Il est ironique que Ducati ait choisi Lanzarote pour le lancement de la nouvelle Multistrada 1200, dont le nom signifie littéralement multiroutes en italien. En effet, Lanzarote, la plus orientale des îles Canaries, est un ilot volcanique de 60 kilomètres de long sur 25 kilomètres de large. Si l’endroit propose des paysages sublimes, il n’offre pas une grande variété de routes à explorer, et encore moins des routes incitant aux voyages au long cours. Ce qui ne signifie pas que Lanzarote est dépourvu d’attraits — motocyclistes — pour autant…
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Les Multistrada 1200 S et S Touring posent devant une fumerolle. |
Présentée en 2003, la Multistrada originelle était propulsée par un bicylindre en L de 992 cc refroidi à l’air. Sa cylindrée grimpa à 1 078 cc en 2006. La dernière Strada, quant à elle, reçoit un tout nouveau twin de 1 198 cc refroidi au liquide appelé Testastretta 11°. Ce nouveau bloc est dérivé du moulin à tête étroite (Testastretta) de la Superbike. Quant à la dénomination 11° elle qualifie le laps de temps durant lequel les soupapes d’admission et d’échappement sont ouvertes simultanément, exprimé en degrés de rotation du vilebrequin. Ce chevauchement se fait désormais sur onze degrés comparativement à 41 sur l’ancien Testastretta. Ce qui, selon Ducati, adoucit le comportement du moteur et améliore la consommation de carburant tout en réduisant les émissions d’hydrocarbure d’environ 65 % et celles de dioxyde de carbone de 15 %.
L’inconvénient de ce choix technique est de réduire la puissance. Cependant, malgré une perte de près de 20 chevaux comparativement à la 1198, la Multistrada 1200 crache encore 150 bourrins, ce qui est un record de la catégorie et la place au niveau de certains Superbikes ou roadsters d’un litre. Elle affiche également un couple supérieur à celui de la 1198 en bas de 6 800 tr/min.
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Sur route sinueuse, la Multistrada 1200 S se régale. Elle est dans son environnement. |
Parmi ses autres caractéristiques haut de gamme, notons le système d’antipatinage DTC (Ducati Traction Control) de Ducati — pour gérer la transmission de la puissance au sol — et l’embrayage à glissement limité, qui réduit le sautillement de la roue arrière lors de violentes décélérations ou au rétrogradage.
Le moteur est alimenté en air frais par un « nez » pas vraiment esthétique qui donne à la Multistrada un air de tapir sur deux roues, mais qui remplit parfaitement sa mission. Ces larges « narines » dirigent également l’air vers le radiateur d’huile.
Afin de limiter les visites chez votre concessionnaire, l’intervalle d’ajustement des soupapes a été porté à 24 000 km sur le nouveau Testastretta 11° (il était de 12 000 km auparavant).
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Légère et maniable, mais aussi efficace et confortable, la Multistrada 1200 S pourrait bien être la Ducati la plus désirable de la gamme. Et la plus polyvalente. |
Le cadre treillis tubulaire en acier est complété par des platines latérales en aluminium forgé sur lesquelles vient se visser le massif monobras oscillant en aluminium. La boucle arrière du cadre, elle aussi en treillis d'acier, se compose de deux alliages différents, son extrémité faisant appel à une structure en polymère moulée d'une seule pièce. Selon Ducati, la rigidité du cadre serait augmentée de 19 % en torsion.
La firme de Borgo Panigale clame que la Multistrada 1200 regroupe quatre motos en une : une sportive, une routière, une citadine et une moto de tout terrain. Et cette polyvalence extrême est obtenue grâce à l’électronique. La 1200 bénéficie en effet de quatre modes de conduite appelés Sport, Touring, Urbain et Enduro. Sélectionner un ou l’autre de ces modes (voir l’encadré « Des modes à la mode ») permet de changer le comportement de la machine afin qu’il s’adapte aux conditions routières. Et après avoir passé une journée au guidon de la Multistrada 1200S Touring, je peux vous assurer que Ducati ne ment pas à ce sujet. Ça marche vraiment!
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La Multistrada 1200S Touring est la plus intéressante des trois modèles proposés. |
Le premier indice de l’omniprésence de l’électronique sur la nouvelle 1200 est l’absence de contact. La clef électronique (qui comprend une languette métallique rétractable pour ouvrir le réservoir à essence ou la selle) reste dans votre poche et active la moto quand vous vous trouvez dans un rayon de deux mètres de celle-ci. On initialise le tableau de bord en abaissant une fois le bouton rouge, on le relève et on appuie sur le démarreur qui se trouve sous le capot. Dans l’éventualité où vous perdriez la clef, vous pourrez néanmoins démarrer la moto grâce à un code secret (NIP) que vous êtes seul à connaître.
Trois versions de la Multistrada sont proposées : le modèle de base, qui se détaille 17 495 $, ainsi que les deux modèles S, la Sport et la Touring, qui valent 20 995 $.
Le modèle de base est idéal pour les traditionalistes qui veulent ajuster leurs suspensions manuellement ou pour les économes.
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Malgré l'omniprésence de l'électronique, Ducati est parvenu à garder le poste de pilotage relativement dégagé. |
La Sport se reconnaît à son nez et une foule de pièces en fibres de carbone, mais j’imagine mal quelqu’un choisir la Sport au détriment de la Touring. Cette dernière fait l’impasse sur les pièces exotiques au profit de valises de 58 litres de capacité, de poignées chauffantes et d’une béquille centrale. Tous les modèles disposent de deux prises de courant accessoires et du DTC. L’ABS est offert de série sur la S et est proposé en option (à 1 000 $) sur le modèle de base.
Ce dernier utilise une fourche inversée Marzocchi à tubes plongeurs de 50 mm de diamètre et un amortisseur Sachs entièrement ajustables. Les S sont équipées de suspensions Öhlins ajustables électroniquement.
La position de conduite est détendue et droite, avec les repose-pieds placés directement dans l’axe de vos hanches, amplement de dégagement pour les jambes et un large guidon tubulaire facile offrant un bon effet de levier. La première fois que je me suis assis sur la Multistrada, mon corps est resté surpris. Instinctivement, je m’attendais à souffrir le martyre — crampes aux bras, douleurs aux poignets et dans le cou ou fessier endolori. En réalité, rien de tout ça ne se produisit tellement la Multistrada est confortable, autant que n’importe qu’elle routière sportive ou GT que j’ai eu l’occasion de conduire. Une révélation!
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Sur les routes secondaires sinueuses, la Ducati est un vrai charme à conduire à la limite. |
La selle en deux sections est plate et large, tandis que la section passager (qui abrite un espace de rangement de trois litres) est complétée par des poignées latérales de maintien qui le garde en place lorsque la moto accélère soudainement. La selle culmine à 850 mm, ce qui est relativement élevé pour la moyenne des pilotes, et un siège plus bas de 25 mm est offert en option.
Le carénage solidaire du cadre possède un pare-brise ajustable à la main sur une distance de 60 mm en hauteur. Il se bloque en position grâce à deux boutons de réglage faciles d’accès à l’aide de la main gauche. Le carénage offre une bonne protection contre les éléments, particulièrement le vent, et dirige le flot d’air au niveau des épaules. Les mains restent abritées derrière les protège-mains qui incluent également des clignotants à diodes électroluminescents. Placés au-dessus du guidon, les rétroviseurs sont tout à fait utilisables, ce qui est une nouveauté sur une Ducati.
Nous avons débuté notre balade en mode Touring, dans lequel les suspensions étaient réglées pour un confort maximal et l’antipatinage sur le cinquième des huit ajustements.
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Bien qu'elle ne soit pas une vraie moto de hors route, la Ducati se défend sur
les chemins de gravier compactés. |
Une fois en mouvement, j’ai connu la deuxième révélation de ce lancement. La suspension de la Multistrada est moelleuse, efficace et totalement surprenante pour une Ducati. Bien que les routes de Lanzarote soient parfaitement pavées, nous avons néanmoins rencontré des sections d’asphalte défoncées typiques du Québec. Dans cet environnement familier, la Strada m’a estomaqué, avalant les trous et les bosses sans sourciller. Au point où je me suis demandé si j’étais bien au guidon d’une moto de Bologne.
Même si la suspension était en mode Touring, la moto négociait les grands virages rapides avec assurance, sans bouger d’un poil. La route sinueuse qui traverse le décor de lave solidifiée du Parc national Timanfaya offrait un beau défi à la Ducati dont le comportement était solide, avec une direction neutre et une stabilité à toute épreuve.
À 217 kg à sec, la Multistrada pèse 12 kg de moins que la BMW R 1200 GS et 11 kg de moins que la Triumph Tiger. Grâce à son poids placé bas et à l’étroitesse de sa section médiane, elle donne l’impression d’être encore plus légère que ça.
Alors que nous nous dirigions vers le nord, par la route panoramique de Lanzarote, dans un décor surréel sculpté par les volcans, je suis passé en mode Sport et j’ai immédiatement senti le surplus de puissance du moteur et de fermeté des suspensions. La machine sortait des virages avec la puissance d’un Superbike. Et suffisamment de couple à mi-régime pour envoyer la roue avant dans les airs d’un coup d’accélérateur. La poussée se fait sentir dès 2 500 tr/min et se poursuit progressivement jusqu’à la zone rouge qui débute à 10 500 tr/min. La livrée de puissance est douce, solide et abondante — très abondante même.
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Pause repas dans un restaurant de poissons et de crustacés de Lanzarote. |
La suspension affermie du mode Sport transforme la Multistrada en une moto sportive au comportement affûté dont l’agilité est similaire à celle d’un roadster. La seule chose qui distingue cette machine d’une sportive dénudée est sa haute taille qui résulte du débattement important des suspensions (170 mm). Cette stature ralentit la moto dans les virages serrés et la fait plonger exagérément lors de freinages appuyés — un compromis réalisé au profit du confort.
Pour mettre les choses au clair, la Multistrada n’est pas une moto de hors route et avec sa roue avant de 17 pouces, elle ne sera pas aussi à l’aise en sentiers que certaines autres motos double-usage. Quiconque rêve d’excursions hors route, dans des sentiers étroits et techniques devrait considérer une autre monture. Même si elle peut se tirer d’affaire sur des chemins de gravier tassés, c’est sur le bitume qu’elle s’exprime pleinement.
Nous avons terminé la journée sur un chemin de terre battue où le mode Enduro s’est révélé parfait. La suspension absorbait parfaitement les bosses et, avec les pneus d’origine Pirelli Scorpion Trail – un pneu bigomme double-usage – la moto affichait la même facilité de conduite et la même précision que sur route. Le DTC était réglé au deuxième degré, afin de ne pas nuire à la conduite, mais si vous voulez faire des travers d’anthologie, vous pouvez le désactiver, tout comme l’ABS. Dans ce mode, la puissance est limitée à 100 ch, cependant, elle est suffisante pour se mettre dans le trouble — et là, je parle par expérience (je vous invite à lire l’encadré « Cascade à Lanzarote »).
Comparer la Multistrada à d’autres motos est une tâche délicate, car Ducati a établi de nouveaux standards en ce qui a trait à la polyvalence. Grâce à l’électronique. Avec sa suspension ajustable dans tous les sens et son moteur hautement configurable, la Multistrada peut s’adapter à toutes les conditions de conduite. Elle fait autant tourner les têtes que la nouvelle VFR, la GS ou bien la Streetfighter. Elle est indéniablement classée comme une moto de luxe, donc ceux qui cherchent une moto dans la gamme de prix d’une Suzuki V-Strom seront déçus. En raison de sa roue avant de 17 pouces, elle se montre plus sportive que ses consœurs aventurières, bien qu’elle ne rechigne pas à aller salir ses pneus dans les sentiers. Qui ne manquent pas ici.
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À plus de 20 000 $ le bout, ça fait cher la balade. Mais le prix serait justifié selon Costa. |
Si je devais choisir entre les trois modèles proposés, j’opterais pour la Multistrada 1200S Touring — il faut vraiment faire l’expérience des différents modes de conduite (qui incluent les ajustements de suspension) pour apprécier la grande flexibilité de cette moto — et j’ôterais ses valises pour me retrouver aux commandes d’une Sport, donc plus agile et agressive. Je n’aurais aucune difficulté à traverser le pays avec mon équipement de camping, en dévorant les routes secondaires sinueuses, en jouant les hooligans en ville, en participant à une journée d’essai libre pour finir par une excursion hors route. Tout ça avec la même moto, et durant le même voyage.
Le seul reproche que j’adresserais à Ducati est de ne pas avoir doté la Multistrada de commandes réglables (guidon, repose-pieds et selle). Même si la moto me convient parfaitement (je mesure 1,80 m et je pèse 95 kg), je suis persuadé que des pilotes de morphologie différentes aimeraient pouvoir la personnaliser.
Ducati a énormément investi dans cette moto, la soumettant à un programme d’essai intensif de deux ans, avant sa sortie (110 modèles de pré-production ont été construits pour ces évaluations, alors que la norme est de 80 unités) et a incorporé toutes les aides au pilotage imaginables dans une même moto. Et je dois reconnaître que ce travail a porté fruit. |