Annoncée par KTM comme la machine qui allait révolutionner les twins sportifs, la RC8 (pour Road Competition 8 Valves) remplit d'emblée une partie de ses promesses. En effet, son look agressif aux lignes acérées, taillées à la machette, se démarque immédiatement des standards de la production actuelle. On reconnaît de suite la patte du studio de design Kiska, à qui on doit, entre autres choses, les Duke, Super Duke et Supermoto. Pour le reste, nous réservons notre jugement en attendant un match comparatif avec les ténors de la catégorie que sont la Ducati 1098 et la nouvelle Buell 1125 R. Ce qui n'empêche pas la RC8 d'être fidèle au slogan «Ready To Race» de KTM et de perpétuer la réputation de performance, d'efficacité et de non-conformisme du manufacturier autrichien.
L'appel de la piste
Compte tenu du caractère exclusif et résolument sportif de la KTM, je me suis débrouillé pour disposer d'un circuit sur lequel attester les assertions de la firme de Mattighofen. Après avoir vérifié l'horaire de l'Autodrome Saint-Eustache, rendez-vous fut pris pour le mardi 30 septembre. Malgré la date tardive de ce test et les mauvaises conditions météorologiques qui sévissaient alors sur la région de Montréal, la journée s'est révélée superbe. Relativement chaude dans les circonstances et ensoleillée. Plus chanceux, tu meurs! Pour ma part, j'étais en pleine forme, prêt à relever le défi. Durant la journée, j'ai effectué une douzaine de sorties de 15 minutes chacune et parcouru plus de 200 kilomètres sur le tracé de Saint-Eustache qui se révèle assez technique et exigeant, malgré sa longueur réduite de 1,7 km. Et en semaine, j'ai pu profiter d'une belle journée pour accumuler un autre 300 km sur route afin de valider les impressions recueillies sur la piste.
La RC8 est un beau bébé de 188 kg à sec dont le bicylindre en V à 75 degrés développe 155 ch à 10 000 tours. Pas mal, mais pas comparable aux puissances annoncées par les sportives d'un litre japonaises qui flirtent avec la barre des 200 ch. Néanmoins, il s'agit d'un chiffre très proche de la puissance d'une Ducati 1098, sa principale concurrente, qui clame 160 ch pour 173 kg à sec.
La RC8 est très facile à prendre en main, pour une sportive annoncée comme radicale. Je dois dire que ce trait de caractère m'a d'autant surpris que je m'attendais à être maltraité par la bête et à souffrir dans le processus. En fait, il n'en a rien été. Dès les premiers tours de roue, je me suis senti immédiatement bien. La position de conduite, avec les réglages de base, est moins radicale que sur beaucoup de sportives modernes. Le pilote est légèrement balancé vers l'avant, en appui sur les poignets. En haut de 120 km/h, la pression du vent sur le haut du corps réduit cette pression et plus la vitesse augmente, moins on la ressent. Sur circuit, elle est à peine notable. Les jambes ne sont pas trop repliées et le pilote peut se déplacer facilement sur la selle. Même le confort est raisonnable, ce dont on doute de prime abord, en observant la selle minimaliste. La protection offerte par le carénage est dans la norme, pour une sportive. À haute vitesse, il suffit de se coucher un peu sur le réservoir pour combattre efficacement les éléments.
Plus puissant et plus coupleux que le V-Twin de la Super Duke R qui lui rend 23 chevaux et 17 lb-pi de couple, le V2 de la RC8 n'affiche cependant pas un caractère aussi explosif. Il est efficace, permet de se faire plaisir sur piste comme sur route, mais il n'a pas ce petit côté délinquant qui fait le charme de la Super Duke. Très réactif et bénéficiant d'un volant d'inertie relativement léger, le bicylindre prend ses tours rapidement. Sa puissance est disponible sur une large plage de régime. Dès 6 000 tr/min, il fait preuve d'une belle vigueur qui lui permet de sortir des courbes avec autorité. Plus linéaire que le LC8 en version R, il tracte cependant avec force entre 9 000 et 11 000 tr/min, régime auquel le rupteur entre en action. La souplesse est moyenne, et la moto a tendance à brouter en bas de 3 000 tr/min. Il faut alors jouer de l'embrayage pour arrondir la conduite. D'autant que la RC8 souffre du même problème d'injection que nous avions noté sur la Super Duke R, bien qu'il soit légèrement moins marqué dans le cas de la sportive. La KTM génère beaucoup d'à-coups à la remise des gaz, ce qui rend la conduite saccadée, particulièrement en entrée et en sortie de courbe. Difficile dans ces conditions de rouler en douceur, sur un filet de gaz. C'est également gênant en ville, mais aussi sur les petites routes sinueuses où l'on doit fermer et ouvrir les gaz souvent.
De plus, la transmission n'affiche pas la précision des boîtes japonaises. Elle manque de douceur et de précision. Les vitesses n'accrochent pas toujours bien, au point que durant notre essai, il m'est arrivé à plusieurs reprises de voir un rapport décrocher et d'entendre le moteur hurler de douleur en s'élançant en surrégime.
La partie cycle est réglable dans tous les sens, ce qui est très pratique pour une moto de course. Cependant, cela complique la mise au point de la machine, spécialement quand on passe de la route à la piste, où les impératifs sont différents, mais aussi quand plusieurs pilotes doivent partager la même moto dans le cadre d'un essai, par exemple. À moins de savoir ce que vous faites, il est préférable de confier cette mise au point à un technicien qualifié et compétent. À Saint-Eustache, j'avais conservé les réglages d'usine, lesquels me convenaient bien en raison de mon style de pilotage et de mon expérience réduite du circuit. Par contre, quand Michael Leon et Erick Beauséjour, les deux pilotes de l'équipe KTM Canada en championnat Canadian Thunder ont essayé la machine, ils l'ont trouvée trop molle, mal adaptée à la piste. En premier lieu, ils n'ont pas aimé la position de conduite trop relevée à leur goût. Pour leurs besoins, ils auraient voulu baisser les guidons (une opération facile qui s'effectue en un tour de main), relever l'arrière de la moto, affermir les suspensions et modifier la géométrie générale de la moto (empattement, chasse, déport, assiette). À la fin de la journée, au fur et à mesure que je me familiarisais avec la moto et la piste, j'ai également ressenti la nécessité de durcir la suspension, spécialement la fourche, afin d'augmenter sa précision en courbe, qui est cependant très bonne, et sa motricité en sortie de courbe.
Le Superbike de Mattighofen affiche néanmoins un comportement très sain sur piste, lequel peut être encore affiné par des réglages plus pointus. Personnellement, je l'ai trouvée très agile pour son gabarit. Elle négocie les virages lents et les chicanes avec aisance, d'une bonne poussée sur les guidons. La stabilité en courbe est excellente et la RC8 conserve une bonne vitesse de passage en courbe, sans se dandiner. Le train avant inspire confiance et incite à explorer les limites de la machine, mais surtout les nôtres. L'amortisseur de direction placé sur le té de fourche supérieur permet de contrer toute velléité de mouvement intempestif.
Des manières civilisées sur route
Sortie de son environnement de prédilection, la RC8 demeure très agréable à piloter, particulièrement avec les réglages de base qui favorisent une conduite routière. Elle conserve bien entendu ses traits de caractère génétiques et réclame rapidement un parcours sinueux pour s'exprimer pleinement. Paradoxalement, la position qui s'avérait trop routière sur circuit devient un poil plus radicale, sans pour autant être aussi extrême que celle d'une Ducati 1098, d'une Kawasaki ZX-10R ou d'une Yamaha R1. À des vitesses légales, l'appui sur les poignets se fait vite ressentir et le seul remède pour s'en débarrasser est de rouler plus vite. La pression du vent permet alors de diminuer l'appui et de relaxer un peu.
Sur route, on ressent plus nettement les vibrations du V-twin à mi-régimes. Alors qu'on les oubliait presque sur le circuit, elles nous chatouillent soudainement les pieds, les mains, le postérieur et brouillent l'image renvoyée par les rétroviseurs. L'agrément de conduite en prend un coup, d'autant que l'on évolue plus souvent à ces régimes sur route que sur piste où le moteur est en pleine charge la majorité du temps. La sensibilité de l'accélérateur et la réponse brutale de l'injection se font également plus évidentes, surtout dans la circulation urbaine. Dans cet environnement, le moteur a tendance à chauffer rapidement, au niveau des cuisses et de façon plus prononcée du côté gauche. Cet apport thermique est apprécié en octobre, quand la température peine à dépasser les dix degrés Celsius, mais dans le trafic, en plein mois d'août, ça doit être l'enfer. La hauteur élevée de la selle est un handicap dans ces conditions, même réglée à la position la plus basse.
Une fois que l'on sort de la région métropolitaine et que l'on emprunte les routes sinueuses des Laurentides, la KTM retrouve ses qualités intrinsèques. Avec sa partie cycle joueuse et son moteur disponible et réactif, on s'amuse ferme à son guidon, d'autant que le couple important du bicylindre en V permet de danser d'un virage à l'autre sans effort, ni fatigue, à un rythme élevé. Si on veut adopter une cadence plus sportive, il suffit d'ouvrir l'accélérateur en grand et de faire confiance à la maniabilité, à l'agilité et à la rigueur du châssis. Ainsi qu'à la puissance impressionnante des Brembo monoblocs de grand diamètre. Ils sont faciles à doser et offrent une bonne rétroaction. Quand le revêtement se dégrade, la sportive de KTM rechigne et montre son mécontentement. La sécheresse du mono-amortisseur sur les petites bosses génère des coups qui se transmettent directement à votre colonne vertébrale. La fourche, qui est un peu trop souple dans son réglage d'origine, est également déstabilisée sur ce genre de terrain.
Pour vous promener en bonne compagnie, KTM a prévu un coussin de selle qui s'installe sur la queue en deux secondes (il suffit d'enlever les deux bouchons de plastique et de fixer la selle passager en place) et des reposes-pied amovibles qui s'installent et se déposent d'un coup de clé. Vous aurez compris qu'il s'agit là d'une solution de dépannage et non d'une option «touring» qui vous permettrait de faire le tour de la province accompagné. À moins que vous soyez tous les deux masos... ou que vous désiriez rester seul encore longtemps.
Aux âmes biens nées...
Pour sa première incursion dans le créneau hyper compétitif des sportives d'un litre dans lequel les motos japonaises et italiennes règnent en maître depuis des décennies, KTM a frappé dans le mille. Elle est non seulement belle, avec sa robe orange et noire qui la met en valeur, mais elle est aussi non consensuelle. Ses lignes ne laissent personne indifférent : on déteste ou on adore. La RC8 fait preuve d'une belle efficacité et d'une homogénéité certaine. Ce n'est pas la meilleure machine de Superbike au monde, ni même la machine qui va révolutionner les twins sportifs, mais elle possède le potentiel pour bien faire. Avec son châssis intègre que l'on peut ajuster dans toutes les directions, son bicylindre en V puissant, à défaut d'être aussi expressif que celui d'une Ducati 1098, la RC8 est un régal à piloter. Les petits défauts qu'on peut lui reprocher ne sont pas rédhibitoires et peuvent facilement être corrigés. De plus, les composants qu'elle utilise sont de haute facture (roues Marchesini, freins Brembo monoblocs à fixation radiale, suspensions WP de compétition, cadre treillis tubulaire léger et rigide, bras oscillant massif, en alu cloisonné...). Exclusive par son prix élevé (20 999 $) et sa rareté (moins d'une cinquantaine de RC8 seraient importées au Canada), la sportive de KTM devrait s'imposer comme une réplique de Superbike recherchée par les amateurs de motos exotiques. |