« Voyages

De Menton à Toulon, par les routes des monts

Photos © Didier Constant, PPI et DR

« La solitude, ça n’existe pas » quand on est à moto et qu’on sillonne une région aux décors féériques. La Provence. Début mars. Pas encore le printemps. Même s’il est trop tôt pour que les parfums de la lavande, du thym et de la garrigue me chatouillent les narines, la nature sent le Sud. La chaleur, le dépaysement, le rêve. Le vent du sud transporte dans son souffle des effluves de désert, mirage olfactif qui me ramène à Ouarzazate, Zagora ou Tamegroute, aux portes du Sahara. Il charrie aussi quelques grains de sable qui se mêlent aux plages de la Côte d’Azur. Des grains migrants en quelque sorte. À la recherche d’une terre d’accueil. Pour avoir beaucoup voyagé dans les suds — des États-Unis, de l’Europe, de l’Asie — je suis sensible aux arômes particuliers que l’on retrouve dans ces contrées méridionales, tous différents mais qui évoquent invariablement l’aventure pour moi. Avec prégnance et urgence. Promesse de découvertes et d’émerveillement.

Menton

Menton

Parti tôt le matin de Menton, alors que le soleil se levait tranquillement sur la Mer de Ligurie, je profite du moment, sans remord ni culpabilité. « Le soleil n’est jamais si beau qu’un jour où l’on se met en route » écrit justement Jean Giono. Le fond de l’air est frais. Tout juste 12 degrés. Au guidon de ma fidèle Inazuma, je roule en direction de Sospel (photo d’ouverture), bourg pittoresque à une vingtaine de kilomètres au nord, aux portes du parc national du Mercantour. La route départementale qui y mène est sinueuse, piégeuse par endroits mais tellement jouissive. Mise en bouche délicieuse, prélude idéal à la balade bucolique et sportive qui m’attend et dont le parcours recèle des sections transcendantes. Terrain de jeu parfait pour motocycliste sportif en quête de sensations fortes et de plaisir. Le gros luxe, en somme ! Mais, le luxe, ça va bien à tout le monde et j’en profite donc au maximum, le temps que ça dure. Je savoure mon bonheur.

Entrevaux

Entrevaux

Mon itinéraire me mène ensuite à Entrevaux, par la départementale D2204/D15, en traversant La Roquette-sur-Var, puis par la D27, deux routes qui déclencheront chez vous le syndrome de Stendhal, si vous n’en êtes pas déjà atteint. Dans mon cas, je suis au comble de l’émotion. Tout se conjugue pour faire de cet instant un moment magique. Routes de rêve, température idéale, circulation nulle, moto parfaite… je suis au Paradis. Un sentiment qui m’accompagne quand je roule seul. Dans mon casque je sifflote « Don’t worry, be happy! » de Bobby McFerrin. La vie est belle parfois !

Niché au nord du Parc naturel régional des Préalpes d’Azur, Entrevaux est un superbe village médiéval surplombé d’une citadelle que l’on atteint par un chemin fortifié. Merci Vauban ! Mais pour nous, motocyclistes, il recèle un autre joyau : Le Musée de la moto ancienne de Michel et Franck Lucani. À visiter absolument. J’y suis déjà venu, il y a quelques années. Mais là, on est hors saison. Le Musée est fermé. J’en profite néanmoins pour faire une pause et siroter un café à la terrasse du restaurant du Pont Levis. Sans trop traîner, car je veux être à Moustiers-Sainte-Marie, au cœur du Parc naturel régional du Verdon, à 90 minutes de route, pour le midi.

Gorges du Verdon

Gorges du Verdon

La Provence et moi, c’est une histoire d’amour qui remonte à mon enfance. Bien que je l’ai visitée tardivement, dans la vingtaine, je la connaissais bien, comme beaucoup de gens du Nord, par le cinéma, la littérature, la chanson ou la peinture. Elle avait l’accent de Raimu et de Fernandel dans les films de Marcel Pagnol. Cet accent qui chante, « qui se promène et qui n’en finit pas… ». Et même si je l’ai découverte en noir et blanc, sur la vétuste télé à lampes de mes parents, elle brillait de mille couleurs chatoyantes dans mon esprit. En regardant « La femme du boulanger »*, émouvant film de Pagnol, j’ai été conquis par cette région où les hommes sont plus grands que nature et cachent leur amour, leur humanité et leur sensibilité derrière un ton bourru et une mauvaise foi légendaire.

Adolescent, je l’ai lue sous la plume de Jean Giono, Alphonse Daudet ou Frédéric Mistral. Il s’agissait bien sûr d’une Provence idéalisée ne correspondant plus tout à fait à ce qu’elle est devenue, mais elle était tellement poétique. Comme dans cet extrait de « Provence », du « voyageur immobile » :

« Les oliviers composent d’immenses temples silencieux et sombres ; la vigne avec ses bras noirs tout tordus envahit les champs les uns après les autres ; les terres les plus solitaires portent les forêts d’amandiers brûlants dans des feutres d’herbes dures, de chardons et de thym qui mélangent sous l’ombre claire les somptueuses couleurs de leurs fleurs bleu-jaune et rouges franchement. » 

Moissons en Provence

Moissons en Provence, Vincent Van Gogh

En visite dans un musée, j’ai craqué devant « Moissons en Provence », sublime tableau de Vincent Van Gogh ou « La Montagne Sainte-Victoire » de Paul Cézanne. Mais là, en cet instant précis, je suis corps et âme en Provence. Imprégné du décor. Il suffirait qu’un peintre croque l’instant pour que j’y reste figé pour l’éternité.

D’Entrevaux à Moustiers-Sainte-Marie, en passant par Castellane, la route danse entre monts et vallées, méandreuse, envoutante, un tableau impressionniste du bonheur. Tout en taches de couleur et en sinuosités. Depuis mon départ, j’ai mis un peu plus de quatre heures pour parcourir 225 km. J’ai roulé à un bon rythme, mais en prenant le temps de faire des photos en chemin.

Moustiers-Sainte-Marie

Moustiers-Sainte-Marie

Quand j’arrive à Moustiers, il est l’heure de déjeuner. Et ça tombe bien. J’ai faim. Je m’installe à la terrasse d’un restaurant d’où je profite d’une vue imprenable sur le lac et les montagnes qui l’entourent. Et d’une excellente pissaladière arrosée d’un petit rosé du cru. Avec des navettes de Marseille et un café serré. Simple mais délicieux.

Repu et reposé, je décide de faire le tour des Gorges du Verdon, en commençant par la rive nord, c’est-à-dire par Sainte-Croix-du-Verdon pour ensuite remonter vers Les-Salles-Sur-Verdon via la D957, jusqu’à Hameau du Pont. En ce début de mars, les touristes se font rares et la route est dégagée. Roulante ! Pas de camping-cars ni de caravanes. Pas d’Anglais ni de Hollandais. Juste la route, ma moto et moi. Je peux maintenir une cadence soutenue et m’arrêter où je veux, en bordure du chemin, pour immortaliser le paysage qui est tout simplement divin. Devant un tel spectacle, j’ai le souffle coupé, la gorge serrée par l’émotion. Une sensation qui ne s’estompe pas en roulant, car la route est également éblouissante. Un vrai régal. Au détour de chaque virage, je découvre un panorama stupéfiant, chaque fois plus surprenant que le précédent, où le bleu du ciel, tout en haut, et le turquoise du Verdon, tout au fond des gorges, se répondent. Pourtant, cette route je l’ai faite plusieurs fois. Mais, à chaque occasion, c’est comme si je la redécouvrais.

À Hameau du Pont, je bifurque vers le sud par la D19 qui, dans les premiers kilomètres, se tortille, lascive, telle une couleuvre, au point de donner le tournis par moment. Puis je rejoins Aiguines, Aups et Salernes.

Gorges du Verdon

Gorges du Verdon

Pendant une bonne heure, je ne peux effacer le sentiment de cette section de route de ma mémoire. Je roule vers Cotignac comme guidé par une force insondable. Rempli d’un sentiment étrange, mélange de plénitude et de mélancolie. Sensations paradoxales, mais complémentaires à la fois. Je goûte au bonheur furtif de l’abandon et je profite de l’instant. Ne plus penser. Ne plus lutter. Lâcher prise pour atteindre la paix suprême. Un court instant, mais suffisamment longtemps pour recharger mes batteries et réinitialiser mon disque dur. Je cherche à graver ces images éblouissantes dans mon cerveau. La moto a cet étrange pouvoir sur moi de me faire sentir à la fois hors du temps et du monde, mais aussi connecté à la nature et à la conscience humaine. En symbiose avec mon environnement et mes émotions.

La route de Cotignac à Brignoles, puis Méounes-lès-Montrieux semble presque monotone en comparaison, même si d’ordinaire je l’aime bien. Puis j’arrive à Signes. Derrière le circuit Paul Ricard. Je quitte momentanément la D2 pour le contourner et rejoindre la DN8 via la D402. Je ne peux m’empêcher de faire un arrêt au circuit, le temps d’une photo. J’adore cet endroit riche en souvenirs et en émotions et j’ai toujours le cœur qui se serre quand j’arrive sur le site.

Route du Castellet

Ma fidèle Inazuma se détend sur la route du Castellet

C’est la fin de l’après-midi. Le soleil inonde la Provence. Au nord, les sommets de la chaîne de la Sainte-Baume s’illuminent d’une lueur dorée irréelle alors qu’au sud, la mer brille de mille reflets, comme si des millions de miroirs virevoltaient au-dessus des flots. À partir du Castellet, je prends la route buissonnière (D2, D30, D1) pour rejoindre la légendaire Route des Crêtes, une des plus belles de la Côte d’Azur qui serpente entre Cassis et La Ciotat. Sur 30 km, cette route panoramique dominée par le Cap Canaille qui culmine à 394 mètres d’altitude longe le golfe de La Ciotat et offre une vue imprenable sur la baie de Cassis. Sinueuse à souhait, elle constitue le point d’orgue de ce périple de 448 km dans les massifs de la Provence. Un périple qui se termine en apothéose.

Le Cap Canaille

Le Cap Canaille et la Route des Crêtes surplombent la Baie de Cassis

Quand j’arrive chez ma nièce, il est à peine 19 h. Juste à temps pour l’apéro. Bien que j’ai passé près de 10 heures en selle, je suis en pleine forme. Je ne ressens ni douleur ni courbature. Juste un sentiment de satisfaction incroyable. De bonheur même. Et Giono, encore lui, décidément, me revient soudainement à l’esprit : « On peut être heureux partout. Il y a seulement des endroits où il semble qu’on peut l’être plus facilement qu’à d’autres. Cette facilité n’est qu’illusoire : ces endroits soi-disant privilégiés sont généralement beaux, et il est de fait que le bonheur a besoin de beauté, mais il est souvent le produit d’éléments simples. Celui qui n’est pas capable de faire son bonheur avec la simplicité ne réussira que rarement à le faire, et à le faire durable, avec l’extrême beauté. »

Toulon du Mont Faron

Toulon et sa rade vues du Mont Faron

* adapté d’une nouvelle de Jean Giono extraite de son roman autobiographique « Jean le bleu »

Galerie

2 réponses à “Errances provençales”

  1. Sylvain Duhamel

    Très très beau.

    Répondre
  2. Patrick laurin

    Super récit,

    Tellement bien écrit que je croyais y être, à la fin de la lecture entre le rêve et la torture, par chance j’y retourne cette année 😉

    Répondre

Laisser un commentaire