Le créneau des grandes voyageuses a longtemps été la chasse gardée de la marque allemande. Et la K1200GT, lancée en 2006, en est l'une des meilleures représentantes sur le marché, avec la Kawasaki Concours 1400 qui partage la même mission, bien qu'elle l'interprête un peu différemment. Les deux redéfinissent la classe «Grand Tourisme» – une catégorie mythique dans l'industrie automobile, mais un peu délaissée dans la moto – et lui redonnent ses lettres de noblesse. Elles revendiquent leur héritage sportif haut et fort, ce qui ne les empêchent pas d'offir un confort royal et un équipement à la fine pointe de la technologie.
Un missile de croisière
La K1200GT est une moto impressionnante, une de celles qui m'a le plus marqué ces dernières années. Non que sa puissance soit ahurissante – elle affiche tout de même 152 chevaux à 9 500 tr/min au vilebrequin, même si plusieurs motos, dont la Suzuki B-King essayée plus tôt cette saison la surpasse allègrement à ce chapitre (184 ch) –, mais c'est surtout le travail réalisé par les ingénieurs bavarois en terme de liaison au sol qui me sidère. Difficile de contester la supériorité dynamique de la K1200GT et sa facilité de prise en main étonnante pour une moto de son gabarit. Dérivée de la K1200S sortie fin 2004, la GT reprend la plateforme de cette dernière. Sous son large carénage anguleux, se cachent les dessous affriolants de la sportive S – châssis et moteur – dont la GT reprend l’essentiel. Avec ses lignes acérées d’avion de chasse furtif, elle respire la performance et donne envie de tailler la route à une vitesse supersonique. Ce dont elle est tout à fait capable. En effet, la K1200GT est l'une des routières sportives les plus puissantes sur le marché, avec la Kawasaki Concours 14 (156 ch) et la vénérable Yamaha FJR 1300 (143 ch). Et ses prétentions sont appuyées par une partie cycle affûtée et des solutions technologiques innovantes (ABS partiellement intégral, suspensions électroniques, cardan lubrifié à vie, fourche à parallélogramme en alu coulé, position de conduite ajustable en tous sens, régulateur de vitesse, indicateur d’usure des plaquettes de frein…). Jamais autant de technologie n’a été embarquée sur une GT.
Malgré la disparition précoce de l'été, j'ai eu l'occasion de passer deux semaines en compagnie de la GT que j'avais déjà pilotée en 2006, lors de sa sortie. Et, comme ce fut le cas la première fois, je suis resté sur le cul. Personnellement, je ne suis pas un amateur de grosses cylindrées – routières ou sportives – leur préférant de loin la maniabilité et l'efficacité d'un twin standard au caractère bien trempé. N'allez pas croire que je crache sur la performance de ces gros cubes – j'adore le sentiment de puissance et de force brute qu'ils transmettent à l'accélération –, mais je ne suis pas prêt à lui sacrifier le plaisir de pilotage qu'offrent les motos au gabarit plus raisonnable. Pourtant, dans le cas de la GT, je dois avouer qu'elle m'a bluffé. Facile à prendre en mains malgré ses mensurations de yatch, elle se pilote très facilement, faisant même preuve d'une agilité étonnante. Volumineuse, large, d'apparence haute, la K 1200 GT vous accueille sans chichi. Avec la selle d'origine réglée en position basse (820 mm), je pose les pieds bien à plat au sol du haut de mes 1,76 m. Et je suis prêt à tailler la route, le sourire aux lèvres.
Quand on est pressé et que le but est de rejoindre le point A au point B le plus rapidement possible, sans prendre le temps de découvrir les régions traversées, l’autoroute est le chemin idéal. Et la GT un des véhicules les mieux adaptés à cet exercice. Bien abrité derrière la bulle ajustable électriquement, on roule visière de casque entrouverte. La protection qu'elle procure est bonne, bien qu’elle soit en retrait par rapport à celle de la RT qui reste un modèle du genre (une bulle haute est offerte en option). Le carénage large et enveloppant protège bien des intempéries, tandis que la selle réglable en deux hauteurs (820/840 mm) s’adapte à un grand nombre de morphologies. Cependant, elle est un peu trop échancrée dans sa partie avant et on finit par ressentir des douleurs derrière les cuisses. Pour les plus petits gabarits, une selle basse (800/820 mm) est également proposée en option. Les grands devront quant à eux régler la selle en position haute pour ne pas avoir les jambes trop repliées. La position de conduite reste sportive, légèrement basculée vers l’avant. L’appui sur les poignets est limité par le guidon surélevé, ajustable en quatre hauteurs, sur une plage de réglages de 40 mm. Il offre un bras de levier moins large que celui d’une R1200RT ou d’une Yamaha FJR 1300, par exemple.
Même si sa stature impressionne et peut rebuter les moins aguerris d'entre nous, la GT n’est pas une moto contraignante, loin de là. D'autant qu'elle offre un confort royal et qu'il faudrait être fou pour se priver d'un tel plaisir, surtout à la veille de partir en vacances. Sur route rapide, on croise à des vitesses élevées, régulateur de vitesse engagé, assis droit comme un I sur la selle moelleuse. Le moteur qui fait preuve d'une onctuosité sans pareille ronronne à 5 000 tours en sixième (ce qui nous propulse à 130 km/h). Gorgé de couple (il développe 96 lb-pi à 7 750 tr/min), il permet de traverser les villages à 50 km/h tout en restant câlé sur le dernier rapport. Pas besoin de rétrograder, comme c’est le cas sur de nombreux quatre en ligne. Douceur et velouté sont au rendez-vous. Les vibrations sont quasi inexistantes et les reprises sont excellentes, sur tous les rapports. Cette douceur est également appréciée par le passager qui n’est pas secoué à la moindre occasion. Sur les routes en serpentin, sans lignes droites, on se met sur le troisième rapport et on y reste. On se sert du couple fabuleux et du frein moteur pour danser d’une courbe à l’autre, en symbiose avec l’environnement. Le nirvana façon moto.
Des gènes de sportive
Efficace à un rythme de balade, la GT aime flâner, mais pas trop longtemps, sinon elle piaffe d'impatience, comme un cheval de course dans son box. Elle a énormément de difficulté à cacher son héritage génétique. Le sang qui coule dans ses veines est celui d'un bronco, pas d'un cheval de trait. L’appel des grands espaces, de la vitesse, se fait vite sentir et il faut qu'elle bouge au risque de devenir neurasthénique. La K1200GT adore la conduite sportive, les balades rapides sur les routes secondaires viroleuses et les expéditions transcontinentales façon «TGV». Elle est accro aux virages, quel que soit leur rayon, leur configuration ou leur vitesse de passage. Elle aime même les virages en dévers dans lesquels, plaquée au sol, elle combat la force centrigufe avec une efficacité incroyable, grâce à la poussée fantastique de son quatre en ligne. Elle en réclame sans cesse et se montre particulièrement douée dans cet exercice. Dotée d’une agilité supérieure à celles de ses principales rivales, malgré son poids élevé (301 kg avec les pleins), elle bénéficie d’une direction très précise, d’une stabilité sur l’angle incroyable et d’une garde au sol impressionnante. On a plus le sentiment d’être au guidon d’une grosse sportive que d’une routière au long cours. Rigide et ultrastable, la GT fait preuve d’une efficience remarquable. La tenue de route est imperturbable. Elle négocie les grandes courbes rapides avec maestria et trace ses trajectoires avec une précision diabolique. Un rail! Le tout dans un confort de suspension inouï.
Notre machine d’essai, qui disposait de l’option ESA (suspension ajustable électroniquement), est le remède idéal aux nids-de-poule. Elle avale les trous et les bosses avec aisance. Il suffit pour ça de règler le style de conduite que l’on désire (sport, normal ou confort), la charge embarquée (seul, avec passager, avec ou sans bagages, selon le cas) et la machine s’adapte à ces paramètres pour continuer à vous offrir une performance optimale et un plaisir de conduite sans cesse renouvellé. Un vrai régal! La partie cycle affiche un comportement à la fois rigoureux, facile et confortable qui met le pilote en confiance. À un rythme de balade, la GT vous libère l’esprit de toute contrainte de conduite. Mieux, elle vous incite à musarder et découvrir les petites routes champêtres. Par contre, si vous tournez la poignée des gaz dans le bon sens, vous êtes récompensés par une poussée phénoménale sur une GT. Passé 6 000 tr/min, la sonorité du moteur devient rauque et métallique, rageuse même, au fur et à mesure qu’il grimpe dans les tours et s'approche de la zone rouge qui débute à 10 250 tr/min. Avec son freinage ABS amplifié et partiellement couplé (Intégral Sport) – celui qui convient le mieux à la moto – la GT fait preuve d’une puissance de ralentissement énorme. Au point qu’on a peur de se cogner le casque dans la bulle… Je mettrais cependant un petit bémol en ce qui concerne la transparence de l'ABS et sa modularité qui gagneraient à être améliorées. Mais là, je chipote!
En fait, s'il fallait trouver un défaut à la GT, je dirais qu'elle est handicapée par son gabarit en ville. Avec elle, difficile de slalomer entre les voitures en raison de sa largeur hors tout importante (98 cm). Elle souffre aussi d'un embrayage qui broute un peu au démarrage, d'une boîte de vitesse rugueuse qui claque sur les premiers rapports et d'une transmission au jeu excessif qui donne des à-coups désagréables à basse vitesse. On dirait un pitbull tirant sur son collier étrangleur.
Peu de motos sont conçues, comme la K1200GT, pour voyager en duo. Le confort royal de la selle (chauffante), la protection élevée offerte par le carénage, les larges poignées de maintien latérales et l'efficacité des suspensions concourrent à rendre l'expérience enviable pour le passager. Il est vraiment traîté aux p'tits oignons et ne rechignera pas à vous suivre au bout du monde, si vous vous sentez le courage d'y aller. Auquel cas BMW vous propose deux tops cases optionnels (28 L ou 49 L), ainsi qu’une sacoche de réservoir extensible qui se fixe à l’aide de sangles. Les sacoches latérales sont les mêmes que celles qui équipent la RT. Elles sont livrées avec des sacs intérieurs pour ranger et transporter votre équipement. Au guidon de la GT, le plus dur est d’arrêter. Non pas que les freins soient en cause. Ils sont vraiment efficaces. Mais on a tellement de plaisir à avaler les kilomêtres qu’on ne voudrait jamais cesser.
La nouvelle référence?
Lancée un an avant la Kawasaki Concours 14, la GT s'est imposée dans ce créneau compétitif relégant les Honda ST1300 et Yamaha FJR1300 à un rôle de figurantes. À elle seule, elle a presque créé une nouvelle classe dans laquelle la Concours l'a rejointe cette année. Elle est non seulement une des GT les plus puissantes du marché, mais aussi une des plus efficaces, des plus sécuritaires et des plus faciles à conduire, malgré son gabarit encombrant. Sa tenue de route est impériale, tout comme son confort. Son agilité est surprenante pour une machine de cette taille. Une fois encore, les suspensions à ajustement électronique font merveille et s’imposent comme une technologie incontournable. Le freinage ABS Intégral Sport est à la hauteur de la tâche qui lui est dévolue et parvient à stopper le mastodonte rapidement et efficacement. La GT parvient même à faire de l’ombre à la R1200RT, la référence des routières au long cours. C’est tout dire! |