Il y a quelques mois, un lecteur avec qui je corresponds depuis plusieurs années me demandait si la Yamaha FJR1300 constituait toujours une référence dans le créneau des routières sportives. Si la BMW K1200GT et la récente Kawasaki Concours 1400 l'avaient reléguée au rang de dernière de la classe. Ayant eu l'occasion d'essayer ces deux machines dernièrement, nous avons donc décidé de torturer la Yamaha afin de déterminer comment elle se comparait face à ces nouvelles venues. Ugo Levac, Denis Vayer, Guy Parrot et moi-même avons parcouru plus de 3 500 km à son guidon, en deux semaines, dont un voyage de 1 800 km dans le Bas-du-Fleuve, dans le but d'apporter une réponse éclairée à ce lecteur. Pour l'occasion, la FJR1300 qui a été mise à notre disposition était un modèle AE, à boite semi-automatique et freinage ABS, affichant un maigre 1 600 km au compteur. Autant dire qu'elle était presque neuve.
Par rapport à la dernière FJR1300AE que j'avais essayée en 2006, peu de changements ont été apportés. La bulle électrique reçoit un traitement antiégratignures et de nouvelles fixations pour réduire les vibrations, les freins avant et arrière sont partiellement combinés (le frein arrière active le frein avant, mais pas l’inverse afin de garder la tenue de route aussi pure que possible) et sont livrés de série avec l’ABS. Les jantes ont été modifiées en conséquence, afin d'accueillir ce nouveau système antiblocage. L'instrumentation est revue et l'écran à cristaux liquides affiche désormais une foule d’informations utiles. L'unité de contrôle électronique de l'embrayage automatique est allégée et les rapports de la boîte ont été modifiés pour offrir un meilleur engagement (3e et 4e vitesses). Rien de majeur donc, mais une suite d'évolutions subtiles qui concourent à peaufiner la routière sportive d'Iwata City.
Autant dire que j'étais en terrain de connaissance. Ce dont je me suis aperçu au bout de quelques kilomètres. Il faut dire, pour être totalement honnête, que cette FJR est la cinquième que j'ai l'occasion de piloter depuis 2002. J'ai effectué un voyage de 6 000 km à la Baie-James et un de 3 000 km à la Baie Géogienne avec un modèle 2002, passé une saison complète en compagnie d'un modèle 2003 avec lequel j'ai parcouru près de 14 000 km, fait un voyage de 2 000 km en Californie avec une FJR1300 AE et un autre de 4 000 km au Québec, en 2006, toujours avec une version semi-automatique. La FJR et moi, c'est une histoire d'amour, une qui ne se dément pas et se bonifie même au fil des rencontres.
L’appel de la route
Comparativement à certaines de ses consœurs (BMW R1200RT, Honda ST1300), la Yamaha se démarque par son caractère sportif. Même si elle n'affiche pas les prestations époustouflantes d'une Kawasaki Concours 1400, ou la sophistication d'une BMW K1200GT, son quatre en ligne coupleux et hyperpuissant ne demande qu’à grimper dans les tours et à vous propulser à une vitesse indécente. Faisant preuve d'une souplesse étonnante pour une grosse quatre cylindres, elle reprend aussi bas que 2 000 tr/min, sur un filet de gaz, sans à-coup. Offrant d'excellentes reprises entre 3 000 et 7 000 tr/min, elle se révèle dans la partie supérieure de sa bande de puissance. Au-delà de 7 000 t/min, les chevaux arrivent au galop et on se croirait au guidon d’une R1 équipée de valises. Les accélérations sont franches et on a rarement besoin de rétrograder pour dépasser ou accélérer rapidement. Cependant, à ce rythme des vibrations de haute intensité sont notables, mais elles ne sont pas gênantes au point d’atténuer le confort.
Sur route sinueuse, la FJR affirme son caractère sportif et son goût prononcé pour les sorties musclées. Plus on roule et plus on s’aperçoit qu'elle n’aime pas les lignes droites outre mesure. Elle s’ennuie en position verticale. Ce qu’elle préfère, c’est pencher un peu, beaucoup, passionnément, à la folie... Jusqu'à flirter avec la limite de la garde au sol ou de l’adhérence du pneu arrière. Et elle aime tous les types de virages. Ceux à grand rayon constant, à rayon croissant ou décroissant, les petites épingles qu’on prend en deuxième ou en troisième. La FJR est accro aux courbes. Elle ne s'en lasse pas. Malgré son poids élevé de 269 kg, à mi-chemin entre ceux de la BMW K1200GT (249 kg) et de la Kawasaki Concours 1400 (275 kg), la FJR se manie avec une certaine aisance et ne souffre de son embonpoint qu'en ville. Partout ailleurs, elle se montre particulièrement à l'aise.
Au chapitre du confort routier, la FJR fait jeu égal avec nombre de ses compétitrices et se montre sportive et confortable à la fois. Ce qui peut sembler contradictoire. La position de conduite est naturelle. Le pilote a le buste légèrement penché vers l’avant. Les guidons et les repose-pieds sont idéalement placés et la selle se montre très confortable. Petites balades rapides ou longs voyages lui conviennent indifféremment. La bulle de carénage à ajustement électrique est moyennement efficace, malgré les modifications qu'elle a reçues ces dernières années. C’est en position basse qu’elle offre le meilleur compromis pour des pilotes de gabarits moyen ou grand. Malgré le niveau de bruit élevé et la pression de l’air en haut du torse, c’est dans cette position qu’elle est le plus efficace. En position relevée, elle dirige trop d’air vers le haut du casque et créé une pression à l'arrière ce celui-ci.
Au chapitre de la chaleur, un des points faibles de la Yamaha depuis son lancement, la situation s'est légèrement améliorée. Notamment avec l'ajout d'écopes de carénage réglables. Mais la FJR reste tout de même une des motos les plus «chaudes» qu’il m’ait été donné de piloter. Au point de devenir rapidement inconfortable, en ville ou dans la circulation dense, quand le thermomètre dépasse les 25 degrés Celsius.
La selle est bien dessinée, sans arête saillante, ni couture gênante. Le rembourrage est suffisamment épais et moelleux pour offrir un bon niveau de confort, sans pour autant nuire au contrôle de la machine. Elle se règle en deux positions (805 et 825 mm). Les quatre pilotes de cet essai messurant tous près de 1,77 m (5'10), nous l'avons laissée en position basse, ce nous permettait de bien poser les pieds à plat au sol. En conduite sportive, le pilote peut bouger facilement et déhancher sans être gêné par la largeur excessive de la selle, ou par un rembourrage trop important, comme c’est le cas sur certaines routières sportives.
En duo, le passager a droit à un traitement royal. La selle est très accueillante et offre un confort de haut niveau. Les repose-pieds sont idéalement placés et permettent au passager d'adopter une position confortable. Bien abrité derrière le pilote, il n'est pas affecté par d'éventuelles turbulences, ni par les vibrations. Il dispose de deux poignées de maintien qui se prolonge en un petit porte-paquet.
Le seul petit point négatif au sujet de la FJR concerne la suspension arrière. L’amortisseur est trop souple et l’ajustement du ressort ne semble pas changer grand-chose à la situation. À deux, avec du bagage, la situation est pire et la souplesse trop grande du mono-amortisseur affecte le confort et la tenue de route. La fourche inversée à poteaux de 48 mm est ajustable en précharge, en compression et en détente. Elle se montre efficace et il est possible de la régler selon le style de conduite du pilote ou selon le type de route emprunté.
Le freinage est excellent. Le système antiblocage de la Yamaha est très efficace et totalement transparent. Il fait désormais jeu égal avec les systèmes ABS que l’on retrouve sur la BMW R1200RT ou la Honda ST 1300. Il offre une bonne rétroaction et est facile à moduler. Et il permet de garder la pression jusqu’au blocage de la roue avant.
Pourquoi une boîte semi-automatique?
Une heure dans la circulation de Montréal, à l'heure de pointe et par une température frisant les 30 degrés, voilà le temps qu'il m'a fallu pour devenir convaincu de l'utilité de la boîte semi-automatique de la FJR. Délaissant le sélecteur au pied pour la gâchette au guidon, je m'y suis habitué instantanément, sans même y réfléchir. La technologie fonctionne normalement, de façon neutre et ne remet pas en cause les qualités intrinsèques de la FJR.
Si la boîte semi-automatique YCC-S (Yamaha Chip Controlled Shift) de la FJR 1300 AE ne constitue pas une révolution en soi, elle s’impose néanmoins comme une solution intéressante qui pourrait rendre service à un nombre grandissant de motocyclistes. Dans le passé, d’autres compagnies ont essayé, sans succès, de commercialiser des motos automatiques (rappelez-vous les CB750 Hondamatic et les Moto Guzzi Convert). Chaque fois, les puristes les ont accueillies avec dédain. Mais aujourd'hui, le public semble mûr et la technologie au point. Le dévoilement des Honda DN-01 (en Europe seulement, pour l'instant) et de l'Aprilia Mana 850 démontre non seulement l'intérêt des constructeurs pour cette technologie, mais aussi le besoin qu'elle comble chez les utilisateurs. L'engouement du public pour les maxiscooters participe également de cette nécessité qui dépasse largement l'effet de mode. C'est donc dire que Yamaha avait vu juste, en 2006, lorsque la compagnie a décidé de commercialiser une version semi-automatique de sa FJR.
Petits rappels pour ceux qui ne connaîtraient pas ce modèle. Pour démarrer la FJR, il faut mettre le contact et tirer sur l’un des freins, comme on le ferait sur un scooter. Qu’une vitesse soit engagée ou non n’a pas vraiment d’importance. La boîte est toujours à cinq rapports, mais ils sont placés en montant, en ordre croissant. Le point mort est en bas. Si vous préférez passer les vitesses à la main plutôt qu’au pied, ce qui a été mon cas durant cet essai, il suffit d’appuyer sur le commutateur du sélecteur manuel situé sur le guidon de gauche, d’attendre deux secondes que le témoin vert s’allume et d’utiliser la gâchette située elle aussi sur le guidon gauche. On la tire vers soi pour monter les rapports et on la pousse vers l’avant pour rétrograder. Plus simple, tu meurs! Ce qui n'empêche pas notre collaborateur Ugo Levac d'avoir trouvé ce système «mêlant » au point de préférer passer les vitesses au pied. Un indicateur de rapport engagé, situé sur le tableau de bord, à droite, vous rappelle sur quelle vitesse la boîte est vérouillée (ça, j'aime beaucoup et toutes les motos devraient en être équipées).
Le passage de la première s’accompagne d’un «klonk» caractéristique. En accélérant progressivement, on sent le glissement de l’embrayage automatique s’opérer. Quand le régime descend en bas d’un certain seuil (1 300 tr/min), la boîte se désengage et on se retrouve alors en roue libre. Dans la circulation dense, il faut jouer avec le frein arrière et l’accélérateur pour garder la boîte engagée et contrôler la progression de la moto. Un peu gênant, mais on finit par s’y faire. À basse vitesse, l’embrayage a également tendance à brouter un peu. Cependant, une fois que la route se dégage, le passage des vitesses s’effectue en douceur, sans à-coups, mais ni plus, ni moins rapidement qu’avec une boîte traditionnelle. On gagne en confort de pilotage, mais pas forcément en rapidité d’exécution. L'utilisation de l'électronique permet aussi d'offrir quelques atouts en termes de sécurité. Par exemple, il est impossible de rétrograder en cas de régime moteur inadapté (pas de surrégime et de blocage de roue), ou encore d'enclencher la première lorsque le régime moteur est supérieur à 1 300 tr/min (pas de «wheelie» impromptu). En cas de sous-régime, l'embrayage est commandé automatiquement pour éviter de caler et l'indicateur de rapport de boîte clignote pour signaler qu'il faut passer le rapport inférieur.
Un des points faibles de cette boîte se révèle lors de manœuvres serrées ou de demi-tours où il faut à la fois contrôler sa vitesse et sa trajectoire, en utilisant simultanément le frein et l’accélérateur (pour éviter que la boîte passe au point mort). L’absence d’embrayage, dans ces conditions, rend la manœuvre périlleuse. Même chose en cas de freinage d’urgence. Le moteur reste en charge et nous pousse durant tout le freinage.
En ville, le système YCC-S est presque aussi efficace qu’une boîte auto. Cependant, la poignée d'accélérateur est particulièrement dure et l'embrayage en prise quasi directe. La première manquant de souplesse, il est parfois difficile de doser les gaz pour s'élancer en douceur. Il faut choisir entre des démarrages sur les chapeaux de roues, mais avec un à-coup important (en duo, le passager n'aime pas trop) ou alors des départs plus doux, mais où l'on perd une seconde à doser les gaz. Troisième solution, que j'ai privilégiée durant cet essai : s'élancer en seconde (la boîte permet de le faire). L'embrayage patine légèrement, mais on gagne en souplesse et en rapidité d'exécution. Le frein moteur est aussi important qu’avec une boîte traditionnelle (ce qui n’est pas le cas d’une transmission à variateur), et il n’y a pas de risque de caler, puisque l’embrayage automatique garde le moteur en marche. Avec la boîte semi-auto, on gagne donc en agrément de conduite.
Toujours d'actualité la FJR?
La FJR1300AE est une excellente routière sportive, une moto qui rivalise sans problème avec ses compétitrices, même les plus récentes. Confortable, puissante et bien dotée en équipements de tourisme (il ne lui manque qu'un régulateur de vitesse) elle s'avère une digne représentante de sa classe. Cependant, elle est victime de la spécialisation de la catégorie et de son goût prononcé pour le perfectionnisme. Depuis la sortie de la K1200GT et de la Concours 1400, la FJR a pris quelques rides. Même si elle se montre toujours efficace et performante, elle commence à accuser le poids des ans. Huit ans de carrière, sans refonte majeure, ça fait long pour une moto de pointe, dans un créneau haut de gamme. C'est dans les petits détails — vous savez, ces petits gadgets dont on ne peut plus se passer une fois qu'on y a goûter, comme le régulateur de vitesse ou la selle chauffante, par exemple— que la différence s'exprime. Et les amateurs, pas plus que les observateurs ne s'y trompent. Ce qui explique pourquoi les rumeurs de la sortie d'une nouvelle FJR1400 à boîte séquentielle vont bon train. En Europe, le magazine français Moto Revue affirme que cette dernière pourrait être présentée au prochain salon Intermot de Cologne, du 8 au 12 octobre, en même temps qu'une GT estampillée Suzuki qui serait équipée du quatre cylindres de l’Hayabusa. Il se murmure même qu'elle pourrait être commercialisée dès 2010. Voilà qui relance le débat et replace la question de notre lecteur dans une perspective nouvelle. |