Mais comment est-ce possible? Comment le motocycliste moyen — et non seulement des pilotes surhumains comme Rossi ou Stoner — peut-il maîtriser une moto de moins de 180 kg développant désormais près de 200 chevaux? Et que se passera-t-il dans 5 ou 10 ans lorsque les puissances maxi pousseront les 250 ch et que le poids aura continué à baisser? Comment ferons-nous alors?
Comme c’est le cas dans toutes les formes de compétition de haut niveau — Grand Prix, MotoGP, Formule 1, Superbike, etc. —, la solution réside dans l’électronique et l’assistance au pilotage. Nous bénéficions déjà des avantages de l’ABS, à l’occasion, de systèmes antipatinages et même de boîtes de vitesse automatisées, comme sur la Yamaha FJR1300AE. Mais sur la nouvelle ZX-10R, Kawasaki pousse la coche un poil plus loin avec son système KIMS (Kawasaki Ignition Management System).
Ce système est tellement nouveau que vous risquez de lire pas mal d’absurdités à son sujet. Il faut savoir que les premières informations concernant la ZX-10R 2008 parlaient carrément d’une moto équipée d’un système antipatinage, ce qui, sur une sportive extrême, aurait été une première. Puis, lors du lancement de presse de la ZX-10R organisé au circuit de Losail, au Qatar, la rumeur voulait que Kawasaki ait décidé, pour des raisons légales, de «déguiser» ce fameux système en l’appelant tout bonnement par un autre nom, KIMS. Le constructeur ajouta à la confusion en se limitant à des explications rapides sur le KIMS et en proclamant qu’il ne pouvait s’agir d’un système antipatinage «puisqu’il ne contrôlait pas la vitesse de rotation de la roue arrière». En fait, un antipatinage n’a pas besoin d’un système de contrôle de la vitesse de rotation de la roue arrière. Le commentaire fut interprété comme un aveu de la fonction première du système — contrôler le dérapage à l’accélération — alimentant du même coup la rumeur. Résultat, une confusion massive à ce sujet et l’impression qu’un constructeur tentait de cacher quelque chose à la presse. Le fait que quelques-uns des premiers journalistes à tester la ZX-10R ont même affirmé avoir senti le KIMS se manifester en sortant de certains virages ne fit qu’amplifier le doute dans l’esprit des autres.
Pour en avoir le cœur net, j’ai simplement pris le chef de projet Yasuhisa Okabe à part et je lui ai posé la question. Selon ses propres termes, «avec le kit course, il est possible de modifier le KIMS pour qu’il agisse différemment, mais sur la ZX-10R de série, il ne s’agit absolument pas d’un système antipatinage». Selon Okabe San, dans certaines circonstances très particulières — si le moteur s’emballe alors que l’accélérateur demeure à ouverture constante ou presque — le système, qui agit sur un grand nombre de paramètres, empêchera la roue arrière de patiner. Néamoins, on ne peut pas parler d’antipatinage puisque le KIMS n’empêche ni les high side, ni les dérobades du pneu en sortie de virage. Alors, à quoi sert-il?
Mon premier tour du circuit de Losail m’a apporté plusieurs réponses à cette question. La première, et je confirme, est que nous ne sommes pas en présence d’un antipatinage au sens strict du terme. Pour le vérifier, je suis sorti de la piste et je suis allé sur le gazon avec la 10R. Là, j’ai profité de la faible adhérence de l’herbe pour faire patiner la roue arrière sur tous les rapports sans que le système intervienne d’aucune façon. Mais ça, c’est après m’être rendu compte combien il était facile de maîtriser les 186 chevaux de la bête (les modèles nord-américains seront limités à 179 ch) sur le tracé technique de Losail. J’ai alors réalisé comment le KIMS fonctionnait réellement. J’ai été choqué de constater à quel point la ZX-10R était docile et contrôlable en sortant de la seconde épingle du long circuit qatari.
Normalement, ce genre de virage serré qui se négocie à basse vitesse, avec beaucoup d’angle et qui est immédiatement suivi d’une ligne droite longue et rapide est un type de section qui pose des problèmes sur une puissante et coupleuse sportive pure d’un litre. Pourtant, dans ce cas, je pouvais tout simplement enrouler complètement les gaz tôt à la sortie du virage, en seconde vitesse, pour ensuite me laisser catapulter par la 10R vers le prochain virage. Avec grâce et sans violence! Comme si la bête était muselée en bas de 6000 tr/min et très docile de là à la zone rouge. Une minute. Accessible et docile, la ZX-10R? Oui, ce qui, par ailleurs, n’empêche pas la nouveauté d’afficher une accélération féroce en sortie de courbe et d’atteindre des vitesses très élevées sur les sections rapides. Des qualités qui prouvent le statut de «superpuissance» de la nouvelle venue, mais aussi sa nature inhabituellement «docile-et-amicale-tout-en-étant-hyperrapide ».
En discutant avec les ingénieurs, j’ai non seulement mieux saisi le fonctionnement du KIMS, mais ça m’a également permis de récupérer quelques informations précieuses sur l’évolution rapide des sportives modernes. Les puissances étonnantes qu’elles atteignent aujourd’hui posent un problème évident au niveau de la gestion l’adhérence des pneus, malmènent les châssis et finissent par intimider le pilote. En fait, si le but de ces machines est de réaliser des temps au tour de plus en plus rapide, une puissance très élevée peut devenir un handicap. Ce qui explique que, souvent, même des coureurs expérimentés réalisent de meilleurs temps sur des moyennes cylindrées. Et affirment en avoir «plein les bras» en descendant de leurs motos de classe ouverte. Le système KIMS est la réponse de Kawasaki à ce phénomène. Il s’agit en fait d’un mécanisme de gestion évolué du moteur/allumage/puissance/couple qui décide du montant optimal de puissance requis en toute circonstance pour réaliser le meilleur temps possible. Il réduit ou limite le couple et la puissance dans des situations délicates, comme en sortie de virage, ce qui permet au pilote d’être en confiance pour ensuite restaurer toutes les performances en ligne droite ou dans les sections plus rapides. Le châssis est moins sollicité, il est possible d’ouvrir l’accélérateur en grand plus tôt en sortie de virage et de le garder ouvert plus longtemps sur un tour. Ce qui décrit, en quelques mots, la recette idéale pour réaliser des temps rapides. Et c’est le but premier de la ZX-10R.
Évidemment, pour y parvenir, il ne suffit pas seulement d’un système sophistiqué de gestion du moteur, ça prend aussi un bon châssis. La ZX-10R 2008 excelle aussi à ce niveau et se montre aussi maniable que précise et stable (une seule exception, un léger et occasionnel guidonnage à la sortie de certaines courbes). Il est possible d’entrer fort sur les freins en virage, sans déstabiliser la tenue de route. Le freinage est très puissant et communicatif, bien que légèrement mou dans sa phase initiale. Personnellement, j’ai trouvé que ce comportement me donnait plus de confiance et me permettait de freiner fort sans craindre une réaction soudaine.
En fait, il semble que la nouvelle Kawasaki ZX-10R fasse tout pour faire oublier sa puissance et vous donner plus de contrôle, sans crainte. La position de conduite compacte est parfaitement adaptée au circuit, le moteur est à la fois hyperpuissant et docile alors que le châssis est extrêmement précis et communicatif. Il en résulte un ensemble homogène, très efficace sur piste. La 10R permet aux pilotes de concilier l’inconciliable pour une sportive puissante: à savoir être à l’aise, en confiance pour pouvoir se concentrer sur la conduite et les petits détails qui permettent de faire descendre les temps. Considérant le fait que souvent vous avez l’impression de descendre d’un cheval de rodéo après un tour de circuit sur une hypersportive d’un litre, on peut conclure qu’il s’agit là d’un accomplissement.
Tout ça nous amène à nous demander combien de temps il faudra patienter pour que ces machines atteignent les 200 chevaux à la roue arrière, comme c’est le cas des machines de Superbike. Et non quand la course à la puissance va prendre fin… |