Vittoriano Guareshi, le pilote officiel Ducati responsable du développement de la Desmosedici GP9 de MotoGP, démontre qu'il a parfaitement assimilé le mode de fonctionnement de la Streetfighter, lequel est instinctif... quand on a son talent.
Les premiers streetfighters résultaient la plupart du temps d'un accident — au sens littéral du terme — plutôt que d'une préparation planifiée et soignée. Les propriétaires de sportives ayant eu la malencontreuse idée de tâter du bitume avec leur monture favorite devaient souvent faire face à des réparations coûteuses, surtout quand il s'agissait de remplacer le carénage de leur pistarde adorée. Ils découvraient alors que remplacer les bracelets par un guidon tubulaire de type Superbike et le carénage par une plaque à numéro ou un carénage de tête de fourche minimaliste permettait souvent d'économiser des milliers de dollars. En plus de rendre leur monture plus facile à piloter du même coup. La position de conduite plus relevée qui découlait de cette transformation associée à l'effet de levier important du guidon surélevé permettait de transformer des motos conçues originalement pour la piste en guerrières urbaines agiles et affutées. Avec lesquelles il devenait facile de se lancer à l'assaut des villes.
La Ducati Streetfighter est la première moto de série à reprendre le concept de Superbike dénudé à son compte. Giulio Malagoli, le responsable du projet Streetfighter veillait au développement de la Monster depuis 2001. Quand il a commencé à travailler sur la Streetfighter, il s'est servi de la 1098 comme plateforme. Difficile de faire mieux, vous l'avouerez.
Pour bien démontrer le potentiel sportif de sa nouvelle création, Ducati a choisi de la dévoiler à la presse mondiale au complexe de sports motorisés d'Ascari, près de Ronda, en Espagne. À cette occasion, la version «S» de la Streetfighter, avec ses éléments de suspensions Öhlins en remplacement des composants Showa du modèle de base, ses nombreuses pièces en fibre de carbone et son système antipatinage DTC (Ducati Traction Control) a été la vedette de ce lancement prestigieux.
La ressemblance avec la 1098 saute aux yeux dès le premier contact : la section arrière, la selle et le réservoir à essence, bien que modifiés et uniques à la Streetfighter, trahissent leur origine. La section arrière et la selle reposent sur un bâti redessiné qui place l'ensemble plus en avant. Le réservoir est plus court de 25 mm, mais il est plus haut et contient un litre de plus d'essence que celui de la 1098.
Les similitudes se poursuivent vers l'avant avec le «nez» qui est en fait une version miniature du carénage de la Superbike. Il est complété par des prises d'air factices dessinées pour rappeler les phares de la 1098. Au-dessus, on retrouve un tableau de bord numérique placé bas et difficile à lire en roulant. À chaque extrémité du guidon, des commodos nouveau genre font merveille. Le bouton des phares a été déplacé à l'avant du commodo gauche et est actionné par l'index. À sa place habituelle, on retrouve un commutateur permettant de naviguer entre les menus du tableau de bord, lesquels incluent un chronomètre, un avertisseur d'entretien programmé et, sur la version «S», l'indicateur de DTC.
Bien que la selle soit haut perchée, à 840 mm du sol, l'étroitesse relative de la Streetfighter permet néanmoins au pilote de bien poser les deux pieds au sol (pour rappel, je mesure 1,80 m — soit 6 pieds). L'assiette de la Streetfighter est réglable, comme sur la 1098, ce qui permet d'abaisser ou de surélever l'arrière au besoin. Et donc de rendre la direction un peu plus nerveuse ou lente, selon le cas. Le guidon cintré en aluminium, les repose-pieds abaissés et la selle avancée de 25 mm par rapport à celle de la 1098 procurent une position de conduite droite, confortable et logique. Par contre, le repose-pied droit est placé trop près de la plaque de protection de l'échappement laquelle vient en contact avec le talon de votre botte. En plus, il faut démonter l'échappement pour ôter la roue arrière. Vraiment pas pratique.
Bien que le cadre treillis tubulaire de la Streetfighter soit similaire à celui de la 1098, sa géométrie a été ralentie dans le but d'accroître la stabilité. La chasse qui s'établit à 25,6 degrés est supérieure d'un degré et le déport passe de 97 mm sur la Superbike à 114 mm. Le bras oscillant plus long allonge l'empattement de 35 mm, à 1 475 mm.
Ces changements renforcent la stabilité de la Streetfighter qui reste cependant très agile, en partie grâce au large guidon tubulaire et au poids bien contenu. Avec un poids à sec de 169 kg, le roadster extrême de Ducati fait jeu égal avec la Monster 1100 refroidie à l'air. Pas mal pour une moto dotée d'un système de refroidissement liquide. La version «S» utilise des jantes allégées Marchesini en aluminium forgé, des éléments de suspensions Öhlins et de nombreuses pièces en fibre de carbone qui lui font perdre plus de 2 kilos.
Les carters du moteur qui sont similaires à ceux de la 1198 sont plus fins, mais plus résistants que ceux de la 1098, tout en étant plus légers de 3 kg. La Streetfighter utilise les culasses et les pistons de la 1098 avec des cotes d'alésage et de course respectives de 104 mm et de 64,7 mm qui procurent une cylindrée de 1 099 cc. La puissance attribuée est de 155 ch alors que le couple s'établit à 85 lb-pi, les deux étant livrés à un régime de 9 500 tr/min. Afin de réduire le poids encore plus, les couvercles de soupapes et d'embrayage sont en magnésium. La «S» dispose du même moteur, mais celui-ci est équipé de couvercles de cames en fibre de carbone. Les rapports de boîte sont identiques à ceux de la 1198 et le tirage est long, dans la plus pure tradition Ducati. Le passage des rapports est plus rude que sur une boîte japonaise, mais la course du levier est courte et l'engagement des rapports positif.
À l'occasion de mon premier démarrage, j'ai noté une légère résistance dans la direction. Laquelle est causée par un amortisseur de direction dépourvu de réglage. Au fur et à mesure que la vitesse augmente, la direction s'allège et devient neutre, ce qui est une bonne surprise compte tenu des modifications apportées à la géométrie. Qui est moins sportive que celle de la 1198.
Les ajustements de suspensions sont relativement fermes, ce qui contribue à la stabilité de la moto, mais nuira certainement au confort sur les routes québécoises dont la qualité laisse à désirer. Les pneus Pirelli Diablo Corsa III offrent une excellente adhérence sur la piste, même en freinant tard sur l'angle. Quant aux tarages des suspensions, ils sont identiques à ceux de la 1198, bien que l'allongement du bras oscillant modifie le comportement de l'amortisseur qui se montre un poil plus souple que sur la Superbike.
Initialement, la fourche renvoyait une impression un peu vague, surtout en entrée de virage. Un accroissement de la précontrainte du ressort, de la compression et de la détente aux deux extrémités a permis d'améliorer la rétroaction. Bien qu'elle ne soit pas aussi vive qu'une Monster 1100, la Streetfighter négociait les chicanes du circuit Ascari avec maestria, passant d'un angle à l'autre avec finesse et grâce.
Sur la «S», le comportement de supersportive de la Streetfighter est renforcé par l'accroissement de la traction. Cette dernière utilise en effet le même dispositif DTC que l'on retrouve sur la nouvelle 1198S, et qui est une version améliorée de l'antipatinage inauguré sur la 1098R 2008. Dans un premier temps, le système retarde l'allumage quand il détecte une perte d'adhérence du pneu arrière. Si la situation persiste, il coupe l'allumage et l'arrivée d'essence. Sur la 1098R, ce système faisait partie du kit compétition, lequel comprenait une unité de contrôle électronique et un système d'échappement de performance.
Lors de mes premiers tours du circuit d'Ascari au guidon de la «S», j'avais réglé le DTC en position 6 (sur 8 possibles). Et il m'a fallu un peu de temps pour m'y habituer. Au début, je rechignais à ouvrir les gaz en grand en sortie de virage. Tour après tour, j'y allais progressivement, jusqu'à me sentir en confiance. Il faut dire que je n'étais pas certain que le DTC fonctionnerai adéquatement et la dernière chose que je voulais, c'était me retrouver les quatre fers en l'air. Vivre l'expérience de la catapulte, du point de vue du boulet, ne m'intéressait pas du tout.
Une Streetfighter S accessoirisée avec pots Termignoni et de nombreuses pièces en fibre de carbone.
À un rythme élevé, le moteur coupait régulièrement en sortant des virages serrés en position 6. Et le témoin lumineux du DTC clignotait furieusement sur le tableau de bord. Une fois convaincu de l'efficacité du dispositif, j'ai commencé à être plus hardi. Et à ouvrir les gaz en grand en sortie de virage. Puis, je suis passé au réglage 4. En devenant de plus en plus brave. Le DTC entrait toujours en action, mais moins fréquemment alors que je sortais de plus en plus fort du coin.
En négociant les longs virages rapides d'Ascari, j'ai pu vérifier l'efficacité du DTC. La «S» tractait parfaitement, stable comme un train sur un rail tandis que le témoin lumineux du DTC flashait continuellement. Preuve du déséquilibre existant entre les pneus avant et arrière dont les surfaces de contact au sol ne concordaient pas vraiment en l'occurrence.
Les freins avant sont identiques à ceux de la 1198. Il s'agit de deux disques Brembo massifs de 330 mm de diamètre pincés par des étriers radiaux à quatre pistons. Une pression légère à deux doigts était suffisante pour ralentir la «S». Et avec un peu de pratique, il était facile de moduler la pression pour une rétroaction parfaite en toute circonstance.
Si la rue est votre terrain de jeu de prédilection, la Monster 1100 est certainement le roadster Ducati que vous devriez acheter. Mais si vous êtes un adepte des journées d'essais libres sur piste, choisissez alors la Streetfighter. Surtout si votre âge ou votre condition physique vous interdissent les sportives pures et dures. Il faut être jeune et en forme pour jouer les contorsionnistes sur une Superbike italienne. La Streetfighter vous garantit des performances hypersportives sans taxer votre carcasse. Ce qui est tout un exploit.
Je sais que quand on aime on ne compte pas. Sachez cependant qu'il vous faudra débourser 17 995$ pour une Streetfighter de base et 22 495$ pour un modèle «S». Pour plus d'information, visitez le site Ducati.com.
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