chasse de 24,4 ° et déport de 109 mm), la SMT est maniable et agile. Un vrai vélo sur les petites routes secondaires. Cependant, son empattement relativement long (1 505 mm) lui procure une bonne tenue de route et une stabilité exemplaire dans les grands virages rapides. Facile à balancer dans les enchaînements, hyper réactive dans les virages serrés, elle se montre extrêmement joueuse sur les routes sinueuses. Elle autorise un pilotage à l'instinct, pardonnant même un certain niveau d'improvisation. Avec elle, on peut corriger les trajectoires à la dernière minute, pour éviter un obstacle ou profiter d'une trajectoire moins bosselée, rentrer fort sur les freins en courbe, poursuivre son freinage jusqu'au point de corde sans que l'avant cherche à se redresser trop vite et ressortir de courbe en ouvrant en grand. Le système de freinage radial d'origine Brembo est exemplaire d'efficacité : mordant et modulable à souhait!
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La 990 SMT est l'outil idéal pour découvrir du pays à un rythme soutenu. |
Avec un débattement généreux de 160 mm à l'avant et de 180 mm à l'arrière, les suspensions ont tendance à se comprimer plus que de coutume lors des freinages appuyés en raison d'un transfert de masse important. Il est donc nécessaire d'anticiper et d'adopter une conduite plus coulée, même à l'attaque. Sinon, la fourche inversée de grand diamètre (48 mm) et le mono-amortisseur WP entièrement réglables, font un travail étonnant et contribuent à l'homogénéité de la KTM. Elles gomment les imperfections de la chaussée aussi bien que celles de l'Adventure, par exemple. La garde au sol généreuse et les pneus sportifs de Conti, à gomme molle, permettent de rouler à un rythme très sportif et de flirter avec des angles d'inclinaison importants.
Quid du tourisme en solo ou en duo?
La selle qui est confortable pour le pilote est également accueillante pour le passager. Elle est ferme, mais procure un confort raisonnable. La place réservée à ce dernier est néanmoins réduite, surtout quand on installe un sac sur le porte-paquet arrière. Les poignées de maintien latérales sont larges et bien placées, mais elles présentent des arêtes saillantes qui peuvent gêner à la longue. De plus, elles ne sont pas trop affectées par les vibrations. Les repose-pieds arrière ne sont pas placés trop haut, ce qui permet au passager de s'étirer un peu les jambes. Bien qu'elle ne rivalise pas avec une Honda Varadero en terme de confort routier, la SMT permet pourtant de voyager à deux, sur de longues distances, dans un confort relatif.
Le système de sacoches latérales rigides, en nylon Cordura, est vraiment bien conçu. Les sacoches s'installent et s'enlèvent en un tour de main, sans outils et sans support inesthétique. Cependant, leur forme limite leur capacité de chargement. Ce qui vous force à voyager léger. Comme elles ne sont pas étanches, elles sont livrées de série avec une housse imperméable, laquelle occupe un peu d'espace à l'intérieur. Un petit cadenas permet de les fermer de façon sécuritaire.
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Sur chaussée dégradée, la KTM se tire bien d'affaire en raison de ses suspensions généreuses. |
Avec la SMT, on peut aisément entreprendre des trajets de 600 kilomètres par jour, sans aucune crainte. Et pour peu que l'itinéraire choisi passe par des routes viroleuses, le plaisir de conduire sera au rendez-vous. Vous pourrez même laisser parler le pilote en vous si le cœur vous en dit.
Sur routes rapides ou sur autoroutes, vous pouvez conserver une vitesse de croisière élevée sans que le confort en pâtisse. La protection offerte par le carénage est très efficace à vitesse modérée (120 km/h) et tout à fait adéquate jusqu'à 150 km/h. La bulle bien que basse ne génère pas de turbulences excessives, ni de bruits parasites importants.
Une moto aux multiples personnalités
Si les Supermoto de KTM ont eu de la difficulté à trouver une clientèle au Canada, car trop radicales et trop limitées dans leur champ d'action, la nouvelle SMT propose une polyvalence étonnante qui n'est pas incompatible avec le plaisir de conduite, dont elle a hérité de ses sœurs « SM ». Elle ouvre un nouveau terrain de jeu aux pilotes sportifs qui doivent cependant conjuguer leur passion au conditionnel et à la première personne du pluriel. Elle offre un confort raisonnable qui lui permet de se muter en routière au long cours, au besoin, sans perdre pour autant ses atouts en conduite sportive. Si on fait abstraction de ses petits défauts — injection brutale, manque de souplesse, bouchon de réservoir à essence sans charnière, consommation d'essence élevée (de 6,8 à 8,5 L/100 km selon la conduite et l'environnement), absence de rangement sous la selle —, le bilan est très positif. La KTM réussit parfaitement à combiner les qualités requises par chacune des personnalités qu'elle doit adopter, sans que les défauts inhérents à celles-ci prennent le dessus. Elle est l'illustration parfaite de la polyvalence à son meilleur. La preuve qu'il est possible de satisfaire les deux hémisphères de votre cerveau à la fois. Une réussite à tout point de vue. |