Pourtant, malgré sa nouvelle vocation, la Tiger a gardé ses airs d'échassier maladroit. Double identité ou personnalité floue? L'usage nous le dira. En attendant, la Tiger joue sur le terrain de la Multistrada et décline le plaisir sous d'autres formes.
Il aura fallu six ans à la firme d'Hinckley pour reconnaître que la Tiger n'était pas une authentique double usage, ce que ses clients lui disaient pourtant depuis un bout de temps. Elle en avait le plumage, mais pas le ramage. Dans sa tentative de se mesurer à la GS, elle avait perdu son âme. Et, au lieu de miser sur ses forces, les ingénieurs britanniques ont passé leur temps à chercher à corriger des erreurs qui provenaient du malentendu originel au sujet de l'identité de la Tiger. Aujourd'hui, elle fait table rase de son passé et nous propose des lignes plus contemporaines, dans un premier temps, et plus sportives dans un second. Jouant à la fois sur le terrain des roadsters et des Supermotard, la tigresse anglaise mise sur un équipement à la fine pointe de la technologie sportive: étriers de freins à montage radial, fourche inversée, roue avant de 17 pouces et pneus plus routiers. Dans sa métamorphose, la Triumph perd une partie de sa surcharge pondérale et voit son centre de gravité descendre un peu. Et gagne donc en agilité. Avec un poids à sec annoncé à 198 kg, elle a perdu plus de 17 kg, ce qui est énorme. Ce qui se ressent dès qu'on l'enfourche. La Tiger nouvelle mouture se manie désormais avec une aisance inédite. Sa vivacité étonne, autant que son caractère joueur.
Cependant, bien qu'elle ait fait le deuil de ses suspensions à long débattement et de sa roue avant de 19 pouces, la 1050 continue d'offrir une hauteur d'assise élevée. Ce qui surprend et ne s'explique pas vraiment. La selle qui culmine à 835 mm est inutilement haute pour la majorité des pilotes, surtout sur une moto n’ayant aucune prétention au hors route.
Avec ses jantes modernes de 17 pouces chaussées de pneus Michelin Pilot Road à vocation sport-tourisme, la Tiger trouve enfin une mission plus digne de ses aptitudes. Soit devenir une authentique routière polyvalente, malgré son look décalé. C'est du moins l'ambition qu'affichent ses géniteurs. L'adjonction d’un cadre périmétrique en aluminium plus rigide qui remplace l’ancien cadre en métal actualise son allure et bonifie sa tenue de route. L’empattement a été réduit à 1 497 mm et la chasse a été ramenée de 26 à 23,2 degrés, le déport demeurant à 88 mm. Des changements qui renforcent son caractère joueur et sportif.
Cette année, la Tiger qui est offerte en version ABS seulement, se détaille 13 999$, soit 1 000$ de moins qu'en 2007. Le tricylindre suralésé de 1 050cc est le même que celui qui équipe la Sprint ST ou la Speed Triple. Moins puissant (il accuse un déficit de 11 ch et de 17 ch comparativement à ses sœurs), le trois en ligne crache quand même 114 ch, ce qui n'est pas banal et s'accorde bien à sa vocation redéfinie. D'autant que le couple qui s'établit à 74 lb-pi à 6 250 tr/min est en hausse par rapport à celui du modèle de 955 cc de la dernière génération, tout comme le régime moteur auquel il est délivré.
Un félin dompté, mais joueur
Avec ses lignes effilées, la Tiger devient plus gracieuse, plus sensuelle. Son carénage enveloppant avec ses phares comme deux yeux en amande projette une allure féline. Avec son guidon tubulaire haut et large, son cockpit accueillant, sa selle bien rembourrée, la Tiger vous met de suite à l’aise et vous invite à prendre la route. Pourtant, la hauteur excessive de la selle limite l'accès à cette machine aux personnes mesurant plus de 1,75 m (5'9"). Les autres toucheront le sol de la pointe des pieds seulement. Et encore! Le phénomène est amplifié par la présence des valises optionnelles que l'on accroche chaque fois qu'on embarque ou qu'on débarque de l'engin. Bien qu’il ait été réduit, le poids de la Tiger est haut perché, spécialement après avoir fait le plein. Au passage, on notera que le réservoir est passé de 24 à 20 litres. Les manœuvres à l’arrêt peuvent alors poser problème. De plus, quelques à-coups d’injection désagréables, surtout à la fermeture et la réouverture des gaz, viennent nuire à la souplesse incroyable du trois cylindres. Ces à-coups ont tendance à créer un déséquilibre dans les déplacements à basse vitesse.
La selle est une des meilleures sur le marché, du moins dans ce segment très spécialisé. Large, amplement rembourrée, elle offre un confort royal qui favorise les longs voyages. Bien que l'arrière soit tronqué, le passager est bien traité. Le triangle formé par l'emplacement du guidon, de la selle et des repose-pieds placés relativement bas détermine une position de conduite proche de l'idéal. La bulle très large du carénage enveloppant de la Triumph protège bien les épaules, mais elle s’avère trop courte pour détourner l'air de la tête du pilote. Le casque est en effet affecté par des turbulences importantes. En outre, la protection pour les jambes est inexistante.
Pourtant, malgré son allure féline, la Tiger est un fauve docile, aux griffes émoussées. Un tigre de papier comme disent les Chinois. Elle n’est ni une supermotarde (trop grosse pour cela), ni une sportive (manque de rigueur). En fait, elle cherche sa véritable identité. Dès que l’on commence à rouler, elle se met à douter de ses capacités. La stabilité n'est pas réellement en cause, puisque la partie-cycle est efficace. Mais la Tiger n'offre pas la précision promise et que l'on attend d'une moto dont les prétentions sportives sont nettement affichées. Le décalage entre son allure et ses aptitudes créé rapidement une frustration chez le pilote qui aimerait attaquer sur les routes sinueuses, mais se fait rappeler à l’ordre par des suspensions qui ont du mal à encaisser les transferts de masse. La fourche a une tendance exagérée à plonger lors des freinages appuyés – c’est d’autant plus sensible que le freinage manque de progressivité –, alors que l’arrière s'écrase à l'accélération. En réglant les suspensions au plus ferme, on parvient à atténuer ce phénomène, mais c'est alors au détriment du confort.
Dans la même optique, les Michelin Pilot Road, qui sont excellents sur de nombreuses routières et sont conçus pour parcourir des milliers de kilomètres en tout confort, ne sont pas réellement en adéquation avec les prétentions sportives de la Tiger. Quand on augmente le rythme sur les routes secondaires, ils montrent les limites de leur adhérence et rendent la main rapidement. Peut-être que si Triumph n'avait pas autant mis l'accent sur les aptitudes sportives de la 1050, le problème n'aurait pas aussi notable. Là encore, la perception joue contre elle.
Ce qui est d'autant plus dommage que le trois cylindres en ligne est un moteur jouissif, à la fois puissant, coupleux et doux. Même s'il n'est pas aussi rageur que celui de la Speed Triple, il sait faire monter votre taux d'adrénaline à la vitesse Grand V. Plus linéaire que ce dernier, il convient bien à la vocation redéfinie de la tout-usage de Triumph. Cependant, la démultiplication finale est un peu trop longue et adoucit trop le caractère de la bête sur les deux derniers rapports. La souplesse du trois cylindres est bluffante. Il tire fort dès 2 000 tr/min, sans broncher. Jusqu’à 6 500 tr/min, la puissance est importante et le moteur vous gratifie d’accélérations musclées et de reprises franches. Puis, de 6 500 à 10 000 tr/min, début de la zone rouge, c’est un véritable feu d’artifice. Cette puissance est relayée par une boîte de vitesses dont les rapports se verrouillent bien et par un embrayage tout aussi onctueux.
À ce point, vous aurez compris que la sportivité annoncée par Triumph ne correspond pas réellement à nos attentes. En fait, la Tiger n'est pas une Speed Triple tout usage, et c'est là que le bât blesse. Car c'est ce qu'on pensait qu'elle serait. Pas plus qu'elle n'est une Sprint ST, soit une des meilleures routières sportives du marché. Elle souffre donc de l'excellence de ses grandes sœurs dans leur domaine respectif. Pour ce qui est de ses aptitudes au tourisme rapide, nous restons aussi sur notre faim, car la protection limitée offerte par le carénage nuit au confort global qui est d'un bon niveau, une fois les suspensions adéquatement réglées. De plus, impossible d’arrimer le moindre bagage sur la machine faute d'ancrages. Par contre, la liste des accessoires offerts par la firme d'Hinckley est exhaustive : valises rigides, sacs de réservoir, poignées chauffantes, béquille centrale et j'en passe...
Polyvalente, mais perfectible !
Contrairement à la Speed Triple qui rejette la rectitude politique et les accommodements – fussent-il raisonnables – la Tiger cherche en permanence le compromis. Elle fait le grand écart pour concilier l'inconciliable. Entre polyvalence, facilité de conduite, confort et performances, elle ménage constamment la chèvre et le chou, sans jamais parvenir à convaincre totalement. Elle est en quête d'identité. Dans son rôle de routière, la Tiger pèche par des suspensions pas vraiment convaincantes, une protection perfectible et un manque d’aspects pratiques. Comme sportive, elle est handicapée par des pneus dont la vocation n’est pas de flirter avec des angles d’inclinaison extrêmes et un freinage qui manque de progressivité. Une moto est plus que la somme de ses composantes. Et la polyvalence ne coule pas de source. C’est avant tout le résultat d’un équilibre parfait entre motorisation et partie cycle. La Tiger reste cependant une moto originale et attachante que l'on a envie d'aimer tellement on adore son moteur et ses charmes à l’anglaise… On la souhaiterait un peu plus accessible, plus affûtée et dotée d'un caractère mieux défini. |