La présentation de la version 2008 de la Hayabusa, la première évolution du modèle en près de 10 ans, s’est déroulée au circuit de Road America – apparemment la piste la plus rapide des États-Unis. Sur ce circuit doté de trois longues lignes plus ou moins droites, j’ai vu le compteur afficher près de 300 km/h. Trois fois par tour, chaque tour.
De toute ma carrière d’essayeur, jamais je ne me suis fait autant malmener, jamais je n’ai ressenti une telle violence physique qu’en poussant à fond la grosse Suzuki à Road America. Bien sûr, la GSX1300R qui pèse 220 kg (3 kg de plus que l’ancienne) est une des motos les plus lourdes que vous pouvez raisonnablement piloter fort sur un circuit. Mais l’effort requis pour inscrire cette moto longue et massive en virage n’est rien comparé à l’énergie que vous dépensez pour la garder le plus longtemps possible en pleine accélération, puis freiner violemment. Tour après tour.
Habituellement, sur une piste, vous travaillez fort dans les virages et vous récupérez votre souffle dans les lignes droites. Mais au guidon de la Hayabusa, les trois sections rapides de Road America se négocient avec une telle violence que cette règle est inversée. L’effort musculaire qu’il faut déployer pour s’accrocher jusqu’à 290 km/h, puis pour freiner tout aussi intensément jusqu’à 70 km/h afin négocier le prochain virage — c’est le scénario que réserve les trois portions rapides du circuit — est incroyable.
D’ailleurs, ces décélérations brutales répétées vinrent également à bout des freins qui se sont rapidement mis à chauffer et ont commencé à perdre de leur efficacité. Un phénomène que l’on ne voit quasiment plus sur les sportives modernes. Il faut cependant dire, à la défense de la Hayabusa, que les vitesses supersoniques atteintes sur le circuit extrêmement demandant de Road America, combinées au poids de la bête, viendraient probablement à bout de n’importe quel système de freinage. Un ajustement de l’éloignement du levier de frein a permis de corriger partiellement le problème. Sur route – le terrain de jeu favori de la Hayabusa –, il est impossible de lui infliger un tel traitement et donc de recréer ce genre de problème.
Pour comprendre l’évolution de la Hayabusa, qui n’a jamais vraiment évolué depuis son arrivée en 1999, il faut réaliser la réputation qu’elle s’est bâtie au fil des ans. Même si la situation diffère un peu au Canada, la grosse sportive de Suzuki n’est devenue ni plus ni moins que l’icône d’une sous-culture aux États-Unis. Depuis sa sortie, elle est la monture de prédilection de la communauté motocycliste noire. Des joueurs de la NBA, aux rappers, tout le monde s’affiche sur la Busa. C’est LA moto sur laquelle être vue. Et de nombreux clubs dédiés à perpétuer sa légende se sont créés dans tous les États. Au sud de la frontière, elle est devenue l’équivalent sportif des choppers pour les customs. Les Hayabusa modifiées à outrance y sont légion. Et plus il y a de clinquant, de «bling», mieux c’est : bras oscillants hyper longs, jantes extra larges chaussées de pneus de 300 mm, parties cycles ENTIÈREMENT chromées, néons multicolores, écrans DVD, chaînes stéréo et caméras de recul ne constituent qu’un petit éventail des modifications apportées aux Hayabusa, dont certaines sont très créatives et innovatrices. En fait, il semble que l’imagination des préparateurs n’a de limite que le budget que les propriétaires sont prêts à consacrer à la préparation de leur monture. Et nous qui pensions, ici, au Canada, qu’un échappement de performance et quelques autocollants correspondent à repousser les limites de la personnalisation…
En raison de ce phénomène, les États-Unis sont devenus le principal marché de la Hayabusa, par une bonne marge. Selon les représentants d’American Suzuki, les chiffres de vente du modèle n’ont cessé de croître depuis son lancement en 1999, année après année. Quand on considère que la majorité des sportives sont démodées après seulement deux ans d’existence, cela démontre le succès exceptionnel du «faucon» de Suzuki. Avec un tel statut de motoculte, pas étonnant que Suzuki ait décidé de ne pas la modifier au-delà de ce que les amateurs pourraient supporter. C’est pour ça que le nouveau modèle ressemble tant à l’original et n’a évolué que dans le détail. Au point qu’il faudrait parler d’évolution et non de révolution.
Le designer qui a conçu la première Hayabusa était présent au lancement du modèle 2008 pour répondre à nos questions. Il avoue candidement que s’il n’en avait tenu qu’à lui, l’évolution du modèle 2008 aurait sûrement pris une direction tout autre. Il se serait sûrement attelé à réduire la taille et le poids du modèle, par exemple, pour le rendre plus exploitable au quotidien. Mais ça, c’est avant qu’il constate à quel point les amateurs tenaient à conserver le look originel de la Hayabusa. Lors d’un de ses voyages aux É.-U. pour cerner le phénomène, il a visité des clubs de propriétaires, participé à des événements et constaté de visu l’importance du culte que les Américains vouaient à la GSX1300R. Il a compris que ce qu’ils voulaient, c’était une autre Busa. Rien d’autre! Très proche visuellement, mais plus musclée.
Techniquement, la Hayabusa 2008 diffère peu du modèle 1999. À l’exception d’un bras oscillant un peu plus court, de nouvelles jantes et d’étriers de freins à montage radial (maintenant à 4 pistons au lieu de 6), la partie cycle est presque identique. Grâce à un accroissement de 2 mm de la course, la cylindrée est passée à 1340 cc, 12 de moins que la Kawasaki ZX-14, alors que la puissance croît de 175 à 194 ch. La recette appliquée aux GSX-R dans le but d’augmenter les performances – pistons et soupapes plus légères, surfaçage des chemises de cylindres, trous d’aération dans le vilebrequin, injection à double injecteur révisée et embrayage antidribble – a également été appliquée à la grosse sportive d’Hamamatsu. Avec succès. Le système S-DMS à trois positions de la GSX-R1000 2007 a lui aussi été adopté.
«Comment les deux modèles se comparent-ils sur la route?» me demanderez-vous? Ils sont très similaires. La position de conduite est toujours sportive sans être extrême et les guidons sont toujours loin du pilote. En fait, la position de la Busa 2008 est rigoureusement identique à celle du modèle original. La protection est particulièrement bonne pour une machine de cette classe, spécialement quand vous vous couchez sur le réservoir pour vous cacher derrière la bulle. Les suspensions sont fermes, mais elles sont désormais mieux calibrées et ne sont plus aussi sèches sur les chaussées défoncées.
Le moteur vibre moins que l’ancien, mais on ne peut pas vraiment le qualifier de doux non plus. Mais Dieu qu’il est puissant! Sur route, l’Hayabusa 2008 raccourcit les distances. L’accélération est tellement phénoménale qu’il est difficile de juger à quel point la machine est plus rapide que sa devancière, mais elle l’est. À la piste d’accélération, nous avons eu l’occasion d’effectuer quelques «runs». J’ai rapidement réalisé des temps dans les 10,3 s, mais des pilotes plus légers et plus expérimentés que moi sont facilement descendus sous la barre des 10 secondes. Ce qui est TRÈS rapide. Excellent à bas régime, le couple devient incroyable à mi-régime. Comme elle est plus longue et plus lourde que les sportives pures à la façon des GSX-R et ZX-R, l’étonnante puissance de la Hayabusa est plus facile à maîtriser. Ouvrir les gaz en grand génère une accélération assez intense pour vous faire serrer les dents, arrêter de respirer, et prier. Mais tout ça se passe sans drame. La roue avant aura bien tendance à se soulever en première, mais, après ça, c’est l’extase. Pas de guidonnage ou de louvoiement vicieux, pas de perte de vision à cause du vent qui vous brasse le casque, juste de la vitesse pure, à forte dose!
Durant ce lancement, j’ai parfois eu l’impression d’être jeté au milieu d’une arène de combat ultime et d’y affronter un poids lourd. Conduire la nouvelle Busa à Road America a été une expérience incroyable. La douleur qui en découlait ne venait pas du poids de la moto que le châssis contrôle parfaitement. Non! Elle venait de la vitesse pure, brute, incontrôlée. S’agripper aux poignées en étant catapulté à près de 300 km/h, puis pousser aussi soudainement sur les guidons pour réduire votre vitesse de près de 200 km/h en quelques secondes, et ce trois fois par tour, durant 20 minutes, c’est violent et ça finit par vous rentrer dans le corps. Mais comme c’était bon…
Vous livrer à cet exercice sur un circuit rapide, au guidon de la Hayabusa, c’est flirter avec la frontière de l’indécence, de l’insanité. Le style unique, parfois controversé, de la Hayabusa explique en partie le succès qu’elle rencontre. Mais son potentiel de performance est tel qu’il rend la grosse sportive de Suzuki très attrayante à un grand nombre d’amateurs. Les acheteurs potentiels n’exploiteront que très rarement ces capacités, et c’est aussi bien ainsi. Mais ils savent qu’elles existent bel et bien et peuvent se manifester à tout moment, ce qui 99 pour cent du temps suffit à les satisfaire. La dernière incarnation de la légendaire Hayabusa est un avion de chasse. Et elle mérite amplement d’être considérée comme la représentation même de la vitesse à l’état pur. |