« Voyages

Tout est affaire de décor, changer de vie, changer de port 

Photos © Didier Constant, Patrick Laurin, Alain Leclaire, Nathalie Constant

« Il meurt lentement celui qui ne voyage pas, celui qui ne lit pas, celui qui n’écoute pas de musique, celui qui ne sait pas trouver grâce à ses yeux ! » — Pablo Neruda.

Depuis ma plus tendre enfance, j’éprouve un besoin irrépressible de m’évader. C’est plus fort que moi. Dès que je reste trop longtemps au même endroit, j’ai envie de m’enfuir. D’aller voir ailleurs si j’y suis. Jeune, j’attribuais ce trait de caractère aux origines tziganes de ma mère, puis en vieillissant, j’ai réalisé qu’il était inscrit dans mon ADN, sans que je puisse en retrouver la source réelle. Toujours est-il que c’est un besoin vital pour moi. Une façon d’échapper à la routine et, ultimement, à la mort.

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Au fil des ans, je me suis rendu compte que voyager à moto était le secret du bonheur. Et il n’y a pas que moi qui aie fait cette découverte. En effet, c’est également la conclusion d’une étude de l’institut Semel pour les neurosciences et le comportement humain de UCLA (University of California Los Angeles) reprise par de nombreux médias, l’année dernière. Avant l’éclosion de la COVID-19.

Voyager est addictif, éducatif, formateur, passionnant. Risqué aussi, parfois, mais toujours enrichissant. Et à moto, l’expérience prend une dimension presque mystique.

 « Si tu veux aller vite, marche seul, mais si tu veux aller loin, marchons ensemble. » — Proverbe africain

 Voyager seul

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Jusqu’au début de la quarantaine, je voyageais essentiellement seul ou en couple — ce qui revient presque au même dans mon cas —, puis, en vieillissant, j’ai commencé à rouler avec des partenaires triés sur le volet. J’ai aimé l’expérience et j’ai commencé à organiser des voyages de groupe pour des amis proches partageant les mêmes goûts que moi en matière d’aventure, mais surtout de conduite — sportive et rapide —, essentiellement sur route pavée.

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été un solitaire. Par choix, non par obligation. Mais je ne suis pas un ermite. Je me qualifierais plutôt de solitaire grégaire. J’aime le contact des gens. Je suis même plutôt sociable. J’adore passer de bons moments en société, partager un repas entre amis, faire la fête, tant et aussi longtemps que je conserve la possibilité de m’enfuir à ma guise. Pour retourner dans ma tanière d’ours mal léché ou prendre la route vers mes paradis perdus. Pour moi, la solitude est un don du ciel, pas un fardeau. Encore moins une fatalité. Surtout quand cette solitude est choisie. Elle favorise les silences éloquents. Les soliloques. Les rêves éveillés. La réflexion.

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J’aime rouler seul à moto. À mon propre rythme. Sans avoir à me mesurer à quiconque. Sans devoir faire de compromis ni de compromission. En conservant ma capacité d’émerveillement et en profitant pleinement de l’instant et du décor. Situation unique et fugitive que l’on ne revivra pas à l’identique, malgré nos vaines tentatives de la reproduire. La vie est une succession de moments d’extase furtifs, myriade d’îles paradisiaques éparpillées dans un océan d’ennui. Ce sont la rareté et la fugacité de ces instants qui les rendent magiques et qui constituent le sel de la vie. Sinon, ils deviendraient une banale routine dont nous chercherions à nous évader.

Voyager seul me permet d’improviser et de me rendre plus disponible au monde extérieur. Ça favorise les rencontres et les échanges. Dès qu’on est deux, les gens sont plus réticents à venir vers nous. Plus intimidés, peut-être ? Chaque fois que j’entreprends un périple en solitaire, je suis surpris de recevoir de nombreuses invitations. On m’offre le gîte et le couvert, le tout saupoudré de chaleur et d’amitié. On me convie à découvrir des coins perdus. À rencontrer famille et amis. À partager un moment d’éternité. Souvent sans lendemain. Il faut aussi savoir rester dans l’instant. La solitude du voyageur réveille immanquablement l’instinct de protection des gens qu’il croise. Leur altruisme et leur empathie.

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« L’amour ne fait peut-être pas tourner le monde, mais je dois admettre qu’il rend le voyage intéressant. » — Sean Connery

Voyager en couple

Ma femme et moi sommes ensemble depuis 42 ans. Et nous voyageons régulièrement en couple. Nous aimons ça l’un comme l’autre. Nous nous connaissons tellement bien que c’est presque comme voyager seul, mais avec la possibilité de partager nos ressentis en direct. De nous appuyer l’un sur l’autre en cas de nécessité et d’échanger. De savourer le moment avec extase !

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Personnellement, ça m’oblige à faire des compromis afin que mon épouse apprécie son voyage autant que moi et le vive avec la même intensité. Ça m’amène à découvrir des lieux, des gens et des activités que j’aurais sûrement occultés si j’avais été seul. On s’enrichit mutuellement et on bonifie notre expérience. « Pourquoi voyager seul quand on peut le faire bien accompagné ? » dirais-je en paraphrasant une maxime célèbre.

Voyager en couple me force à adopter un autre rythme et à varier mes itinéraires. Mes plaisirs. Seul, je me lève très tôt, je passe beaucoup de temps sur la route et je m’arrête très peu souvent. Je parcours de 500 à 1 000 km quotidiennement, selon les routes empruntées. C’est la liberté dans sa forme la plus authentique.

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Avec ma femme, je m’autorise des grasses matinées et j’essaie de limiter mes journées de route à 200 ou 300 km, au maximum, avec des pauses d’une ou plusieurs journées entre chacune d’elle. Je prends le temps de découvrir les endroits où nous nous arrêtons, de visiter villes et musées, de m’imprégner des gens et des traditions locales. Parfois même de passer la journée à la plage, même si ce n’est pas trop ma tasse de thé. Je musarde. J’erre. Je me délecte. Je joue au touriste. Je voyage plus détendu en sachant que j’ai quelqu’un sur qui m’appuyer le cas échéant.

« En voyage, vous perdez vos convictions aussi facilement que vos lunettes, mais il est plus difficile de les remplacer. » — Aldous Huxley 

Voyager en groupe

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Longtemps, j’ai voyagé seul de crainte d’être mal accompagné justement. J’ai vécu quelques mauvaises expériences, adolescent, quand nous partions en vacances avec des amis de mes parents et leurs enfants. « Chat échaudé craint l’eau froide ! »

Jeune adulte, je ressassais sans cesse le même proverbe arabe — « Si tu voyages accompagné, inquiète-toi de ton compagnon » — pour justifier le fait que je partais invariablement en solo. Jusqu’à ce que je fasse un périple avec mon frère Marc, puis, plus tard, avec quelques amis — Claude, Patrick, Richard, Dave, Pierre, Denis, Guy, Olivier, Alain, Jean-Philippe —, parfois à deux, parfois à quatre ou cinq, mais jamais à plus de huit. Je me suis alors aperçu qu’il était agréable de partir avec un ou plusieurs partenaires, pourvu qu’ils partagent la même vision du voyage que moi. Les mêmes centres d’intérêt. Mais surtout qu’ils roulent au même rythme que moi. En symbiose.

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En groupe, j’organise la plupart du temps les voyages auxquels je prends part. D’abord, parce que je connais l’Europe et l’Afrique du Nord comme le fond de ma poche — ça aide à planifier des itinéraires sans surprise —, mais aussi parce que je suis un agent de voyage certifié. C’est utile pour négocier de meilleurs prix et prévoir les imprévus.

Je trace mes parcours en fonction du plaisir que nous procurerons les routes choisies et en prenant garde de ne pas prévoir d’étapes trop longues, particulièrement quand nous roulons en montagne, un environnement où les distances n’ont pas la même incidence. « Qui veut aller loin ménage sa monture.. et ses compagnons d’aventure ! » Enfin, je m’arrange pour que l’itinéraire soit flexible et que l’on puisse en changer facilement en cas d’imprévu.

Personnellement, j’exècre autant le camping que rouler en tout-terrain. À mon âge canonique, j’aime mon confort. Me retrouver dans un bon hôtel le soir venu, dormir dans un bon lit, prendre une bonne douche après une grosse journée de route et partager un bon repas entre amis à la table d’un bon restaurant. C’est mon côté épicurien et jouisseur. Je m’arrange donc pour ne pas partir avec des compagnons qui préfèrent voyager à la rude. Je sais que ça ne le ferait pas. J’abandonnerais au bout de deux jours ou je me fâcherais avec mes amis. En société, ma capacité à faire des compromis est limitée, comme ma patience d’ailleurs.

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Depuis 2010, j’ai organisé une quinzaine de voyages en Europe, avec de bons amis. Et tout s’est toujours bien déroulé jusqu’à présent. Bien sûr, il y a parfois des petites tensions passagères que l’on mettra sur le compte du décalage horaire, du dépaysement ou tout simplement de la fatigue, mais jamais d’incident majeur qui remette en question le séjour.

Voyager en groupe permet non seulement de partager ses émotions et ses coups de cœur, mais aussi de s’entraider en cas de pépin. Relever une moto garée en pente de sa béquille, par exemple. Ou la sortir d’une ornière. Ou se faire remorquer en cas de crevaison ou de panne d’essence. Le genre de péripéties qui peut arriver à tout le monde. C’est ce qu’on appelle l’école de la camaraderie et de la solidarité.

Ça permet aussi de se sentir plus en sécurité, particulièrement dans des endroits à risque ou en présence d’un danger potentiel. Je me souviens d’un épisode un peu chaud, à Johannesburg, en Afrique du Sud où le fait de rouler avec quatre amis journalistes m’a rassuré. Seul, je ne m’en serais peut-être pas sorti aussi facilement. C’est ça la force du groupe.

« Le but n’est pas d’arriver quelque part, mais de partir ailleurs. Ce n’est pas la destination qui compte, mais la route. Et si elle est pavée de bonnes intentions, détournons-nous-en. Elle nous mènerait à coup sûr en enfer ! »

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Aujourd’hui, je voyage autant seul qu’en groupe et je ne pourrais pas sacrifier l’un ou l’autre de ces modes de déplacement. Les deux me sont nécessaires. Pour des raisons particulières. Et à des moments précis.

En revanche, quand je décide de partir seul, c’est non négociable. Car la motivation qui m’anime est unique. Je veux rouler à ma manière, à mon rythme, sur une distance qui me convient, faire les choses qui me tentent et rencontrer les gens que j’ai décidé de voir sans devoir en discuter ni faire de compromis. Je suis plus en mode vagabond que touriste et je n’attends pas les mêmes choses de mon périple. De mon expérience.

Les deux formes de voyage ont leurs avantages et leurs inconvénients, en fonction de nos objectifs et de notre personnalité. Parfois, vous sentez le besoin de partir accompagné, quitte à faire quelques compromis ou aménagements. À d’autres moments, même si votre compagnon d’aventure est formidablement compatible, même s’il est votre double parfait, vous estimez n’avoir besoin ni de permission ni de validation. Et encore moins d’un fil à la patte. L’important est de bien reconnaître ces moments particuliers. Et d’expliquer vos choix à vos interlocuteurs.

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« Seul celui qui a emprunté la route connaît la profondeur des trous ! » — Proverbe chinois.

2 réponses à “Voyager seul ou en groupe ?”

  1. pierre lachapelle

    Bonjour m. constant je suis motocycliste depuis plus de 30 ans je me reconnait beaucoup dans vos propos. Comme vous, ma première moto était une CB 125s 1976 bleu poudre. Cet été j’en suis a ma 35e moto. moi aussi j aime bien rouler seul, la fin de semaine avec ma blonde et quel que fois en groupe. je suis d accord avec vous roulez en groupe demande de faire des compromis. C est pourquoi en général j aime mieux être le leader, ce qui demande de baisser le tempo mais au moins je m assure que le groupe me suit de manière sécuritaire. la plus part du temps j aime mieux rouler en solo sans compromis

    Pierre Lachapelle

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  2. Jean-Pierre Blais

    Bien raison.. rouler seul ou avec d’autres est une question d’ajustements et de compromis constants à moins de rouler avec des personnes ou la symbiose est présente. C’est peut-être moi mais je roule encore beaucoup en solo.

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