Présentée en exclusivité au Mondial du Deux roues, à Paris, en octobre dernier, la 690 Duke est l'un des trois monocylindres lancés en 2008 par KTM, sur la base de la 690 Supermoto de l'an dernier. Équipée du LC4 nouveau cru, elle est capable d’atteindre les 200 km/h chrono (couché sur le réservoir) en un tour d'accélérateur. C'est un véritable mono d’usine qui envoie de l’air et distille les sensations fortes. Rare, belle et chère, l'aristocratique Duchesse blanche ne fricote pas avec le bon peuple et ne se livre pas au premier venu. Avant de pouvoir la coucher dans votre garage, vous devrez délier les cordons de la bourse – vous avouerez que 10 498 $ pour un monocylindre de 690 cc, ce n'est pas donné –, mais aussi affûter vos sens et rafraîchir votre technique de pilotage. Car si la KTM est vénale, elle n'aime pas être prise à la légère. Avec elle, c'est tout ou rien! Exclusive, elle ne fait pas dans la demi-mesure. Elle n'est pas là pour effeuiller la marguerite, mais pour passer à l'acte, sauvagement, avec passion.
Coquette l'Autrichienne!
Visuellement, la 690 Duke étonne. Surtout dans sa robe blanche et noire qui renforce son côté aristo. Il faudrait vraiment être mesquin pour chercher à critiquer le coup de crayon de son concepteur. D'autant que son côté tape-à-l'œil n'a rien à envier à la concurrence. Difficile de confondre la Duke avec une autre moto. Pour compléter le tableau, l'originalité rejoint la qualité de fabrication. La finition est irréprochable. Le châssis treillis tubulaire en acier au chrome molybdène peint en noir, est remarquable tant au niveau de la finition que de la rigueur de son comportement. Tout comme la fourche inversée dont les tubes plongeurs sont protégés des projections de cailloux et autres débris par un déflecteur en plastique intégré au garde-boue. Ou l’énorme disque avant Brembo pincé par un étrier radial à quatre pistons. Même le bras oscillant en aluminium extrudé, avec ses renforts structurels, fait très sérieux. En un mot, tous les composants démontrent le même souci de qualité. Et c’est dans les petits détails que l’on voit le sérieux de la petite KTM : guidon tubulaire Renthal à diamètre variable, leviers des maîtres-cylindres radiaux, intégration de la tête de fourche, poignée des gaz à la sensibilité presque trop fine pour une moto de route, suspensions réglables dans tous les sens. Ces caractéristiques font davantage penser à de la haute couture qu'à du prêt-à-porter mécanique.
Puis on jette une jambe par-dessus la selle et on découvre une moto haute d'assise (865 mm), mais quand même plus accessible que les autres Katé de route. Du haut de mes 1,76 m, je touche le sol des deux pieds. Très étroite, la Duke a le profil d'un scalpel prêt à découper l’asphalte. Le tableau de bord est sobre, facilement lisible et complet. À la KTM ! Il propose un compte-tour, un compteur de vitesse, un double totaliseur kilométrique avec partiel, une jauge de température, une horloge, un indicateur de réserve et un témoin d’alarme. On regrette par contre l’absence d’une jauge à essence (il y a néanmoins un témoin de réserve). La selle est également dans la tradition KTM : fine et dure comme un deux par quatre. À croire que les ingénieurs de Mattighofen sont sado-masos... Mais le confort est une notion relative qui dépend largement de l’usage auquel la moto se destine. Dans le cas présent, on n'est pas en présence d’une voyageuse transcontinentale, mais d’un jouet pour grands enfants qui refusent de vieillir et dont le seuil de tolérance à la douleur est peut-être plus élevé que le nôtre...
Les moyens de ses ambitions
La position de conduite est moins typée Supermoto que sur l'ancienne Duke, malgré le guidon large et relevé. On conduit les bras écartés, le dos à peine penché vers l'avant et les jambes parfaitement repliées. Le mini capot de phare offre une protection adéquate en ville ou sur les petites routes sinueuses, mais rend la main une fois sur l’autoroute. Surtout quand on dépasse 140 km/h. Pour atteindre les 200 km/h chrono annoncés, il faut rentrer la tête dans les épaules, les coudes dans les côtes et se coucher sur le réservoir à essence. Celui-ci est positionné de façon classique contrairement aux SMC et Enduro sur lesquelles il est logé sous la selle. Il est plus volumineux et contient 13,5 L (contre 12 L sur les autres 690). Cette disposition permet d'augmenter le volume de la boîte à air et d'accroître les performances. Le réservoir court et ventru permet de bien tenir la moto avec les cuisses et les genoux. Il place le pilote près du guidon, comme sur une machine hors route. Les repose-pieds sont légèrement reculés. On fait corps avec la Duke immédiatement, mais il faut un peu de temps pour trouver la position de conduite idéale, laquelle se situe à mi-chemin entre celles d'une Supermoto et d'une sportive.
Le rayon de braquage est excellent et contribue à l’extraordinaire maniabilité de la Duke qui se comporte comme un vélo. Il faut dire que le poids à sec de 148,5 kg favorise la prise en main. Cependant, la conduite en ville réclame toute votre attention. Le tirage final est plus long que sur la SM et la poignée des gaz est sensible, malgré le système d’assistance. Il est difficile de maintenir une ouverture constante des gaz à basse vitesse (en bas de 3 000 tours, la Duke cogne férocement) et il faut jouer de l’embrayage pour contrôler les à-coups et arrondir la remise des gaz. On ne peut pas exiger d'un monocylindre développant 65 chevaux d'offrir en plus la souplesse d'un quatre cylindres d'un litre.
La Duke dispose du système d'injection Keihin EPT (Electronic Power Throttle), à ouverture du papillon pilotée électroniquement, pour réduire les à-coups à bas régime en cas d'accélération brusque. Mais elle offre également un dispositif de cartographie paramétrable qui permet de déterminer le caractère du moteur. Situé sous la selle, derrière la cuisse droite du pilote, et actionné par une grosse molette, ce dispositif offre 10 positions, mais seulement trois réglages sont opérants à l'heure actuelle : soft (mode 1), agressif (mode 2) et normal (mode 3). Pour l'activer, il faut choisir son mode sur la molette, puis couper et remettre le contact. En mode 2, la réponse entre la rotation de la poignée et l'ouverture du papillon est directe et le moteur offre sa pleine puissance. En mode 3, le temps de réponse s'allonge, mais la puissance ne change pas, tandis qu'en mode 1, le moteur perd environ 30% de sa puissance et le temps de réponse est lent (parfait pour les néophytes ou la conduite en ville). Les positions 4 à 10 sont réglées au mode 3 et démontrent que KTM envisage d'adapter ce système à d'autres motos. Sur notre machine d'essai, la cartographie nous a été livrée d'origine en mode 2. Si la réponse est directe et correspond bien à une utilisation sur circuit, elle est trop violente en ville ou sur les petites secondaires. La conduite devient vite saccadée, voire désagréable. Dans ces cas de figure, la Duke est très physique à piloter et manque franchement de souplesse. Une fois réglée en position 3, la machine reste puissante, mais elle se montre moins caractérielle.
Comme un cheval fou...
Une fois sortie de la ville, à l’écart des autoroutes rectilignes et monotones, la Duchesse se réveille et démontre tout son potentiel. Grâce à son châssis aussi rigide qu’agile, elle transforme la moindre portion sinueuse de route en circuit improvisé. Et là, elle fait étalage de son talent et de ses aptitudes sportives. Elle se permet toutes sortes de figures acrobatiques (wheelies, stoppies, dérapages contrôlés...) et se montre joueuse, mais aussi extrêmement stable, même en conduite agressive. Elle maintient sa trajectoire avec précision, en toutes circonstances, quelle que soit la configuration des virages et elle ne cherche pas à se relever exagérément au freinage, en courbe. Le comportement des suspensions est sans reproches et la tenue de route impeccable. Grâce à son poids-plume, son pneu arrière de 160 et son agilité extraordinaire, c'est un jouet dans ce genre d'environnement. Elle se balance sans retenue, danse d'un virage à l'autre avec l'agilité d'un petit rat sur ses pointes et dessine ses trajectoires avec la précision d'un horloger suisse. Le large guidon tubulaire procure un bras de levier important, mais il ne faut pas s'y accrocher trop fort au risque de déstabiliser la machine. La douceur est de mise. Dans les grands virages rapides, la Duke se métamorphose en bête de circuit. Le châssis très rigide est extrêmement stable, même à haute vitesse. Difficile de trouver plus grisant que la Katé en mode «fun»... D'autant plus surprenant qu'il s'agit seulement d'un monocylindre de moyenne cylindrée. Les pneus radiaux Dunlop Sportmax GPR à gomme tendre collent à la route comme les insectes sur du papier tue-mouche. Ils vous permettent de lécher l’asphalte et d’explorer les limites de la traction et de l’inclinaison en virage.
Dès que la route s’ouvre devant vous, le moteur vous surprend. Il possède une sacrée santé et un coffre important pour un mono de 654 cc. Il développe 65 ch à 7 500 tr/min et le couple atteint 47,73 lb-pi à 6 550 tr/min. Pas mal, dans les circonstances! Pas vraiment souple, il cesse cependant de cogner au-dessus de 3 000 tr/min et commence à tirer avec autorité dès 4 000 tr/min. Entre 5 000 et 7 500 tours, il allonge la foulée avec force. Mais le plus surprenant est la facilité avec laquelle on peut exploiter cette puissance et la faire passer au sol. On monte les rapports à la volée, sans effort et on profite de la douceur offerte par l’injection à moyens régimes. Tout en bénéficiant de montées en régimes rageuses, enivrantes. Le frein moteur est parfaitement contrôlé par l’embrayage à limiteur de couple qui empêche la roue arrière de bloquer lors de rétrogradages violents. Quant aux vibrations, elles sont très présentes entre 6 000 et 8 000 tr/min, malgré l’arbre d’équilibrage! Puisqu'on en est au temps des reproches, notons également un léger à-coup à la réouverture des gaz.
La Duke se rattrape par ses excellentes reprises. À 90 km/h, en sixième, il suffit de descendre un ou deux rapports pour repartir de plus belle. Mais dès 130 km/h (soit 5 200 tr/min), les reprises sur le dernier rapport sont franches et permettent de doubler avec autorité! La Katé atteint sa vitesse maxi (200 km/h compteur) avec une facilité déconcertante. Plus la cadence augmente, plus elle semble facile à maîtriser. Et plus elle impressionne. Au point de faire oublier sa faible cylindrée. Sur l'autoroute, elle maintient une vitesse de croisière de 150 km/h sans que le moteur semble forcer ou que le confort en pâtisse. Au-delà, le manque de protection devient évident et il faut se recroqueviller comme un escargot dans sa coquille pour contrer la pression de l'air. Mais, bon... ce n'est pas vraiment l'usage auquel elle se destine.
Bien que la KTM n'utilise qu'un simple disque à l’avant (il s’agit tout de même d’un Brembo de 320 mm de diamètre avec étrier radial à quatre pistons), la force de ralentissement est exceptionnelle. La moto reste très stable au freinage et c'est un jeu d'enfant de la mettre en équilibre sur la roue avant, le cul dans les airs. Le frein arrière manque de progressivité et il n’y a pas besoin de freiner fort pour mettre l’arrière en dérapage... facilement contrôlable cependant. Si le cœur vous en dit, vous pourrez laisser de longues traînées noires sur l’asphalte dans un bruit de crissement de pneu qui réveillera les automobilistes endormis ou inattentifs.
Le prix du plaisir
Ultralégère, agile, maniable et hyper performante, la Duchesse dispose d'une partie cycle sportive faisant preuve d'une extrême rigueur. C’est la «motojouet» par excellence, qui permet de s’amuser au maximum sans prendre trop de risques. Marge de sécurité importante et fun garanti! Par contre, ne comptez pas sur elle pour vous mener au bout du pays en tout confort. Ce n’est pas vraiment sa tasse de thé. Très plaisante à piloter et super efficace, son tarif la place cependant dans un créneau où la compétition est forte et de haut niveau. Plus chère qu'une Ducati Monster 696 (9 495 $) ou qu'une Triumph Street Triple (9 999 $), la KTM (10 498 $) facture l'exclusivité à un tarif princier. Sans être aussi polyvalente que ces deux dernières. Ni aussi complète. Car transporter un passager sur la Duke l'ampute d'une bonne partie de son capital «fun». Pour le pilote, comme le passager. Il s'agit d'une moto aristocratique, pour pilote «mono-maniaque», jouisseur et célibataire. Le genre de moto que les jeunes «skaters» saluent sur son passage, comme si elle était des leurs, sur laquelle les regards se retournent et pour laquelle les autos s'arrêtent dans le trafic afin que leur conducteur puisse observer la bête à loisir (c'est arrivé alors que j'étais à la terrasse d'un resto avec mon chum Éric)... Une moto pour pilote averti, jeune de cœur et d'esprit. Et monétairement à l'aise! |