Lors de la première apparition publique de la B-King, au Salon de Tokyo 2001, le prototype a d'emblée suscité l'intérêt du public. Au point de forcer la firme d'Hamamatsu à le mettre finalement en production, après sept années d'hésitation. Son look original et décalé à l'époque — aujourd'hui, il commence à dater un peu malgré tout, même si la machine est nouvelle — a séduit les foules. Plus par son côté radical et sans concessions que pour ses mérites esthétiques, il faut bien l'avouer. Mais aussi parce que le proto promettait un moulin d'anthologie, en l'occurrence le 4-en ligne de la Hayabusa doté d'un compresseur, qui cracherait plus de 200 ch. Suzuki n'a pas retenu cette solution — conservatisme ou choix technologique, allez savoir? — et il est difficile de l'en blâmer tellement la B-King est enivrante dans sa version définitive. Et même si la mythique V-Max délivre enfin les 200 chevaux tant attendus, elle y parvient au prix d'un poids excessif de 310 kg à sec (78 kg de plus que la Suzuki, ça commence à compter) qui risque de grever ses performances.
Une prise en main vraiment facile
Quand on voit la B-King en «personne» pour la première fois, on est impressionné par son gabarit de vaisseau spatial. En particulier la largeur exagérée du réservoir à essence qui, pourtant, n'a qu'une capacité de 16,5 litres. Lorsqu'on s’installe à son bord, ce dernier s'impose à votre vue tant il est énorme. Cependant, les échancrures dans sa partie inférieure permettent au pilote, quelle que soit sa morphologie, de bien caler ses genoux, sans gêne. Le large guidon tubulaire est passablement éloigné du pilote, ce qui l'oblige à conduire les bras légèrement tendus et nuit un peu à la maniabilité. La selle est raisonnablement basse (805 mm) et on peut poser les pieds bien à plat sur le sol à l'arrêt, sauf si on mesure moins de 1,70 m. Par contre, en raison de sa section arrière surélevée, la selle offre peu de place au pilote pour se reculer et changer de position.
En mouvement, la B-King se révèle plus facile à emmener que son allure le suggère. Sans être une moyenne cylindrée, elle se manie facilement, même à basse vitesse. En ville, elle ne se montre pas trop handicapée par ses mensurations XXL et se faufile bien dans la circulation dense. Il suffit de se caler sur le deuxième ou le troisième rapport et de se balader sur le couple. Effectuer un demi-tour est facilité par le rayon de braquage assez court, la largeur importante du guidon et la hauteur d'assise raisonnable. La standard de Suzuki met tout de suite en confiance et on assimile rapidement son mode d'emploi.
Une routière polyvalente...
Une fois sortie de la ville, où elle se sent un peu comme un pitbull en laisse, prête à mordre, la B-King évolue dans un environnement plus à sa démesure. Si son look nous incite à penser qu'elle est conçue avant tout pour les pistes d’accélération, ses prestations routières surprennent et révèlent une moto plus polyvalente qu'il n'y paraît. Sans être aussi agile qu'une GSX-R750, la B-King n'est pas pataude pour autant. Elle demande un pilotage physique, certes — il faut la pousser un peu dans les enchaînements de virages —, mais elle se tire mieux d'affaire qu'on le penserait de prime abord. Elle est plus efficace quand on la conduit en finesse plutôt qu'en force, auquel cas elle se rebiffe. Cependant, elle demande une certaine anticipation dans le pilotage et une concentration de tous les instants, spécialement lorsque la cadence est élevée. D'autant qu'elle pardonne moins les erreurs et les abus que certaines autres sportives. Son comportement est neutre, certes, mais il faut la respecter et ne pas se laisser dominer par elle. On est quand même en présence d'une brute de plus de 180 chevaux pesant 235 kilos à sec. Docile, oui! Mais surpuissante aussi... Quiconque aborderait la B-King avec nonchalance ou excès de confiance risquerait d'en payer le prix tôt ou tard. L'humilité reste encore la meilleure parade dans un tel cas de figure!
Sur une route au revêtement en bon état, la grosse Suzuki fait preuve d'un confort étonnant et d'une stabilité imperturbable. Avec son long empattement de 1 525 mm, elle procure une tenue de cap irréprochable. Homogène, elle reste très unie quand la chaussée se dégrade. Cependant, ses suspensions sportives deviennent un peu plus sêches et vous secouent davantage sur les bosses. Sa géométrie de sportive (chasse : 25,5 degrés, déport : 107 mm) lui garantit une bonne réactivité. Le train avant est vif et précis, mais jamais nerveux (Suzuki a installé un amortisseur de direction de série pour contrer tout mouvement indésirable de la direction). Cependant, les pneus Dunlop Qualifier qui la chaussent d'origine la handicapent, surtout le pneu avant. En effet, en raison de son profil particulier, il résiste à la mise sur l'angle initiale et «tombe» d'un coup passé ce cap. Vraiment déconcertant et déjà observé sur d'autres motos (Yamaha FJR1300, KTM SuperDuke...) chaussées en Dunlop. Le passage aux Michelin Pilot, aux Bridgestone BT010 ou BT020 ou aux Continental Road Attack a corrigé ce trait de caractère sur les machines précitées. La tenue de route en courbe rapide est rassurante — un vrai rail — et les virages serrés se négocient presque facilement. Il suffit d'une bonne poussée sur le guidon et les repose-pieds pour inscrire la Suzuki en courbe. Le large pneu arrière de 200 mm ralentit un peu la direction, mais, en contrepartie, il offre une motricité phénoménale que l'on apprécie en sortie de courbe. Le freinage et les suspensions réglables dans tous les sens sont au niveau de ce qu'on retrouve sur les hypersportives contemporaines. Heureusement, car les transferts de masse, lors de freinages appuyés ou d'accélérations violentes, sont considérables. À ce sujet, l'embrayage équipé d’un limiteur de couple empêche la roue arrière de sautiller lors des rétrogradages et permet de garder le contrôle de la direction. Sur ce genre de machine, un tel dispositif n'est pas un gadget.
...qui aime aussi voyager
Lors d'une balade dans les Cantons-de-l'Est, nous avons pu apprécier les aptitudes au tourisme du gros roadster d'Hamamatsu. À un rythme de croisière pépère, on n'a pas l'impression d'être aux commandes d"un monstre de puissance. On adopte un pilotage coulé. On coupe les gaz à l'approche des virages pour se laisser ralentir par le frein moteur, on négocie la courbe en venant tutoyer le point de corde et on remet les gaz tranquillement en se redressant. Quand les virages se succèdent, l'opération prend alors des airs de ballet classique. On danse d'un virage à l'autre, sans à-coups, en poussant sur le guidon et les repose-pieds. Le truc est de rester «zen» et de ne rien brusquer. Très docile à bas régime, le bloc de 1 340 cc de la B-King reprend sur un filet de gaz dès 2 000 tr/min. Sans brouter, même sur les rapports élevés. Entre 2 000 et 6 500 tr/min, il procure un couple de tracteur et une puissance déjà importante, mais tout à fait raisonnable. Ce n'est qu'après que les choses se gâtent... mais ça, c'est une autre histoire!
La position de conduite en appui sur le guidon et la distance réduite entre la selle et les repose-pieds, spécialement pour les grands échalas, nuit un peu à l'agrément qu'on éprouve aux commandes de la B-King dans ce genre d'exercice. Les suspensions quoique fermes font un bon boulot et procurent un confort adéquat. En plus d'une rigueur appréciée quand le rythme augmente. Ajoutez un petit pare-prise optionnel pour une protection accrue et deux sacoches souples et vous obtenez une routière sportive capable de faire la nique à plusieurs montures spécialisées dans le tourisme rapide.
Relativement confortable, la selle autorise de longues excursions sans réel problème. Néanmoins, elle empêche le pilote de changer de position, ce qui peut s'avérer gênant sur un parcours plus long. La partie arrière, celle réservée au passager, n'est pas vraiment accueillante. Ce dernier se retrouve assis haut perché, les jambes fortement repliées et la tête secouée par les turbulences. À ce chapitre, la B-King ne fait pas mieux que la plupart des sportives qui traitent leur passager comme un surplus de bagages dont on a hâte de se débarrasser. D'autant que sa présence se fait ressentir au niveau du pilotage.
Un caractère envoûtant
Originale, la B-King l'est assurément. Polyvalente, aussi. Mais ce qui fait son charme unique, c'est son caractère démoniaque qui vous marque au fer rouge. Pourtant, j'ai déjà piloté des Hayabusa, des ZX-14, des K1200S ou des hypersportives modernes, des machines qui ne laissent pas leur place en termes de performance pure. Mais retrouver une telle débauche de moyens sur un roadster dénué de carénage ou de tout autres formes de protection contre les éléments remet les choses en perspective. Pour exploiter la bête sans souffrir, on doit d'abord faire un passage par la salle de musculation et renforcer les muscles de notre cou ainsi que nos biceps et triceps. On doit aussi apprendre à maîtriser l'apnée, si on ve veut pas mourir par asphyxie à l'approche de la zone rouge. À moins de porter un masque comme les pilotes d'avions à réaction.
Car, vous l'aurez deviné, le 4-en ligne de la B-King n'est pas une enclume. Loin de là ! Il a beau être souple et coupleux, quand on tourne l'accélérateur dans le bon sens, avec vigueur, nos bras s’allongent et notre casque se met à peser une tonne. En l'absence de carénage, il faut se coucher sur le réservoir et rentrer la tête dans les épaules pour contrer la formidable poussée de ce moteur de fou. Sur les deux premières vitesses, la roue avant décolle à l'accélération quand on étire les rapports. Entre 7 000 et 10 500 tr/min, début de la zone rouge, le moteur de la B-King tire en «tabarnak» et transforme une moto jusque-là docile en dragster «Top Fuel». Les accros à l'adrénaline seront comblés, à condition d'être capables de maîtriser cette violence. Car sans contrôle, la puissance n'est rien!
Maintenant, reste savoir si une telle puissance est raisonnable, voire utile. Pour moi, la question est sans intérêt; parler d'utilité ou de raison dans le cas des deux-roues est, par définition, un pléonasme. Même si la B-King ne correspond pas exactement à mon idéal, je dois avouer que j'ai pris un plaisir inouï à son guidon. C'est une moto homogène, performante et beaucoup plus polyvalente que les apparences le laissent supposer. Un exercice de futilité, certes. Mais, comme l'écrivait l'auteur français René Barjavel: «L'inutile et le superflu sont plus indispensables à l'homme que le nécessaire.»
* (un bosozoku est un membre d'un gang motocycliste japonais, habituellement jeune, adepte de modifications extrêmes, souvent de mauvais goût et presque toujours illégales, qui élève la conduite dangereuse en ville au niveau d'un art de vivre. Les bosozoku sont souvent représentés dans les mangas.) |