Bien qu’une telle description ne soit pas nouvelle, ayant déjà été utilisée pour des montures comme la Yamaha FJR1300, la Honda ST1300 et les BMW R1200RT/K1200GT, le fait est que pour l’ex-propriétaire de sportive, ces motos ne font tout simplement pas l’affaire. Car si le confort et le côté pratique de l’équipement sont indéniablement au rendez-vous sur ces modèles, ce petit quelque chose de réellement sportif manque toujours à l’appel.
La Concours 14 est sportive.
En observant attentivement sa fiche technique, on est surpris de retrouver des composantes exotiques habituellement réservées aux supersportives : fourche inversée de gros diamètre entièrement ajustable; suspension arrière Tetra-Lever innovatrice avec monoamortisseur Kabaya, également ajustable; système de freinage avec disques en pétales et étriers avant radiaux; roues et pneus sport. Il s’agit là d’une débauche de moyens jamais vue sur une sport-tourisme. Kawasaki a poussé l’exercice jusqu’à installer un embrayage antidribble, un accessoire course que même certaines sportives pures n’ont pas encore adopté!
Les sceptiques peuvent à juste titre arguer qu’il suffirait d’installer certains de ces équipements sur les GT actuelles pour les rendre plus sportives, sauf que la conception de la Concours 14 a été guidée par une philosophie inverse. Kawasaki est parti de la surpuissante et ultrarapide ZX-14 pour en faire une authentique sport-tourisme. Le cadre monocoque est très similaire à celui de la Ninja, mais il adopte une géométrie de direction plus détendue et un bras oscillant plus long, ce qui rallonge l’empattement de 30 mm. Le 4-en-ligne de 1352 cc est «adouci» pour offrir un couple accru à bas et moyen régimes. Il est doté du tout premier système de soupapes à calage variable inspiré de l’automobile, alors que la boîte de vitesse douce et précise reçoit un sixième rapport surmultiplié.
En raison de sa filiation avec l’explosive ZX-14 (qui développe quand même 191 ch), certains attendaient un niveau de performances similaire de la part de la Concours 14, ce qui n’est simplement pas le cas. La puissance a chuté de 35 ch et le couple de 12,5 lb-pi alors que le poids est en hausse de 60 kg. Cela dit, il reste quand même 156 chevaux pour s’amuser et 102,5 lb-pi de couple, lequel est livré 3000 tr/min plus tôt que sur la Ninja, des chiffres qui sont les plus élevés de la classe. Exception faite de la puissante BMW K1200GT qui n’est pas être très loin derrière, il s’agit de sport-tourisme la plus rapide. De plus, contrairement à ses opposantes à vocation plus routière, la 14 est à l’aise à pleine vitesse, qu’elle parte comme un boulet de canon à partir d’un arrêt complet, qu’elle chasse l’horizon sur une longue route droite perdue dans le désert ou qu’elle joue les sportives sur une petite route de montagne.
La puissance est livrée de façon très linéaire, progressivement, avec une bonne dose de couple à partir du ralenti. Le gros 4-en ligne devient sérieux vers 3 000/4 000 tr/min, puis démontre assez de puissance pour satisfaire les plus exigeants amateurs de sportive de 6 000 tr/min à la zone rouge de 10 500 tr/min. Le plus impressionnant dans tout ça est la façon civilisée, voire polie, avec laquelle cette abondance de chevaux est distribuée. Le couple est si fort qu’il est possible, en sixième, de reprendre proprement et sans à-coup à un régime aussi bas que 1 500 tr/min. Même si le calage variable des soupapes contribue à cette douceur, il agit de façon complètement transparente. Sans se faire remarquer. La technologie est si simple et si commune dans l’industrie automobile qu’on se demande pourquoi elle n’est pas plus répandue et n’a pas été adoptée plus tôt sur les motos.
Les 4-en ligne sont rarement apprécié pour leur caractère – ils n’en ont tout simplement pas –, mais leur douceur est souvent citée en exemple, spécialement dans un environnement sport-tourisme. Bien que l’on ressente occasionnellement des petites vibrations dans les guidons à certains régimes, celles-ci sont bien maîtrisées sur le gros bloc de la Concours qui est un des plus doux de l’industrie.
La boîte de vitesses à six rapports est un délice à utiliser et le sixième rapport surmultiplié fera pâlir de jalousie les propriétaires de GT à boîte 5 vitesses. Elle permet d’abaisser les régimes sur l’autoroute et procure une douceur accrue.
L’embrayage est exemplaire, mais en ce qui concerne le système antidribble, il est presque inutile sur une moto de ce type, même à une allure très agressive. Sa présence, qui est donc plus superflue qu’autre chose, a pour unique but de démontrer que Kawasaki n’a pas lésiné sur les moyens sportifs.
Il est clair qu’aucune moto ne peut prétendre à l’épithète de sportive seulement parce qu’elle est rapide. Sa tenue de route doit également être à la hauteur. Et dans le cas de la Concours, elle est encore plus impressionnante que sa puissance. Les motos de cette catégorie sont traditionnellement conçues pour parcourir de longues distances confortablement plutôt que pour flirter avec des angles d’inclinaison élevés. Là encore, la Kawasaki ressort supérieure de cet exercice. Il s’agit d’une sportive lourde, certes, mais d’une sportive quand même. La position de conduite rappelle celle d’une sportive plus compacte, sans les jambes repliées à l’excès, ni un basculement exagéré du buste vers l’avant . Le pilote a toute la place requise pour ses jambes et le dos presque droit.
La stabilité est exemplaire en toute condition, que ce soit en ligne droite ou en virage, à haute vitesse. Même si la Concours est plus lourde que la Ninja, l’effort à la direction n’est pas plus important, du moins lors de la mise sur l’angle. Les changements rapides de direction demandent un certain effort de la part du pilote, mais, dans l’ensemble, la Concours reste très agile.
S’il est un domaine où la sportivité de la Concours peut-être critiquée, c’est au niveau des suspensions. En effet, elle réagit de façon évidente aux changements d’ajustements. Quelques tours de plus sur les réglages de fourche ou d’amortisseur suffisent à changer le comportement de la Concours qui cherche à se relever indument si vous maintenez la pression sur les freins en virage au lieu de négocier le virage de façon précise et naturelle. Les futures propriétaires devront donc expérimenter avec les divers réglages de suspension pour tirer pleinement profit de la tenue de route supérieure de leur monture.
L’itinéraire choisi pour le lancement du modèle, en Californie, empruntait une portion de route très sinueuse, étroite et bosselée sur laquelle la Concours aurait logiquement dû être désavantagée. Pourtant, avec sa suspension réglée à mi-chemin, elle dansait entre les virages fermement plantée sur ses appuis, même sur la chaussée endommagée. Puis, pendant 20 minutes, nous avons rencontré une section ininterrompue de grands virages rapides se négociant à 120 km/h, serpentant entre les collines aux teintes brunâtres typiques de cette partie de la Californie. La route était déserte, à l’exception de quelques pilotes locaux en sportives qui appréciaient moyennement nos exploits sur la grosse routière de Kawa. Les repose-pieds frôlaient l’asphalte dans chaque virage, dont on sortait en accélérant en grand pour freiner fort quelques centaines de mètres plus loin afin de négocier la prochaine courbe. Et le manège se répéta sans fin pendant des dizaines de kilomètres. Pour notre plus grand plaisir. Ce genre d’environnement et de rythme aurait peut-être été déplacé sur certaines des compétitrices de la Concours, qui, à l’opposé, s’y est sentie très à l’aise.
Le comportement exemplaire de la suspension arrière Tetra-Lever est à souligner à ce point. Elle élimine complètement les effets pervers du cardan et contribue grandement à la bonne tenue de route de la moto. Même les wheelies, un exercice auquel la Concours se prête volontiers, ne sont pas affectés par le comportement du cardan, ce qui est assez rare pour être souligné.
Malgré ses aptitudes à la conduite sportive, la Concours n’est pas en reste quand vient le temps de juger son confort. Avec son moteur doux, sa position de conduite équilibrée, sa selle mœlleuse, ses suspensions souples, la sport-tourisme des Verts vous traite bien. Le pare-brise électrique, bien que relativement étroit, est efficace et protège adéquatement la tête et le torse du pilote de la pression du vent lorsqu’il est réglé en position haute. Un pare-brise plus enveloppant et plus haut est offert en option. Si le courant d’air est stable et bien contrôlé avec le pare-brise en position basse, le fait de le relever génère un peu de bruit et de turbulence. Trouver un pare-brise qui reste neutre quand il est relevé est plus difficile qu’il y paraît. Celui de la Concours n’est pas mauvais, mais il n’est pas au niveau de celui de la BMW R1200RT, qui reste une référence. Ceux des modèles rivaux ne font pas mieux d’ailleurs.
Puisque l’on parle d’eux, abordons le problème bien documenté de la dissipation de la chaleur dont souffrent notamment la Honda et la Yamaha. La Concours se tire relativement bien d’affaire à ce chapitre, surtout avec ses ailerons latéraux en place. Ceux-ci sont amovibles. On les ôte quand il fait froid pour diriger plus d’air chaud vers les jambes du pilote. Inversement, l’été on les met pour évacuer l’air chaud vers l’extérieur. Bien que ça semble fonctionner correctement en temps normal, par très grande chaleur, il fait décidément chaud aux commandes de la Concours.
Le segment du tourisme sportif est synonyme d’équipement et, à cet égard, la Concours est honnête, sans plus. Le pare-brise électrique, l’ABS optionnel et les larges valises faciles à opérer constituent un plus. Comme l’électronique embarquée (contrôle en temps réel de la pression des pneus, instrumentation numérique, système KIPASS pour une conduite sans clef) qui n’a pas à rougir de la compétition. Pourtant, Kawasaki n’a pas cru bon d’équiper de série la Concours de poignées chauffantes, de selles chauffantes, ni de régulateur de vitesse en raison du caractère sportif de sa monture. Pourtant, ce sont là des équipements que les adeptes de ce segment réclament à cor et à cri. Je ne serais pas étonné de voir Kawasaki changer d’opinion à ce sujet à l’avenir.
La nouvelle Concours 14 n’est pas seulement une superbe addition à la gamme de Kawasaki et une autre preuve du dynamisme retrouvé de la compagnie. Plus que tout, elle représente une alternative très sérieuse dans ce créneau ultra compétitif orienté vers le tourisme. À tout le moins, elle offre la possibilité aux pilotes sportifs de graduer progressivement vers le tourisme, sans se sentir vieux pour autant. |