Dans le paddock de Mosport, huit VFR1200F sont alignées comme à la parade. Parmi elles, six modèles à boîte automatisée DCT et deux à boîte conventionnelle. Les premières se reconnaissent immédiatement à l'absence de levier d'embrayage et de sélecteur de vitesses. Les moteurs tournent au ralenti. Le soleil est caché derrière les nuages omniprésents et ne parvient pas à réchauffer l'atmosphère presque hivernale qui règne sur le circuit en ce début de mai. Le thermomètre grimpe péniblement à 6 degrés. Pour une fois, je suis heureux de ne pas avoir mis ma combinaison de cuir ventilée. Je me dis aussi qu'il va falloir travailler fort pour faire monter les Pirelli Diablo Supercorsa qui équipent nos machines en température. Et soigner les trajectoires pour éviter les plaques de ciment qui agrémentent chaque virage du fameux circuit ontarien et qui doivent être extrêmement glissantes par cette température.
Pas une boîte automatique
Avant de nous élancer en piste sur la nouvelle Honda et d'essayer cette boîte qui refuse qu'on la qualifie d'automatique (avec raison), nous avons droit à une présentation technique détaillée de cette transmission à double embrayage. Il s'agit en fait d'une technologie utilisée dans l'automobile, sur certaines voitures sportives de luxe (Audi, Porsche, Volkswagen…) qui fait appel à une transmission conventionnelle (dans le cas de la VFR, il s'agit, à quelques détails près, de celle de la VFR1200 F de base) complétée par deux embrayages montés sur un même axe et un système de passage automatisé des rapports. Ici, le sélecteur fait place à un moteur électrique, le câble est remplacé des électrovannes et une pompe hydraulique alimente l'ensemble, lequel est commandé par un microprocesseur puissant. Afin de garantir un passage doux et très rapide des vitesses, le premier embrayage gère les rapports impairs, tandis que le deuxième est dédié aux rapports pairs, vous l'aurez deviné. Quand un des embrayages enclenche le rapport sélectionné (manuellement ou automatiquement), le deuxième prépare le rapport suivant. Et ainsi de suite. Simple dans la théorie, mais qu'en est-il dans la pratique?
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Sur le circuit de Mosport, il a été difficile d'exploiter la VFR en cette journée froide de mai. Pourtant, la transmission à deux embrayages s'est avérée à la hauteur de la tâche. |
Manuel ou auto? Ça dépend des conditions!
Avant de sauter sur la VFR DCT, j'ai effectué une dizaine de tours au guidon de la VFR de base que j'ai déjà pilotée à deux occasions. Question de renouer connaissance avec la bête. Notre dernière rencontre a eu lieu sur le circuit de Roebling Road, près de Savannah, en Géorgie. Dans cet environnement inhabituel pour une grosse GT sportive, la VFR m'avait surpris et immédiatement mis en confiance. Spécialement, lors des séances de l'après-midi, quand les pneus d'origine, des Dunlop Sportmax Roadsmart très glissants en conduite agressive, furent remplacés par des Pirelli Diablo Supercorsa à vocation plus pistarde.
Sur l'asphalte très froid de Mosport, je ne me sens pas vraiment à mon aise et j'hésite à ouvrir les gaz. Principalement à cause des plaques de ciment placées en pleine trajectoire normale, qui ne m'inspirent pas du tout confiance. Les transitions entre les deux revêtements ne se font pas toujours en douceur et la machine est parfois déstabilisée sur leur passage. Sur un tracé aussi rapide et technique, ce n'est pas trop rassurant. Afin de minimiser cet inconvénient, j'ajuste mes trajectoires au cordeau de sorte à éviter ces plaques le plus possible. Le résultat ne se fait pas attendre et je peux enfin rouler l'esprit libre, sans contraintes. Mais toujours avec retenue.
Après cette mise en jambes, je passe aux commandes de la DCT. Cette machine possède deux modes d'opération : automatique (AT) et manuel (MT). Une gâchette placée devant la poignée droite, au niveau de l'index, permet de passer de l'un à l'autre. Dans le premier mode, un commutateur également situé sur le guidon droit, sous le coupe-moteur, permet de naviguer entre les différents modes auto : D (Drive), S (Sport) et N (point mort). Le mode «D» favorise une conduite coulée et une meilleure économie d'essence. Les rapports passent en douceur, presque sans que l'on s'en aperçoive, à un régime qui varie selon l'accélération et la vitesse, mais sans monter trop haut dans les régimes. Le mode «S» est plus vigoureux et étire les rapports plus près de la zone rouge. Quatre amortisseurs de couple sont intégrés à la transmission pour réduire les à-coups et un accélérateur électronique «Ride by Wire» complète le système.
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S pour «Sport», D pour «Drive» et N pour «Neutral»: les modes auto sont parfaits en
utilisation routière. |
Le mode automatique peut être annulé à tout moment, en utilisant les gâchettes pour passer en mode manuel plus rapidement qu'en actionnant le basculeur (auto/manuel). De plus, en manuel, il est impossible de caler, même en l'absence de commande d'embrayage. En cas d'arrêt complet, le DCT repasse automatiquement sur le premier rapport.
Ma première sortie sur la VFR1200 F DCT a été un peu chaotique. À plusieurs reprises, j'ai cherché en vain le levier d'embrayage ou le sélecteur de vitesses. On ne se débarrasse pas de vieilles habitudes aussi facilement. J'avais initialement réglé le mode automatique sur la position «D». Mais, après quelques virages, j'ai basculé sur la position «S» pour obtenir une meilleure accélération, mais surtout une décélération plus franche. Et un surplus de frein moteur qui n'est jamais venu. Car l'automatisme lisse trop les rétrogradages, sûrement pour limiter les blocages intempestifs de la roue arrière. L'autre inconvénient des modes automatiques de la VFR, sur circuit surtout, c'est que le passage des rapports ne s'effectue pas toujours où on le désirerait. À plusieurs occasions, la boîte a rétrogradé en plein virage, à un moment inopportun. Je suis persuadé que le phénomène serait moins marqué sur route, en utilisation normale, mais dans les circonstances présentes, j'ai trouvé ce trait de caractère un peu gênant. Et, pour être tout à fait franc, je me suis ennuyé. Avec l'impression d'être moins concentré sur mon pilotage que d'habitude.
J'ai donc rapidement sélectionné le mode manuel dans lequel on dispose de deux gâchettes sur le commodo gauche, une en haut, devant la poignée, au niveau de l'index, pour monter les rapports. L'autre qui est située à l'avant, en dessous de la commande des clignotants, est actionnée par le pouce et sert à rétrograder. Instantanément, j'ai retrouvé la machine que j'avais pilotée à Roebling Road. Pouce et index en position, je passe les rapports facilement et rapidement. Sans devoir couper les gaz en montant les vitesses. Super efficace! De plus, les rétrogradages sont francs et le frein moteur présent. Ainsi réglée, la DCT devient vraiment performante. La transmission est tellement efficace que je me mets à rêver à une hypersportive Honda équipée d'une version course de cette boîte séquentielle. Donc dépourvue des modes auto… Un rêve qui pourrait rapidement devenir réalité si on en croit les commentaires de Warren Milner, le directeur de la division moto de Honda.
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Retour sur une VFR1200F standard pour fins de comparaison. |
Cette boîte offre en plus quelques avantages annexes non négligeables, surtout en compétition. Elle permet au pilote de se libérer de la contrainte de l'embrayage, mais aussi de ne plus se soucier de la garde au sol en virage, du côté du sélecteur, qui amène les pilotes à adopter une boîte de type GP, dont les rapports sont inversés. On gagne également en fluidité et rapidité d'exécution, ce qui se traduit par un gain de précieuses secondes au chrono. Tout en conservant une parfaite maîtrise du frein moteur. Sur route, en pilotage sportif, le mode manuel s'avère également bénéfique. Et on peut facilement repasser en tout auto si la situation l'exige.
Le surplus de poids que représente le modèle DCT (+10 kg) est négligeable sur route, tant la puissance et le couple de la machine sont importants. À aucun moment, cet embonpoint ne se fera sentir. Honda ne s'est pas trompé en inaugurant cette technologie sur une moto du calibre de la VFR1200 F.
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La gâchette située devant la poignée de gauche sert à monter les rapports en mode manuel.
Une autre, placée sous le commutateur des clignotants, permet de rétrograder. |
DCT or not DCT? That is the question!
Largement répandues dans l'industrie automobile, les transmissions séquentielles automatisées sont même utilisées sur des sportives de luxe (Audi, BMW, Porsche, Mercedes…). Un gage de leur acceptation, voire de leur désirabilité…
Dans l'industrie moto, il n'en va pas de même. Les préjugés ont la peau dure et les motocyclistes sont en général réfractaires aux changements technologiques dès qu'ils perçoivent une perte potentielle de contrôle. Ainsi, les Yamaha FJR1300, Aprilia Mana 850 et autre Honda DN-01 à boîte séquentielle n'ont pas rencontré le succès escompté par leurs créateurs. Il faut dire cependant que leur opération manquait de précision et de rapidité. Les gros scooters quant à eux séduisent plus par leur concept général et leur facilité d'utilisation que par leur transmission automatique à variateur.
Dans le cas de la VFR1200 F DCT, on a affaire à une transmission manuelle automatisée qui fonctionne aussi bien qu'une transmission conventionnelle et peut, en prime, libérer le pilote d'une tâche jugée fastidieuse par certains. Étant donné la vocation routière de la GT sport de Honda, le mode tout automatique peut représenter un certain intérêt. Pourtant, c'est principalement en mode manuel que la DCT m'a le plus impressionné en s'avérant une véritable aide au pilotage. Surtout sur piste.
Même si elle représente une véritable avancée technologique, la Honda VFR1200 F DCT risque de subir le même sort que les autres motos ayant eu recours à l'automatisme. D'autant que le surcoût exigé n'est pas négligeable (la VFR1200 F DCT se détaille 19 999 $). À moins que le vieillissement de la population motocycliste et que l'arrivée d'utilisateurs plus pragmatiques et moins passionnés ne vienne changer la donne. Ce que je souhaite. Car la technologie semble au point. Et j'aimerais bien l'essayer — en version course — sur une hypersportive à moteur V4… Mais là, je digresse! |