Glenn Roberts, éditeur de Motorcycle Mojo et amateur de customs devant l'Éternel, prend plaisir au guidon de la nouvelle Honda Fury 2009.
Le dévoilement de la Fury en janvier dernier, dans le cadre du salon de New York, a surpris de nombreux observateurs — en tout cas ceux qui n’étaient pas au courant de la rumeur qui circulait sur Internet depuis quelques semaines déjà — et personne ne s'attendait vraiment au lancement d'un chopper. Encore moins d'un chopper nippon produit en grande série. La nouvelle était d'autant plus surprenante que plusieurs experts annonçaient l'essoufflement du phénomène custom en Amérique du Nord (ça, je le croirai quand je le verrai).
Cependant, que la Fury sorte des usines de Honda n'est pas vraiment étonnant quand on y pense bien. Le Géant rouge est fermement implanté en Europe et aux États-Unis depuis plusieurs décennies et ses bureaux continentaux de design sont complètement indépendants. Dans l'ensemble, ils analysent assez bien leur marché respectif pour répondre efficacement à ses demandes ou à ses besoins. Alors qu'en Europe les concepteurs imaginent des roadsters extrêmes comme la CB1000R, ou des sportives rétro de la trempe de la CB1100R, leurs homologues américains nous proposent des customs hors-normes comme la Rune ou la Fury. À chacun ses goûts. À chacun son imaginaire. Le problème que nous avons au Québec c'est que nous sommes à cheval entre les deux cultures et que nous avons parfois l'impression d'y perdre au change. Surtout quand la balance penche trop et trop souvent du côté obscur de la Force... Mais ça, c’est une autre histoire.
Durant la présentation de la Fury, les représentants de Honda ont tenté de dresser le portrait-robot du client type de ce chopper. Et, comme vous pouvez vous en douter, ils ont décrit un «baby-boomer», aisé financièrement et en quête de gratification instantanée. Quoique, selon les sondages effectués par la compagnie, des représentants de la Génération Y et de la Génération X se disent également intéressés par ce cruiser radical. De là à dire que la Fury ratisse large, il n'y a qu'un pas vite franchi. Serait-ce un hommage à l'équilibre de ses lignes? À la sobriété de son design? Aux images que la Belle renvoie? Difficile à dire. Toujours est-il qu'elle plait bien cette Fury.
Absence d'identification
La première fois que l'on observe la Fury en personne, on est surpris par l'absence de logos de la marque sur la moto — une manière de faire qui n'est pas dans les habitudes des constructeurs nippons — le seul que l'on parvienne à trouver étant de taille modeste et localisé sur le garde-boue arrière. Rien sur le réservoir, rien sur les ailes, rien sur les caches latéraux. Les représentants de Honda affirment que la compagnie n'a pas cherché à cacher la filiation de la Fury, mais qu'elle a plutôt suivi la tendance en vogue dans le monde des choppers où l'important n'est pas tant de connaître la marque de la machine, mais plus le nom du préparateur qui en a accouché. Et les éléments qu’il a utilisés pour sa métamorphose. Quelle que soit la raison officielle, le résultat est probant.
L'important, c'est le look...
Et c'est encore plus vrai sur la planète chopper. Il suffit de voir les machines de folie que les préparateurs américains concoctent depuis quelques années pour s'en convaincre. Et dans ce domaine, le plus dur c'est de faire à la fois beau et simple. Car rien n'est plus compliqué à atteindre que la simplicité. Tout est dans la retenue, dans le coup de crayon, dans la ligne parfaite, dans l'équilibre des formes. Et quand celles-ci sont en adéquation avec la fonction, alors tout le monde crie au génie.
N'en déplaise aux ronchons et aux puristes, la Fury est une authentique réussite à ce point de vue. Elle a du style et ne fait pas vraiment de faute de goût. Force est d'admettre que l'équipe de dessinateurs de Honda Research Americas (HRA) a fait du bon boulot. Et pour ne rien gâter, la sonorité du V-Twin est très agréable avec l'échappement d'origine. Musclée et discrète à la fois. Sans fausse note, là non plus.
Dans le genre chopper basique, la Fury a d'la gueule.
Avec son empattement record de 1 804 mm, le plus long dans l'histoire de Honda, la Fury est imposante. L'angle de fourche de 38 degrés est conséquent et renforce le côté extrême de la machine. Il lui donne un air méchant qui est souligné par la selle basse (678 mm) et la section arrière dégagée. Le monoamortisseur est savamment caché de sorte qu'on croirait être en présence d'une moto à cadre rigide. Au passage, on remarquera la ligne remarquablement réussie du bras oscillant en aluminium et les efforts déployés pour harmoniser le profil de l'arbre d'entraînement sur le côté gauche. Le massif pneu de 200/50R-18 donne un côté musclé à la Fury. Il est surmonté d'une aile raccourcie habilement dessinée qui s'affaisse lorsque le pilote s'assoit. Elle s'intègre parfaitement au design général et renvoie une impression d'équilibre. Le feu arrière à DEL a été choisi tout spécialement parce qu'il ne nuit pas à la forme du garde-boue arrière, lequel est également libre de tout support apparent afin de conserver une forme simple, élégante et dégagée.
À l'avant, le radiateur d'huile est bien caché entre les deux tubes frontaux du cadre et s'intègre parfaitement au design de la Belle. Aucun tuyau, aucune durit disgracieuse ne pointe son nez dans le décor. C'est net! C'est sobre! Une roue étroite de 21 pouces de diamètre prolonge la solide fourche de 45 mm à l'angle très prononcé. Elle s'harmonise parfaitement avec le dessin du réservoir allongé, mince et incliné qui semble posé en équilibre sur le cadre. La section avant du cadre est bien dégagée. La forme et la taille du guidon permettent d'obtenir suffisamment de dégagement pour manœuvrer en toute sécurité, en plus de contribuer à l'équilibre visuel de l'ensemble.
Enfin, les roues distinctives en alliage sont dotées d’un freinage à disque simple de 336 mm à l'avant secondé par un disque arrière de 296 mm.
Parce que ce n'est pas la grosseur qui compte...
...Honda a choisi un V-Twin à 52 degrés de 1 312 cc, refroidi au liquide et doté d’un système d’injection électronique, pour propulser la Fury. Emprunté à la VTX 1300, il offre suffisamment de puissance et de couple pour s'acquitter parfaitement de sa tâche, d'autant que les choppers n'ont jamais été reconnus comme des machines de vitesse, mais plutôt comme des engins de promenade. Certains diront de parade. Les ingénieurs auraient facilement pu intégrer un plus gros bicylindre dans le cadre tubulaire de la Fury – celui de la VTX 1800 par exemple –, mais ça n'aurait pas servi à grand-chose. En fait, ça n'aurait fait qu'alourdir la moto qui pèse déjà 302 kg en ordre de marche. Pas mal pour une moto minimaliste. Qui plus est, le bloc de 1 312 cc se mariait mieux avec le design de la moto. Et ses battements de rythme sont plus harmoniques en raison de l'utilisation d'un vilebrequin à simple maneton. Ce qui explique sa sonorité bien rendue par l'échappement superposé de type Shotgun.
Personnellement, je n'ai pas eu à me plaindre du moteur. Il offre des performances adéquates en toute circonstance. Il prend facilement ses tours, ne vibre pas trop et procure des accélérations musclées et des reprises franches. Il est bien complété par une boîte de vitesse à 5 rapports dont l'étagement est parfait. Le cardan transmet la puissance du moteur à la roue sans à-coups et sans mauvaises manières. Il est neutre et se fait oublier. Que demander de plus?
À mon corps défendant, je dois avouer que j'ai bien aimé la Fury. Spécialement à Daytona Beach, durant la Bike Week. Pas mal pour se faire regarder...
Des manières civilisées
Longue, fine et basse de selle, la Fury est néanmoins accueillante. On pose facilement les deux pieds au sol, bien à plat et on se sent vite en confiance à son guidon. En plus, on est bien assis, mieux que l’allure le laisse suggérer en fait. Malgré son empattement de paquebot et sa géométrie de direction paresseuse, la Fury affiche de belles manières. Elle se montre relativement maniable et agile pour une custom extrême. Elle est à l’aise dans la circulation urbaine – laquelle est particulièrement dense dans le centre-ville de Daytona à ce temps de l’année – et se manie avec aisance. Faire des demi-tours ne requiert pas d’efforts particuliers, compte tenu du gabarit de l’engin, on s’entend, seuls les enchainements de virages demandent une bonne impulsion sur le guidon. La tenue de cap est satisfaisante sur l’autoroute et la Fury négocie virages serrés ou rapides avec facilité et aplomb. Attention cependant. Il ne s’agit pas d’une sportive. Et on atteint vite les limites de la partie cycle. La garde au sol, en particulier, est vraiment réduite, comme c’est souvent le cas sur ce type de machines, et on accroche vite les repose-pieds.
Le confort est supérieur à ce qu’on attendrait normalement d’un chopper. Mais il faut dire que la Fury est une Honda. Et qu’à ce titre, elle se doit d’offrir un comportement digne des routières de la marque. Le confort des suspensions est correct – sur les routes de la Floride en tout cas –, mais la fourche très inclinée n’absorbe pas les irrégularités aussi efficacement que le ferait une fourche plus redressée. On ressent les petites imperfections rapidement. Le monoamortisseur quant à lui se débrouille passablement bien. Il offre un débattement correct de 95 mm et dispose d’un combiné oléopneumatique ajustable en détente et en précontrainte du ressort (sur 5 positions).
Le freinage est plus qu’adéquat. Je suis même surpris de sa performance compte tenu du peu de sophistication du système. À l’avant, on retrouve un simple disque de 336 mm pincé par un étrier double piston, tandis que l’arrière est ralenti par un disque de 296 mm avec étrier simple piston. C’est simple, mais ça marche. Une version avec ABS sera proposée, en option et seulement sur le modèle noir, à l’automne.
La protection est dans la norme des customs non carénée. Très moyenne. Par contre, la poussée de l’air sur le buste à des vitesses élevées (120-140 km/h) est moins importante que sur beaucoup de customs classiques. Même la position de conduite est agréable. Presque logique.
Pour ce qui est du sort réservé au passager, je dirais, pour être poli, qu’il est dicté par les impératifs du style. En clair, c’est la torture. Et si vous tenez à conserver une relation harmonieuse avec votre partenaire, abstenez-vous de l’emmener derrière vous. Vous pourriez le regretter. Vous seriez plus avisés de lui offrir sa propre Fury si vous voulez éviter de subir la sienne…
Furieusement chopper! Furieusement Honda!
Selon les représentants de Honda, la Fury est la première d'une série de motos originales, surprenantes, qui seront dévoilées dans les prochains mois. Ce qui ne signifie pas que d’autres choppers ailés verront le jour. Mais il faut s’attendre à découvrir d’autres surprises de la part du Géant rouge. Espérons qu’elles viendront d’Europe cette fois-ci.
Quant à la Fury, elle surprend tant elle dépasse les attentes qu’on pourrait placer en elle de prime abord. La qualité de la réalisation est sans reproche. La peinture, les soudures, l’équipement, tout est impeccable. Dans la norme Honda. Et contrairement à ce que son look suggère, il s’agit d’une moto entièrement fonctionnelle. Ce n’est pas une machine de course, ni un TGV sur deux roues, pas plus qu’un véhicule transcontinental. Mais comme custom radicale, elle est pas mal, je dois en convenir.
Si vous me demandez si j'ai aimé la Fury, je vous répondrai «oui!», mais je m'empresserai d'ajouter «Pour parader sur Main Street durant la Bike Week!» Vous l’aurez deviné, ce n'est pas le genre de moto que j'affectionne particulièrement. Néanmoins, quand on considère la clientèle à laquelle elle s'adresse et l'usage auquel elle est destinée, il faut bien reconnaître qu’elle frappe sa cible en plein dans le mille. Elle a non seulement un look qui tue, mais aussi une sonorité en adéquation avec son allure. Qui plus est, elle s'avère une custom efficace — dans les limites du genre, bien entendu —, bien finie et sans faute de goût. Il s'agit d'un authentique chopper et d'une moto Honda à part entière. Ça aura pris du temps aux constructeurs japonais pour bien interpréter les codes du genre, mais, avec la Fury, Honda y est enfin parvenu. Il reste maintenant à espérer qu'il existe vraiment une clientèle pour cette moto et qu'elle n'arrive pas trop tard... Au fait, j’ai oublié de vous parler du prix de cette moto. Préparez-vous à débourser 16 115$ pour la version de base (noir graphite, rouge bordeaux métallique) et 200$ de plus pour la version spéciale en gris mat avec les jantes noires parées d'un filet rouge. Avouez que c’est pas mal moins onéreux qu’un chopper personnalisé. Imaginez ce vous pourrez faire avec les dizaines de milliers de dollars que vous économisez. En passant, si vous cherchez des idées, Honda a développé une foule d’accessoires pour la Fury.
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