En sortant de l’aéroport d’Orly après 6 heures de vol, je me rends directement au bureau de Honda France où je dois ramasser une Varadero 1000. Il faut dire que j’ai un faible pour ces grosses trails qui travestissent leur indentité routière en se parant d’atours d’aventurière. Qui se donnent des airs de baroudeurs prêts à conquérir le monde. Équipée de son kit de bagagerie spécifique (2 sacoches latérales et un top-case), la Varadero en impose. Elle est haute et large. Mais elle accueille notre barda volumineux sans problème. Pourtant, une fois en selle, l’impression de masse disparaît. La Varadero est délicate à manœuvrer à très basse vitesse en raison de sa hauteur de selle importante (838 mm), mais dès qu’elle est en marche, sa conduite devient instinctive et naturelle.
À peine sorti de chez Honda France, en banlieue est de Paris, je tombe sur un embouteillage monstre de 50 km dont je mettrais trois heures à m’extirper. Trois heures à respirer les vapeurs de diésel, à sentir la chaleur du moteur monter à grandes bouffées dans mon casque, à avancer d’un mêtre puis à attendre en sueur dans mon blouson. C’est un comble à moto. Je bous littéralement. La moto aussi. Le ventilateur tourne sans cesse et l’embrayage commence à sentir le cramé.
Finalement, la circulation se fluidifie. Sur la nationale à trois voies enfin dégagée, le V2 à 90 degrés de la Varadero peut enfin respirer librement. Ses 95 hp à 8 000 t/mn sont largement suffisants pour rouler à vive allure et se faire plaisir. Suffisants aussi pour dépasser les files de camions en tombant un rapport et en profiter des reprises nettes du gros twin liquide. Je suis d’emblée conquis par cette grosse aventurière. La position de conduite droite est naturelle, le confort de haut niveau et la protection offerte par le carénage est très bonne. Je ne ressens aucune turbulence et je peux rouler visière entrouverte sans crainte. Ces vacances s’annoncent bien.
Après une journée de repos chez ma sœur, à Charsonville, en périphérie d’Orléans, nous prenons le chemin du sud. Direction Dax, au sud-ouest de Bordeaux, pour aller dire un petit bonjour à la famille. Autoroute jusqu’à Limoges. Le pied! Avec les bagages chargés, la Varadero dépasse légèrement les 300 kilos. Et une partie de la charge est haut perchée à l’arrière. De plus, le passager est assis assez haut. On ressent un léger effet de pendule lors des transitions droite-gauche. Cependant, la conduite reste facile et coulée. Je croise à 170 km/h sur l’autoroute en ayant l’impression de flotter sur un coussin d’air. La protection est excellente et mon épouse, confortablement installée, semble également apprécier la balade. Elle trouve seulement que je roule un peu vite à son goût. À Limoges, premier arrêt «touristique». Il parait que c’est plein de manufactures de porcelaine à Limoges. Ça serait dommage d’y passer sans en visiter une... Et de toute façon, j’ai besoin d’essence.
Prochaine étape, Périgueux, dans une centaine de kilomêtres. La porte du Périgord. Ça commence à sentir le foie gras, le magret de canard et le cassoulet. Le temps de faire une halte à la terrasse d’un bon resto régional en bord de route. Une heure plus tard, nous sortons de Bergerac. La route est idyllique. Vallonnée, tortueuse, magnifiquement pavée. La Varadero danse d’un virage à l’autre, à bonne allure. Malgré sa taille et son poids, la Honda est un charme à piloter sur ce type de route. Facile à placer sur l’angle, grâce à son large guidon tubulaire qui offre un bon levier, elle fait preuve d’une maniabilité et d’une vivacité surprenantes. Les changements de trajectoires s’effectuent avec aisance et précision et la Varadero garde son cap dans les grandes courbes rapides comme dans les épingles serrées. Les Bridgestone Trailwing qui l’équipent de série sont très efficaces et permettent de flirter avec les limites de la garde au sol et de l’adhérence. De temps en temps, un petit coup de poing sur le casque me rappelle qu’on n’est pas pressé. Puis nous traversons le vignoble de Monbazillac où l’on produit un petit vin blanc de dessert, sirupeux, bon à vous faire damner.
Le soleil doré de la fin d’après-midi nous accompagne jusqu’à Dax où nous arrivons vers 18h30. Bisous à la belle-sœur et aux enfants. On décharge les bagages en un clin d’œil, on prend une douche réparatrice et c’est déjà le temps de passer à table. Et, fidèle à mon habitude, je ne me fais pas prier. De toutes façons, le foie gras maison et le confit de canard sont un de mes péchés mignons. Surtout quand ils sont arrosés d’un bon Juransac du cru.
Quiconque a déjà visité le sud-ouest vous confirmera que c’est une des plus belles régions de France. Région célèbre pour sa gastronomie et ses vins, mais aussi pour ses paysages enchanteurs. On passe de la mer à la montagne en deux coups d’accélérateur, en traversant une campagne luxuriante dans laquelle les châteaux, vestiges des temps anciens et de la puissance passée de l’Aquitaine, se dressent fièrement en haut de collines dénudées. Pour les amateurs d’activités nautiques, les plages du sud-ouest, de St-Jean-de-Luz, à l’extrême sud, à Arcachon, au nord-ouest de Bordeaux sont un vrai régal. Paradis des surfers, la côte basque est magnifique. La forêt landaise la borde et la tempère tout en servant d’abri aux nombreux terrains de camping. Les plages de sable fin frappées par des vagues énormes s’étendent à perte de vue. De temps en temps, un blockhaus graffité par de jeunes touristes témoigne d’un passé pas si lointain.
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La plage de Lacanau |
Tailler la route, façon Varadero (photo Honda). |
Nous passons deux jours à Cap-Ferret, à la pointe nord du bassin d’Arcachon, lieu de villégiature des notables bordelais. À cheval sur l’Atlantique et le bassin, Cap-Ferret est un joli village de vacances qui sort de l’ordinaire. Ici, pas de longue avenue bordant la plage. Le dessin torturé de la côte et du bassin, ainsi que l’omniprésence de la forêt de pins, ont forcé la création d’un village multipole composé d’une myriade de petits quartiers isolés les uns des autres. Bordés à l’ouest, côté océan, par d’immenses dunes de sable. De Cap-Ferret, on est à quelques kilomètres des vignobles bordelais. Détour obligatoire par Saint-Émillion, dégustation de vins locaux et d’Armagnac, visite des châteaux, séjour rapide à Bordeaux. Ce ne sont pas les activités qui manquent dans la région.
Un petit bond d’une centaine de kilomètres vers le nord et nous reprenons la même routine à Lacanau-Océan, une station balnéaire artificielle et moderne dévouée entièrement au surf. À ne rien faire, si ce n’est profiter de la température idéale, marcher le long des plages, s’y allonger en regardant l’horizon comme s’il allait bouger, tester les multiples restos et bars qui ont fleuri au centre-ville, ou se faire des petites balades à moto le long de la côte. Le farniente, quoi. Des journées rythmées par les marées et les repas.
De Lacanau, nous empruntons la départementale qui longe la mer et remonte vers Royan que nous rejoignons par le bac. Puis nous continuons sur Rochefort. Cette ancienne ville fortifiée par Vauban, à la demande de Colbert, ministre du Louis XIV, abrite l’ancienne Corderie Royale construite en 1666 et aujourd’hui convertie en hôtel de luxe. C’est là que nous logerons pour les deux prochains jours, en plein cœur de l’Arsenal, à deux pas du chantier naval où on construit actuellement une réplique de l’Hermione, le vaisseau avec lequel Lafayette partit au secours des révolutionnaires américains. À deux minutes de marche de la Corderie se trouvent également la maison natale de l’écrivain Pierre Loti, le Musée de la marine, le Musée d’art et d’histoire ainsi que les établissements thermaux. Et nous ne sommes qu’à quelques dizaines de kilomètres de l’Île-de-Ré et de l’Île d’Oléron que nous allons sillonner pendant deux jours, sans bagages ni contraintes. Au passage, nous en profitons pour visiter La Rochelle, autre ville fortifiée, célèbre pour l’entrée de son port marquée par la tour de la Chaîne et la tour Saint-Nicolas. Autrefois, c’est de La Rochelle que partaient les bateaux pour l’Amérique. À la découverte du Nouveau-Monde et de ses richesses. Aujourd’hui c’est une ville d’art et d’histoire. Elle est aussi connue pour Les Francofolies, son fameux festival de musique francophone.
Nous finissons par quitter la Charente pour nous rendre à Saint-Malo (une autre ville fortifiée, ça devient une obsession) et visiter la partie nord de la Bretagne: Cancale, La Pointe du Grouin, Dol-de-Bretagne, Le Mont Saint-Michel. Un véritable périple de touristes. De Rochefort à Rennes, nous choisissons de prendre la nationale à deux voies qui sillonne le bocage breton. Le décor est sublime et la route est idéale.
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Le Mont-Saint-Michel |
Saint-Malo |
Juste avant d’arriver à Rennes, nous faisons une pause dans une halte routière afin d’enfiler un sandwich au jambon et des frites. En regardant la carte de la région, je remarque un petit village du nom de Saint-Suliac. Juste en dessous du nom, je remarque l’inscription «élu plus joli village de France». «C’est là que nous coucherons ce soir,» dis-je à ma femme. De toute façon, je ne fais jamais de réservations quand je suis en vacances, ce qui me permet d’improviser au gré des événements et des rencontres. Et c’est vrai que c’est un joli village. Blotti sur les berges de La Rance, une rivière panoramique qui se jette dans l’océan, à côté de Saint-Malo, dix kilomètres plus au nord, Saint-Suliac semble avoir survécu aux ravages du temps et conservé son cachet d’antan. La vie y coule comme un fleuve tranquille, sans vague, ni soubresauts. Les gens ont l’air calmes et détendus. En arrivant dans le village, nous nous mettons en quête d’une maison d’hôtes (un Bed & Breakfast). À notre deuxième tentative, nous tombons sur une femme charmante qui a une chambre libre, aussi charmante qu’elle. L’affaire est conclue sur une poignée de mains. C’est ici que nous terminerons notre séjour. Nous avons deux belles journées de balade devant nous pour découvrir ce coin enchanteur de la Bretagne. Et pour déguster les spécialités locales: cidre, crêpes, huitres, poissons et fruits de mer.
Mais toute bonne chose a une fin et il faut bientôt penser à rentrer à Charsonville, chez ma sœur, avant d’aller reporter la Varadero chez Honda France. À la sortie de Saint-Suliac, la petite route communale qui nous mène à l’autoroute de Rennes serpente à travers le magnifique bocage breton. Il est seulement 8 heures. Nous avons quitté notre chambre douillette à l’aube, afin de profiter de la beauté des paysages qui sortent de leur torpeur. La rosée qui recouvre la campagne reflête la lumière du soleil levant, en contrejour. Elle fait briller les objets sur lesquels elle s’est déposée durant la nuit de mille éclats, comme autant de pierres précieuses. Une légère brume matinale flotte au-dessus des arbres, des prés bordés de haies vives et des terres cultivées. Le spectacle est surréaliste. Malgré la présence du soleil, le fond de l’air est frais. Bientôt nous arrêterons pour enfiler nos habits de pluie, question de chasser l’humidité, en attendant que la température se réchauffe.
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Coucher de soleil sur Saint-Suliac |
L'auberge de Saint-Suliac |
Les 350 km qu’il nous reste à parcourir pour retourner chez ma sœur achèvent ce voyage en point d’orgue. Ultime tentative de ne pas y mettre un terme définitif.
En ramenant la Varadero chez Honda, je ne peux m’empêcher d’avoir la larme à l’œil. Je ne sais pas si c’est le voyage qui m’a fait apprécier cette moto ou l’inverse, cependant je sais que je rechigne à la rendre à son propriétaire légitime. Nous avons vécu tellement d’aventures durant ce périple, nous avons partagé tellement d’émotions que j’ai l’impression que nous sommes faits pour vivre ensemble. À aucun moment, ma femme ne s’est plaint, ni du confort, ni du bruit, ni des vibrations. C’est tout un hommage, surtout après 3 000 kilomètres en selle...
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